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DOSSIER

Introduction : Une Botte en mouvement. Les migrations internes dans la péninsule italienne, du Moyen Âge à nos jours

MathieuGrenet et StéphaneMourlane
p. 13-21

Texte intégral

  • 1 Pour d’évidentes raisons d’accessibilité, nous avons choisi dans cette introduction de privilégier(...)

1De quelles migrations l’Italie d’aujourd’hui est-elle le produit ? Ou, formulé autrement : comment les mobilités ont-elles façonné à la fois la société et l’identité italiennes sur la longue durée ? À ces questions simples, les réponses n’ont rien d’évident, ne serait-ce que parce qu’elles invitent à poursuivre l’enquête dans plusieurs directions : celle de l’histoire des migrations, bien évidemment, mais également celle de la longue fragmentation territoriale d’une péninsule italienne tardivement (et fragilement) unifiée à partir des années 1860, ou encore celle des rapports de force – économiques, sociaux et politiques – qui déterminent ce que « faire nation » veut dire à telle ou telle période et dans telle ou telle configuration1.

  • 2 Voir par exemple Hervé Rayner, « L’Italie, pays d’immigration. La grande mutation »,Confