Movatterモバイル変換


[0]ホーム

URL:


Navigation –Plan du site

Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critiqueCahiers d’histoire. Revue d’histoire critique

AccueilNuméros143DOSSIERÀ l’école du Nord. La scolarisati...

Sommaire -Document précédent
DOSSIER

À l’école du Nord. La scolarisation des enfants de migrants du Mezzogiorno dans les années 1960

AnnaBadino
p. 85-100

Résumés

La migration des Méridionaux vers les villes du triangle industriel de l’Italie du Nord dans les années 1960 prend souvent un caractère familial. Elle pèse donc d’un poids important sur la scolarisation des enfants, de manière préjudiciable. Les situations d’échec sont nombreuses et les parcours scolaires en sont raccourcis. Le déracinement social et culturel, l’instabilité résidentielle au sein des villes d’accueil, les distinctions de genre, les préjugés du corps enseignant et l’inadaptation des dispositifs scolaires d’accueil constituent autant de facteurs explicatifs.

The family migration of people from South Italy to cities in the industrial triangle of northern Italy in the influences the schooling of children in a prejudicial way. The failures are numerous and school paths are shortened. Social and cultural uprooting, residential instability in host cities, gender distinctions, teachers' prejudices and the inadequacy of school reception systems are all explanatory factors.

La migrazione dei Meridionali verso le città del triangolo industriale del Nord Italia, negli anni ‘60, assume spesso un carattere familiare. Ciò influisce, spesso, in modo svantaggioso sulla scolarizzazione dei bambini. Le situazioni di insuccessi scolastici sono numerose e i percorsi di studi vengono ridotti. Lo sradicamento sociale e culturale, le difficoltà d’integrazione nelle città ospitanti, le differenze di genere, i pregiudizi verso il personale docente e l’inadeguatezza dei sistemi scolastici costituiscono fattori altrettanto considerevoli

Haut de page

Texte intégral

  • 1Franco Ramella, « Le migrazioni interne. Itinerari geografici e percorsi sociali », dans Paola Cort(...)
  • 2Michael Eve, « Una sociologia degli altri e un’altra sociologia. La tradizione di studio sull’immig(...)

1L’insertion scolaire des enfants demigrants fait l’objet de plusieurs études dans le domaine des sciences sociales. Cependant, dans le large éventail d’analyses réalisées sur ce sujet, les contributions qui examinent les cas de migration à l’intérieur d’un même pays sont rares, voire absentes. Cela tient probablement au fait que les migrations internes sont souvent considérées comme différentes de celles qui impliquent un passage de frontière. Dans le sillage de l’historiographie récente, notre démarche inscrit l’étude de la mobilité interne dans l’étude plus générale des migrations1, tout en insérant ces mobilités dans l’analyse des changements sociaux et économiques en général2.

2Les événements liés aux flux massifs de population dirigés vers les villes du triangle industriel pendant les années du miracle économique italien, en provenance des zones rurales et moins développées de la péninsule, offrent l’occasion d’observer des mécanismes typiques de toute mobilité géographique, qui se reproduisent indépendamment du franchissement des frontières nationales. L’inclusion des enfants de ces migrants dans les écoles du nord-ouest de l’Italie ne semble pas avoir été facilitée par l’appartenance nationale commune : une série de facteurs liés aux conditions de l’immigration des enfants et de leurs familles a entravé l’intégration dans l’environnement scolaire, la construction de relations avec les camarades de classe et les enseignants, tout en favorisant le décrochage scolaire.

  • 3Assunto Quadrio, « Giudizi e pregiudizi degli insegnanti sugli alunni immigrati », dansContributi(...)
  • 4Michael Eve et Flavio Ceravolo,Half a century of internal and international migration : some long-(...)

3L’historiographie italienne a longtemps ignoré les vicissitudes de nombreux enfants, migrant avec leurs parents dans les villes du triangle industriel dans les années 1960 et originaires des régions méridionales. En revanche, de nombreux observateurs contemporains, pédagogues, psychologues, sociologues de cette décennie, avaient remarqué que l’intégration scolaire de ces jeunes migrants posait de nombreux problèmes3. Avec la fin du cycle migratoire de masse, au début des années 1970, l’intérêt pour les problèmes d’intégration des migrants du Sud dans le Nord a progressivement disparu pour ne reprendre que quelques décennies plus tard, au début de la décennie 2000. La recherche sur ce sujet a été reprise à Turin, où historiens et sociologues se sont demandé quel genre de mobilité sociale avaient vécue les enfants de migrants des années 1960, quatre décennies après leur arrivée en Piémont. Les recherches ont montré que les enfants des ouvriers méridionaux restaient confinés au travail manuel dans une proportion plus importante que ceux des ouvriers de Turin et du Piémont. Cette mobilité sociale bloquée semble être liée à des niveaux d’instruction inférieurs, par rapport à leurs camarades locaux et à une entrée précoce sur le marché du travail et dans la vie adulte4.

4À la base de ce résultat, nous trouvons plusieurs facteurs concernant le type d’accueil reçu dans les écoles primaires et secondaires de la ville, les relations avec les enseignants et les pairs locaux ou encore l’instabilité qui caractérise la première période après la migration. C’est sur ces aspects et sur leur articulation que cette contribution entend se concentrer. Les résultats des études menées au cours des années 1960 et 1970 à Turin, Milan et Gênes seront confrontés aux résultats d’une recherche historique menée sur le cas de Turin entre 2010 et 2013, à partir de registres de classe des écoles primaires, d’entretiens réalisés avec des femmes et hommes arrivés à Turin en âge scolaire avec leurs parents pendant les années 1960 et de rapports d’assistants sociaux.

Une nouvelle population pour les écoles de Turin

  • 5Archivio storico della città di Torino,Annuari statistici, 1959-1976.

5Dans la ville de Turin, l’afflux maximum de migrants des régions méridionales a lieu entre 1960 et 1970. Ils sont des dizaines de milliers. Parmi eux, les enfants âgés de 6 à 11 ans constituent une partie importante (environ 26 000), auxquels il faut ajouter les enfants nés à Turin de familles originaires du Sud. Les écoles primaires de la ville ne sont pas prêtes à les accueillir. Elles doivent en effet faire face à une importante croissance des effectifs. Sur une période de dix ans, le nombre total d’élèves inscrits est passé de 53 000 (année scolaire 1959-1960) à 84 000 (en 1969-1970). Il augmente encore dans les années suivantes, jusqu’à atteindre 90 000 en 1975-1976, avant de régresser très lentement5.

  • 6Ferruccio Deva,« L’adattamento dei ragazzi immigrati nella scuola elementare »,dansScuola e Citt(...)
  • 7Gruppo piemontese del MCE (Movimento di cooperazione educativa) (a cura di), « Lavoro di quartiere(...)

6L’accueil que l’école de Turin réserve aux nombreux enfants du Sud à leur arrivée est en général hostile. Pour beaucoup d’entre eux, l’insertion scolaire est désastreuse. Le pourcentage d’échecs aux examens du premier et du deuxième cycle de l’enseignement primaire (en troisième et cinquième années) augmente en 1960-1961 pour atteindre l’année suivante le record de la décennie, lorsqu’un enfant sur dix doit redoubler l’année. Mais ce chiffre moyen cache de très fortes disparités entre les écoles (et les élèves) de différents quartiers, en fonction de leur composition sociale. D’après une enquête menée en 1961-1962 dans quatre écoles primaires de la ville, le pourcentage d’échecs chez les enfants du Sud était d’environ 19 % dans l’ensemble, tandis que celui des autres élèves était d’environ seulement 4 %6. Selon une enquête réalisée par un groupe d’enseignants à la fin des années 1960, les élèves en situation d’échec en fin de première année dans deux écoles peuplées d’enfants migrants représentaient près de 11 %, tandis que dans une école située dans un quartier aisé, ils n’étaient que 2 %7.

Des regards croisés sur la vie scolaire

7Pour essayer de comprendre les raisons d’une telle situation, il est nécessaire d’approcher le regard et d’essayer de reconstruire, d’une part, ce qui s’est passé dans les salles de classe où les enfants d’origine méridionale ont été insérés et, d’autre part, la réalité de ce qu’ils ont vécu dans leur famille à la suite de la migration.

8Les commentaires que les enseignants écrivent sur les registres de classe des écoles primaires de l’époque sont une source qui peut fournir des informations précieuses à cet égard. Dans la section intitulée « Chroniques de la vie scolaire », les enseignants signalent périodiquement les principaux problèmes rencontrés dans la gestion de la classe qui leur est assignée. Il y a de fréquentes références à des élèves que les enseignants considèrent comme particulièrement « difficiles », avec des problèmes de discipline ou d’apprentissage. Les deux aspects sont souvent considérés en relation l’un avec l’autre. La source a une double valeur : elle permet d’ouvrir une fenêtre sur la situation familiale des enfants du point de vue des enseignants et elle nous renseigne sur le type d’accueil que les enfants reçoivent de la part des enseignants. Les témoignages recueillis entre 2010 et 2012 auprès des enfants de migrants du Sud, écoliers dans les années 1960, permettent de croiser les regards.

Les effets d’une intense mobilité résidentielle

  • 8Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.
  • 10Ibid.

9L’insertion des enfants migrants dans les classes des écoles primaires est compliquée, en raison notamment des inscriptions scolaires en cours d’année. Un enseignant de deuxième année écrit en 1961 : « 15 décembre : deux nouveaux élèves sont arrivés hier, à la fois redoublants et frères (nés à Catanzaro en 1950 et 1952). Avec eux, j’ai maintenant huit redoublants et parfois ils sont exaspérants, parce qu’ils n’ont plus d’enthousiasme. Les deux derniers arrivants n’écrivent pas et ne lisent pas8 ». Et un autre enseignant relève l’année suivante : « 23 février : nouvelle venue d’Allemagne (née dans la province de Palerme). Elle a fréquenté une école allemande pendant 4 ans, puis ses parents, qui ont émigré en Allemagne pour des raisons de travail, l’ont inscrite à une école italienne à l’étranger, précisément une deuxième classe. Elle a suivi les deux premiers trimestres ». Dans une autre classe, l’enseignant rapporte : « C., inscrit dans cette école tard dans l’année scolaire et venant des Pouilles, a toujours du mal à se mettre en route. Illit toujours en détachant les syllabes, il écrit de manière désordonnée et fait beaucoup de fautes10 ».

  • 11Franco Ramella, « La città fordista : un crocevia di movimenti », dans Maria Carmen Belloni (dir.),(...)

10Le phénomène est lié au déménagement des parents à Turin en cours d’année scolaire, mais aussi au changement de résidence de la famille d’un quartier à un autre de la ville. Dans les années de forte migration, ce type de mobilité résidentielle est « tourbillonnant11 ». Avant de s’installer de manière stable dans un quartier et un logement, il est courant que les familles ayant migré fassent plusieurs démarches à la recherche de meilleures conditions de vie, de locations moins chères ou pour se rapprocher d’autres membres de la famille en ville. Dans cette recherche, les réseaux de relations amicaux et de parenté jouent généralement un rôle important et peuvent amener les familles à se déplacer d’un bout à l’autre de la zone urbaine (et même de la zone métropolitaine) pour occuper un appartement trouvé grâce aux informations fournies par une connaissance. Les déménagements d’un quartier à un autre entraînent alors l’abandon de la classe fréquentée par les enfants en cours d’année, interrompant et ralentissant ainsi le processus d’enracinement dans l’environnement scolaire en particulier et dans la réalité de Turin en général.

  • 12Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.
  • 13Ibid.

11Un enseignant de deuxième année écrit : « À partir d’aujourd’hui, l’élève Fiorella C. n’est plus à l’école Gabelli, elle a déménagé avec sa famille dans le quartier deLe Vallette. Elle nous a quittés avec regret mais forcée12 ». La jeune fille, qui fréquente la deuxième année du primaire, quitte l’école à la mi-janvier 1962, ses parents ont probablement obtenu un logement social dans le quartier nouvellement édifié de « Le Vallette », dans la périphérie nord de la ville, très prisée par les familles migrantes. Toujours en 1962, l’enseignant a signalé la perte de trois élèves en un mois :« Le 1er mars, Gerarda P. a rejoint l’école S. Pellico. Les élèves inscrits sont maintenant au nombre de 32. Le 16 mars, l’élève G. déménage dans une autre école. Les élèves ne sont plus que 31. Le 29 mars, l’élève V. déménage à l’école de Parini. Il reste alors 30 élèves13 ».

  • 14Ibid.
  • 15Ibid.

12Les cas de ce genre sont très fréquents. Au milieu de l’année scolaire 1963-1964, un enseignant note : « Il ne m’était jamais arrivé d’avoir autant de transferts en une seule année : 6 transférés et 5 nouveaux. Ces changements continuels entraînent des interruptions et des retards dans le cours normal des leçons14 ». L’année suivante, on retrouve le même type de constat : « Il n’y a que vingt élèves. L’année passée, ils étaient trente-cinq. Leur nombre a été autant réduit en raison des nombreux transferts dus au changement de résidence, qui ont eu lieu pendant l’année scolaire et l’été15 ».

13En deuxième année, une enseignante enregistre le cas d’une élève transférée temporairement dans une autre école parce que sa famille traverse une période d’urgence particulière et qu’il n’y a donc personne pour l’accompagner à l’école :

  • 16Ibid.

« 24 novembre 1961 : aujourd’hui, l’élève Franca C. a été transférée à l’école Abba car son père est parti travailler dans le centre de l’Italie et sa mère est à l’hôpital pour assister son autre fille qui a dû subir une opération. Mon élève n’avait personne pour l’accompagner à notre école, assez loin de chez elle. Lorsque la situation familiale redeviendra normale, l’enfant reviendra certainement à l’école Gabelli. »16

  • 17Ibid.
  • 18Ibid.

14Peu de temps après, l’enfant retourne en classe. Avec soulagement, car elle ne semble pas avoir aimé le transfert forcé : « 2 décembre 1961 : ce matin, accompagnée d’un jeune oncle, l’élève Franca C. est rentrée en classe. Le transfert a donc duré exactement une semaine ! (...) La fillette dit qu’elle ne garde pas un bon souvenir de l’autre école et elle est heureuse d’être revenue dans ma classe17 ». Trois mois plus tard cependant, la petite fille quitte définitivement la classe parce que sa famille déménage dans une autre région : « 9 mars : Franca C. a déménagé aujourd’hui... la famille suit le père transféré à Anagni (Lazio, ndla)18 ». C’est le troisième changement d’école en une année pour cette élève.

  • 19Entretien, Turin, 2011.
  • 20Ibid.

15À ces transferts s’ajoutent des voyages vers le Sud, vers les lieux d’origine des parents, qui peuvent être fréquents pour certaines familles. La description fournie par Giovanni, né en 1959 en Sicile, des déplacements constants de sa mère avant et après sa naissance illustre cette frénésie de déplacements et des effets de ceux-ci sur l’expérience scolaire des jeunes élèves. L’histoire de ce témoin n’est pas exceptionnelle. Les parents de Giovanni ont migré à Turin avec certains de leurs enfants, mais ils en ont laissé deux en Sicile. Le père est alors parti travailler en Allemagne et la mère s’est retrouvée seule pour subvenir aux besoins de la famille, qui entre-temps s’est agrandie avec la naissance de deux sœurs. En Allemagne, le père s’est stabilisé : « Il venait ici tous les six à huit mois. Pendant de très longues périodes sans père, il n’y avait que ma mère qui pensait à nous. (...) La famille était fragmentée : un morceau à Turin, un morceau en Allemagne et un morceau en Sicile19 ». La mère se rend périodiquement à Catane pour rendre visite aux filles, qu’elle a placées dans un pensionnat, ne pouvant les emmener au Piémont et c’est précisément durant l’un de ces « pèlerinages » Turin-Catane que naît Giovanni. Dans la capitale piémontaise, où la mère revient avec le nouveau-né, elle change souvent de domicile, se déplaçant en ville et dans les municipalités périphériques. À l’âge de quatre ans, compte tenu du nombre d’enfants et de la pauvreté de son réseau de parents à Turin, Giovanni est placé dans un pensionnat de la province d’Alessandria. L’expérience de Giovanni est commune à beaucoup d’enfants d’origine méridionale. Dans ce pensionnat, « la plupart étaient des enfants du Sud. (…) Toutes étaient des familles très nombreuses et elles ne pouvaient pas les garder à la maison ; par conséquent, elles ont essayé de les placer dans des pensionnats20 ».

16Les témoignages de parents migrants qui utilisent les pensionnats de Turin sont fréquents. Les enfants sont laissés là quelques années, puis ils sont rendus à la famille. C’est une conséquence directe du processus de migration qui, en appauvrissant le réseau local de soutien à la famille, rend encore plus problématique la gestion des familles nombreuses. Le pensionnat est donc une opportunité souvent saisie. C’est un moyen de faire face aux difficultés accentuées par les conditions spécifiques de la migration. Comme le montrent les commentaires des enseignants, il s’agit parfois d’une stratégie utilisée par les familles qui vont et viennent entre Turin et le Sud, comme la mère de Giovanni :

  • 21Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

« 28 février 1962 : Giuseppina S. (née dans la province de Caltanissetta en 1952) est absente pour la deuxième fois. La maison (à Turin) est fermée. J’ai appris par ses camarades que toute la famille était partie en Sicile et que l’enfant avait été placée en pensionnat. Elle est revenue accompagnée par sa mère, qui ne savait pas dire dans quel pensionnat l’enfant avait été et ce qu’elle avait fait. »21

  • 22Ibid.

17L’enseignant notedeux mois plus tard : « Voilà, elle est à nouveau absente et encore une fois ses camarades me disent qu’elle a été placée en pensionnat22 ».

18Si, pour les parents, le pensionnat représente une ressource importante pour faire face aux problèmes d’organisation, il peut toutefois susciter des frustrations et des traumatismes chez les enfants. C’est le cas des sœurs aînées de Giovanni, qui ne pardonneront pas à leur mère de les avoir « abandonnées » en Sicile :

  • 23Ibid.

« Mes sœurs ont tellement de ressentiment envers ma mère parce qu’elles sont restées seules, parce qu’elles ont passé huit ans là-bas ; oui (elles ont subi des traumatismes), sûrement quelque chose est resté en elles. C’étaient des moments où, dans les pensionnats, les enfants accueillis étaient très mal traités et, par conséquent, je crois qu’ils portent encore ce traumatisme aujourd’hui. (…) Soudainement, des parents qui n’ont pas eu le courage de vous dire la vérité vous ont laissé à cet endroit et au dernier moment, ils se sont enfuis. »23

19Cette instabilité résidentielle de nombreuses familles migrantes dans les premières années qui suivent leur arrivée à Turin a des répercussions inévitables sur les résultats scolaires des enfants, qui sont obligés de passer d’une école à l’autre et doivent continuellement s’adapter à un nouvel environnement. La brève histoire scolaire de Giovanni et de ses sœurs aînées est marquée par les effets négatifs des changements continus du domicile de la mère, déterminés par un marché immobilier restreint pour ceux qui n’ont pas de moyens économiques adéquats et par l’absence d’un réseau de solidarité. Giovanni raconte :

  • 24Ibid.

« Je me souviens de tant d’échecs aussi à cause de ma mère ; parce que j’ai commencé la première année et ensuite, au milieu de l’année, (...) je suis arrivé ici. (...) Je sais que j’ai perdu un an, alors je recommence et cette moitié (de l’année scolaire), je ne l’ai plus jamais faite. (...) C’était un changement continu. Je me souviens de tant de ces maisons ! À cette époque, ma mère n’avait pas trouvé la paix, peut-être parce qu’il s’agissait de petites maisons au début, d’une pièce et cuisine, de deux pièces et cuisine, jusqu’alors nous avions réussi à avoir trois pièces. Nous étions nombreux à la maison. J’avais 7 ans. Entre-temps, mes autres frères sont nés, puis toute une dynastie de frères est venue après moi. Je suis le septième et j’avais encore quatre frères après moi. (...) Nous avons continué à changer de maison. Je me souviens de beaucoup de changements : lorsque je suis arrivé à Turin, nous vivions dans une maison située entre Nichelino et Moncalieri (municipalités voisines, ndla). Puis elle s’installa à Moncalieri, puis se réinstalla, toujours à Moncalieri, mais dans un appartement plus grand, puis changement de maison à nouveau. Chaque fois qu’il s’agissait de laisser des objets, des meubles dans ces appartements, cela semblait toujours être des fuites. Je ne sais pas si ma mère a laissé des dettes dans ces maisons. De temps en temps, elle laissait tout tomber là-bas, prenait des enfants, l’essentiel et partait, changeait de maison à nouveau. Et puis l’année scolaire a été perdue. Même mes sœurs aînées l’ont perdue. Je me souviens que j’avais une sœur qui était au collège et elle a également perdu l’année. La dernière aussi a abandonné ses études, car elle devait donner un coup de main à la maison, ma mère étant seule. C’était tellement exagéré, la vie était en désordre. Pour nous les garçons, c’était amusant parce que de toute façon, avec tous ces frères dans la maison, nous nous sommes bien amusés entre nous ! »24

Spécificité de genre

20La référence de Giovanni à sa sœur, qui quitte l’école pour aider leur mère à s’occuper des frères plus petits, introduit un facteur important qui caractérise les familles ayant migré et sur lequel il faut porter notre attention. La migration implique souvent que l’unité familiale se trouve privée des soutiens informels sur lesquels elle peut s’appuyer dans la localité d’origine, en particulier la génération des grands-parents qui n’ont pas migré. Il est donc nécessaire de réorganiser les relations familiales et les ressources qu’elles procurent. Dans ce processus, l’un des choix faits par les familles est de faire participer les enfants aux activités domestiques. Ici, les premières différences entre les sexes apparaissent parmi ces enfants : différentes sources indiquent que les filles en particulier sont investies par leurs parents de la responsabilité de s’occuper de leurs petits frères. C’est une question importante, qui présente des aspects contradictoires.

21Les registres scolaires contiennent souvent des références à cet égard. Exemple parmi beaucoup d’autres, un enseignant écrit :

  • 25Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

« 12 décembre 1964 : La mère de T. M. (née à Brindisi et qui est trop souvent absente, ndla) s’excuse en disant qu’elle a été expulsée de la maison et qu’il est très difficile d’en trouver une autre, alors elle est forcée de laisser les frères plus petits sous la garde de leur sœur aînée afin de pouvoir chercher un domicile sereinement. »25

  • 26Anna Badino, « Femmes, travail et migration dans la décennie de laménagérisation : le cas des gr(...)
  • 27Entretien publié dansMarica D’Orio,Migrazioni familiari ad Asti negli anni Sessanta e Settanta,m(...)

22Il s’avère difficile pour les femmes de concilier activité professionnelle et tâches domestiques, en raison de l’absence de soutien parental, en particulier de leurs propres mères restées au village d’origine26. Les choix professionnels de ces femmes, mariées et avec des enfants, en sont fortement influencés. Il est ainsi fréquent qu’elles renoncent à une occupation à plein temps. Il semblerait qu’elles choisissent souvent des activités « flexibles », sans véritables contrats de travail. Il convient de souligner dans ces conditions la pression exercée par les familles sur les filles pour qu’elles assument des responsabilités au sein du foyer. Elles soulagent ainsi les mères, qui peuvent alors se consacrer, au moins en partie, à une activité salariée. Tina, arrivée au Piémont en provenance de la province de Salerne à l’âge de 9 ans, se souvient : « Ma mère faisait le ménage dans un hôtel. (...) J’allais à l’école et, quand je sortais, je devais aussi préparer à manger pour mes frères. Pendant la journée, je m’occupais de mes frères jusqu’à l’arrivée de ma mère27 ».

  • 28Goffredo Fofi,L’immigrazione meridionale a Torino, Milano, Feltrinelli, 1976, p. 201.
  • 29 Cynthia Feliciano, Ruben G. Rumbaut, « Gendered paths : Educational and occupational expectations a(...)

23Les témoignages de ce type sont très nombreux. Saisir les multiples aspects de ce phénomène est d’une importance cruciale pour comprendre la réalité vécue par les la deuxième génération des filles ayant migré. Prendre le rôle de « secondes mères » peut avoir des effets contradictoires sur l’éducation des jeunes filles. Dans une étude menée dans les années 1960 sur les migrations du Sud à Turin, Goffredo Fofi considère que « le fait de travailler à la maison pour les filles est l’une des principales raisons pour lesquelles elles ne respectent pas l’obligation scolaire28 ». Cependant, le même phénomène peut également présenter un aspect très différent : assumer des responsabilités dès le plus jeune âge a pour effet de donner aux filles une maturité, une discipline et un sens du devoir qui peuvent leur être bénéfiques dans l’activité scolaire29.

Dépaysement des familles et difficultés d’insertion dans le milieu scolaire

24Un autre aspect qui caractérise l’expérience des familles migrantes à leur arrivée est le sentiment d’insécurité dû au manque de connaissance des lieux d’accueil, en particulier pour celles qui n’ont pas de parents ou d’amis déjà établis à Turin. Dans le cas rapporté par Mario, témoin né en 1956 dans la province d’Enna, il ressort que l’appréhension de la mère dans les mois qui ont suivi son arrivée dans la ville a fortement perturbé la fréquentation scolaire de son fils. Il raconte :

  • 30Entretien, Turin, 2011.

« C’était en 1962 (quand j’ai migré). De chez moi (en Sicile), j’ai le souvenir de la possibilité de pouvoir me déplacer dans le village : on pouvait flâner, errer, faire ce que l’on voulait et il n’y avait aucun danger. On avait toujours été dans des environnements qu’on connaissait bien et où on se sentait chez soi. Quand nous sommes arrivés ici, nous étions toujours immobilisés, bloqués, parce que c’était impossible. Si tu sortais, tu étais dans Corso Tortona (un boulevard, ndla) et ces quelques voitures (qui circulaient à l’époque) étaient déjà tellement nombreuses par rapport à l’endroit d’où nous étions venus… Notre mère nous disait : “Faites attention à ne pas sortir car vous ne connaissez pas, vous vous perdrez parce que vous ne saurez pas où vous allez”… Il a fallu un certain temps avant que nous puissions le faire. Donc, on perdait l’année scolaire et tout le reste. »30

25Pour cet enfant, le fait d’avoir perdu une année d’école après son arrivée à Turin semble représenter un désavantage irrémédiable. Il dit :

  • 31Ibid.

« L’école, ça a été dramatique : je l’ai suivie jusqu’à la quatrième année et ensuite je n’ai rien fait. Je suis allé à l’école seulement un an après mon arrivée à Turin, alors j’ai perdu un an. Nous sommes arrivés ici, c’était presque l’hiver. Je me souviens qu’il faisait froid et brumeux. Je ne suis pas allé à l’école tout de suite, parce que les parents ne nous laissaient pas sortir, et ensuite... vous savez, il y a ceux qui réagissent différemment et ceux qui sont dans un environnement différent et qui ne bougent pas. Mes parents ne connaissant pas l’endroit, je ne suis pas allé à l’école et quand j’y suis allé, je ne suis pas arrivé à créer des liens avec les autres camarades. »31

26L’expérience de ce témoin peut nous aider à comprendre à quel point peut être difficile l’insertion d’un enfant migrant dans l’environnement scolaire de Turin. L’isolement dans lequel la famille de Mario semble se retrouver se traduit, chez l’enfant, par une attitude de forte méfiance envers les Turinois (amplement réciproque).Mario se souvient :

  • 32Ibid.

« (Quand tu arrivais ici) tu étais une personne différente des élèves, des professeurs, des mères, les Turinoises. Pour eux, nous étions des personnes différentes, ignorantes... je me suis disputé avec eux. Je me suis disputé avec les élèves, le maître, les mères. Je ne gardais pas les choses pour moi, et quand quelqu’un me disaitce Sicilien de merde, je disais en sicilien :C’est toi qui es une merde, ta mère... Je réagissais mal, avec violence, mais c’était comme ça. Personne ne venait vers toi, dans le sens deattendons, laissons-lui le temps. Rien ! Ils disaient :Ces enfants sont tous mal élevés. Je suis allé en deuxième année, puis en troisième et j’ai redoublé deux ans, parce que ça n’allait pas. J’ai redoublé la quatrième année, puis j’ai laissé tomber. (…) Des amis, je m’en suis fait ensuite dans l’immeuble, mais en ce qui concerne l’école, je ne me suis pas fait d’amis. C’était un milieu hostile, pour moi il a été hostile. »32

  • 33Ibid.

27Sa trajectoire scolaire est en outre marquée par l’installation de la famille à la périphérie de Turin. Même si le changement le conduit à habiter dans un logement de construction récente, plus confortable que le vieux bâtiment ouvrier où il a vécu les premières années après son arrivée en ville, cela signifie pour lui qu’il doit parcourir une heure de route chaque matin pour rejoindre son ancienne école. La fatigue, les échecs répétés et la démoralisation qui s’ensuivent amènent l’enfant à abandonner l’école avant d’avoir achevé le cycle des études obligatoires. Un destin qu’un grand nombre d’enfants de migrants à Turin ont en commun. Mario conclut : « C’est moi qui ai dit :Je ne veux plus y aller, je ne veux plus aller à l’école, et mes parents ont dit :Alors va au travail. (...) J’avais 12 ans et demi. J’y suis allé après avoir quitté l’école. J’ai été collé deux ans et je suis allé travailler33 ».

L’école qui décourage

  • 34Goffredo Fofi,op. cit.
  • 35Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

28Aux origines de l’interruption précoce de la scolarisation d’enfants migrants, il existe en outre, entre autres facteurs, une attitude hostile d’enseignants qui ne sont pas prêts à faire face au phénomène de la migration. Cette attitude– certes non unanime, mais certainement très répandue  finit par démotiver les enfants et les familles. Souvent, les fils des migrants méridionaux apparaissent « différents » aux yeux de certains enseignants, de certains camarades et de l’institution scolaire elle-même34. Les registres scolaires montrent que les enseignants se plaignent souvent du manque de discipline et d’éducation des enfants du Sud, de leur manque de propreté. De plus, aux yeux de nombreux enseignants, ils sont peu suivis par les familles. Une enseignante de deuxième année écrit en 1961 : « L’élève C. D. (né à Barletta, ndla) n’a pas été vacciné contre la variole. Il est accompagné de sa sœur, qui m’a dit qu’ils ne pouvaient pas se rendre au bureau d’hygiène parce qu’ils se rendaient tous au travail. En réalité, ce ne sont que des excuses35 ».

29Dans les commentaires des enseignants, on peut lire les préjugés à l’égard d’un Sud jugé archaïque : les familles originaires du Mezzogiorno seraient moins « civiles » et cela affecterait la capacité d’apprentissage de leurs enfants. Dans une enquête sur les écoles de Gênes menée entre 1962 et 1963, Luciano Cavalli a souligné que les enseignants ont tendance à attribuer les mauvais résultats des élèves du Sud à un déficit de capacités intellectuelles naturelles. À cette attitude des enseignants s’ajoute d’ailleurs, selon lui, une marginalisation de la part des camarades :

  • 36Luciano Cavalli,op. cit.,p. 181-182.

« Les élèves du Sud sont plus souvent isolés ou moins bien acceptés par leurs camarades de classe : même entre eux, ils ne se lient pas particulièrement. Il est impossible de dire si cela est dû à leur statut d’étrangers et de nouveaux, ou à leur origine en tant que méridionaux, ou à leur infériorité sociale, mise en évidence, par exemple, par le fait de vivre dans des logements très pauvres et précaires. Quoi qu’il en soit, outre l’environnement familial, la compréhension insuffisante de la part des enseignants et le mauvais accueil de la part de leurs camarades peuvent parfois contribuer à l’échec scolaire des méridionaux. »36

  • 37Ibid., p. 192.

30Dans le cas étudié par Cavalli, le mauvais accueil de la part de leurs camarades a fini par aggraver une situation déjà rendue difficile par l’isolement social dû à la migration. Comme le note à juste titre l’auteur, la migration « implique un détachement d’un environnement physique et social susceptible d’affecter considérablement le sujet. Ainsi, on peut trouver des enfants profondément tristes à cause de leur éloignement par rapport à l’environnement natal et à certains parents proches, par exemple leur grand-père37 ». Et il ajoute :

  • 38Ibid., p. 196.

« La nostalgie et l’isolement social, qui se combinent et s’affinent, entraînent souvent des déficiences temporaires des capacités intellectuelles et volitives ayant des conséquences directes pour les études. (…) En outre, l’isolement empêche les petits migrants de compenser les inconvénients de l’environnement familial grâce à des contacts avec un environnement meilleur ou, en tout cas, différent. »38

Rétrogradations et classes différenciées

  • 39Assunto Quadrio,Giudizi e pregiudizi…, op. cit.,p. 127.

31Un autre facteur important de découragement pour les enfants migrants du Sud se situe dans la pratique généralisée des inscriptions dans les classes inférieures à leur arrivée. Le malaise causé, ressenti comme une forme d’humiliation, est susceptible de provoquer l’abandon de l’école dans certains cas. En particulier, chez les filles proches de l’adolescence, la différence d’âge est perçue de manière encore plus marquée. Assunto Quadrio écrit en 1961, dans son étude sur la région milanaise :« Ce qui domine, c’est le souci d’isoler et de considérer à part tous ceux qui pouvaient être définis commedifférents de la moyenne des autres enfants de la classe39 ».

  • 40Ibid., p. 129.

32C’est dans ce but que les enseignants demandent l’intervention des services d’assistance et deconsultation psychologique pour les élèves qu’ils estiment devoir être insérés dans des classes différenciées. Le désir de rendre la classe homogène et de l’alléger d’éléments qui auraient contribué à l’alourdir est suscité aussi par le nombre excessif d’élèves par classe. Selon Quadrio, « toutes ces raisons objectives agissent sur un terrain qui est déjà structuré sur la base de difficultés analogues du passé et sur les carences originaires de formation professionnelle des enseignants40 ».

  • 41Ibid., p. 137.
  • 42Ibid., p. 139.
  • 43 L’étude est citée par Assunto Quadrio.

33Les enseignants interrogés par Quadrio exposent les problèmes posés par la présence d’élèves migrants. La plupart de leurs commentaires évoquent la nécessité d’assimiler totalement le nouvel arrivé et d’éliminer les différences culturelles. À la base de cette conviction, il y a « l’existence d’un jugement de valeur selon lequel la culture locale doit être jugée nettement supérieure à celle des immigrés41 ».Quadrio dénonce donc la présence d’« un préjugé substantiel » de la part des enseignants à l’égard des élèves originaires du Sud, « perçus comme porteurs de valeurs différentes et moins valables42 ». Selon une étudemenée entre 1959 et 1960 dans une commune de la région de Milan, les enseignants estiment que 90 % des enfants de méridionaux auraient besoin d’une éducation différenciée43.

  • 44 Davide Lasagno,Crisi e riforma delle istituzioni psichiatriche torinesi (1958-1989), tesi di dotto(...)

34L’histoire des classes différenciées dans les années de migrations du Sud au Nord est encore en grande partie à écrire44. Conçues comme une institution destinée à recevoir des élèves en difficulté afin de les réinsérer dans les classes normales, en réalité elles se transforment en de véritables ghettos où se concentrent les élèves les plus indisciplinés et les moins réceptifs par rapport à la culture scolaire. Avec le temps, ces classes différenciées deviennent un scandale régulièrement dénoncé par des enseignants et des observateurs.

  • 45 Associazione per la lotta alle malattie mentali,Atti del dibattito sulla validità delle classi dif(...)
  • 46Ibid.
  • 47 « Indagine sull’entità del fenomeno del disadattamento minorile nella provincia di Torino e sulle r(...)
  • 48 Nicola D’Amico,Storia e storie della scuola italiana,Bologne,Zanichelli, 2010.

35Dans le cas de Turin, à la fin des années 1960, une enquête menée par un groupe de psychologues45indique que dans les différentes écoles de la province, 80 % des enfants insérés dans des classes différenciées sont fils de migrants, essentiellement du Sud. Dans la capitale industrielle piémontaise, le nombre des élèves inscrits à l’école primaire insérés dans ces classes atteint un pourcentage nettement supérieur au pourcentage national (2,1 % contre 1,4 % en 1968-1969). Mais l’ampleur du phénomène varie très significativement d’un quartier à l’autre. En centre-ville, les écoles primaires de deux quartiers populaires peuplés de migrants sont au sommet du classement, avec une proportion d’environ 20 % d’enfants déplacés dans des classes différenciées46. Un document officiel de l’époque, en référence aux données recueillies durant l’année scolaire 1969-1970, signale que dans la ville de l’automobile, entre 1964 et 1969, les classes différenciées connaissent une augmentation de 765 %47. La note dénonce le fait que « dans de nombreuses circonscriptions scolaires, il y aurait eu un nombre supérieur de classes différenciés et spéciales par rapport aux besoins réels, donc que ces classes étaient utilisées dans d’autres buts que ceux prévus par les normes en vigueur, ceci parce qu’il y avait une habitude de faire de la classe différenciée la classe des redoublants, mais également une tendance à en faire la classe des migrants ».Les classes différenciées perdent de leur importance au cours des années 1970 et seront définitivement supprimées en 197748.

Conclusion

  • 49Anna Badino,« Mondo operaio e disuguaglianze. Le eredità delle migrazioni interne », dans Carlo Ca(...)
  • 50Anna Badino,« Il sorpasso. Percorsi sociali femminili nelle seconde generazioni di meridionali a T(...)

36La rencontre des enfants méridionaux avec le système scolaire du Nord durant la période des arrivées en masse du Mezzogiorno est donc souvent difficile. Comme nous avons essayé de le montrer, de nombreux facteurs concourent à l’orientation des familles et des élèves vers une scolarité brève. Il en résulte qu’une majorité de la seconde génération interrompt précocement les études, ce qui conditionne fortement les parcours dans le monde du travail. L’entrée stable, à un âge précoce, dans le monde du travail caractérise les trajectoires de vie d’une partie importante de la deuxième génération de migrants méridionaux à Turin. Mais ce n’est pas le choix de tous. Le tableau n’est pas totalement homogène. Le choix de continuer les études ou de les abandonner se présente très tôt, avant même de conclure le cycle de l’enseignement obligatoire, mais plus généralement ce sont les attentes nourries par rapport à l’enseignement (et qui peuvent conduire successivement à reprendre les études en suivant des cours du soir) qui éloignent les parcours dans la deuxième génération de migrants49. C’est d’ailleurs là que les différences de genre deviennent plus marquées et contribuent à influencer les destins sociaux50.

37Les nombreux facteurs qui rendent difficile l’expérience scolaire des enfants de la migration méridionale à Turin semblent être des constantes qui caractérisent l’expérience des familles migrantes et de leurs enfants dans divers contextes, indépendamment de la distance de la migration, ou du fait de traverser des frontières nationales. Pour cette raison, il nous semble que la recherche sur l’expérience scolaire des enfants des migrations internes en Italie, outre la lumière qu’elle jette sur quelques aspects cruciaux de l’histoire sociale italienne des années 1960, peut aussi contribuer au débat plus général sur le thème de l’insertion scolaire des enfants de migrants au niveau international.

Haut de page

Notes

1Franco Ramella, « Le migrazioni interne. Itinerari geografici e percorsi sociali », dans Paola Corti et Matteo Sanfilippo, Storia d’Italia, Annali 24,Migrazioni, Torino, Einaudi, 2009, p. 425-447 ; Angiolina Arru, Joseph Ehmer, Franco Ramella, « Migrazioni »,dansQuaderni Storici, n° 106, 2001.

2Michael Eve, « Una sociologia degli altri e un’altra sociologia. La tradizione di studio sull’immigrazione », dansQuaderni Storici, n° 106, 2001, p. 235.

3Assunto Quadrio, « Giudizi e pregiudizi degli insegnanti sugli alunni immigrati », dansContributi dell’Istituto di psicologia, vol 29, Università Cattolica del Sacro Cuore, Vita e Pensiero, Milano 1967 ; Assunto Quadrio, Francesco Ravaccia, « La difficoltà di integrazione scolastica degli alunni immigrati nelle scuole milanesi », dansIdem. ; Tullio Aymone,La scuola dell’obbligo. Città operaia, Laterza, Roma-Bari 1972 ; Luciano Cavalli,Gli immigrati meridionali e la società ligure, Milano, Franco Angeli, 1964.

4Michael Eve et Flavio Ceravolo,Half a century of internal and international migration : some long-term sociological consequences,Polis, 2, 2016.

5Archivio storico della città di Torino,Annuari statistici, 1959-1976.

6Ferruccio Deva,« L’adattamento dei ragazzi immigrati nella scuola elementare »,dansScuola e Città, n° 7-8, 1963.

7Gruppo piemontese del MCE (Movimento di cooperazione educativa) (a cura di), « Lavoro di quartiere a Torino », dansRiforma della scuola, n° 6-7, 1970.

8Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

9Ibid.

10Ibid.

11Franco Ramella, « La città fordista : un crocevia di movimenti », dans Maria Carmen Belloni (dir.),Torino. Luoghi urbani e spazi sociali, Rubbettino, Soveria Mannelli, 2011, p. 19-34.

12Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

13Ibid.

14Ibid.

15Ibid.

16Ibid.

17Ibid.

18Ibid.

19Entretien, Turin, 2011.

20Ibid.

21Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

22Ibid.

23Ibid.

24Ibid.

25Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

26Anna Badino, « Femmes, travail et migration dans la décennie de laménagérisation : le cas des grandes migrations internes en Italie dans les années 1960 », ILCEA, 34, 2019, mis en ligne le 15 janvier 2019, consulté le 11 juillet 2019. URL : <http://journals.openedition.org/ilcea/5698 ; DOI : 10.4000/ilcea.5698>.

27Entretien publié dansMarica D’Orio,Migrazioni familiari ad Asti negli anni Sessanta e Settanta,mémoire de licence, Università del Piemonte Orientale, Alessandria, 2010.

28Goffredo Fofi,L’immigrazione meridionale a Torino, Milano, Feltrinelli, 1976, p. 201.

29 Cynthia Feliciano, Ruben G. Rumbaut, « Gendered paths : Educational and occupational expectations and outcomes among adult children of immigrants », dansEthnic and Racial Studies, 28, 6, 2005, p. 1087-1118.

30Entretien, Turin, 2011.

31Ibid.

32Ibid.

33Ibid.

34Goffredo Fofi,op. cit.

35Archivio storico Scuola elementare Gian Enrico Pestalozzi, Torino,Registri di classe.

36Luciano Cavalli,op. cit.,p. 181-182.

37Ibid., p. 192.

38Ibid., p. 196.

39Assunto Quadrio,Giudizi e pregiudizi…, op. cit.,p. 127.

40Ibid., p. 129.

41Ibid., p. 137.

42Ibid., p. 139.

43 L’étude est citée par Assunto Quadrio.

44 Davide Lasagno,Crisi e riforma delle istituzioni psichiatriche torinesi (1958-1989), tesi di dottorato Università di Torino, 2008.

45 Associazione per la lotta alle malattie mentali,Atti del dibattito sulla validità delle classi differenziali nella scuola dell’obbligo, cité par Davide Lasagno,op. cit., p. 154.

46Ibid.

47 « Indagine sull’entità del fenomeno del disadattamento minorile nella provincia di Torino e sulle relative strutture diagnostiche e di trattamento esistenti, a cura del gruppo di lavoro promosso dal comitato provinciale per i minori disadattati presso l’ufficio provinciale A. A. I. (Amministrazione per le attività assistenziali italiane e internazionali) di Torino », cité dans Davide Larocca,La scuola elementare Cairoli nel quartiere di via Artom dagli anni ‘60 agli anni ‘80,tesi di laurea Università di Torino, a. a. 2001-02.

48 Nicola D’Amico,Storia e storie della scuola italiana,Bologne,Zanichelli, 2010.

49Anna Badino,« Mondo operaio e disuguaglianze. Le eredità delle migrazioni interne », dans Carlo Capello et Giovanni Semi (dir.),Torino. Un profilo etnografico, Milan, Meltemi, 2018 ;« Urban trajectories and social destinies : Children of immigrants in Turin and Marseille, 1960-1980 », dans Eleonora Canepari et Massimiliano Crisci (Eds.),Moving in Town. Intra-Urban Mobility from 1600 to the Present Day : Practices, Pathways, Contexts, Rome, Viella, 2019 ;« Quitter le Mezzogiorno : Parcours d’enracinement des Italiens en Provence et dans le nord-ouest de l’Italie entre 1945 et 1970 »,dansRevue européenne des migrations internationales, vol. 34, n° 1, 2018, p. 195-209.

50Anna Badino,« Il sorpasso. Percorsi sociali femminili nelle seconde generazioni di meridionali a Torino », dansMeridiana, n° 75, 2012, p. 109-130.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

AnnaBadino,« À l’école du Nord. La scolarisation des enfants de migrants du Mezzogiorno dans les années 1960 »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 143 | 2019, 85-100.

Référence électronique

AnnaBadino,« À l’école du Nord. La scolarisation des enfants de migrants du Mezzogiorno dans les années 1960 »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 143 | 2019, mis en ligne le01 septembre 2019, consulté le21 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/11992 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.11992

Haut de page

Auteur

AnnaBadino

Université de Florence

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licenceCC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Sommaire -Document précédent

Navigation

Index

Présentation

Numéros en texte intégral

Tous les numéros

Événements

Sites partenaires et amis

Informations

Suivez-nous

  • Facebook
  • Twitter
  • Flux RSS

Lettres d’information

Accès membres


Affiliations/partenaires

  • DOAJ - Directory of Open Access Journals
  • OpenEdition Journals

ISSN électronique 2102-5916

Voir la notice dans le catalogue OpenEdition 

Plan du site –Mentions légales & crédits –Contacts –Flux de syndication

CGU d’OpenEdition Journals –Politique de confidentialité –Gestion des cookies –Signaler un problème

Nous adhérons à OpenEdition –Édité avec Lodel –Accès réservé

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search


[8]ページ先頭

©2009-2025 Movatter.jp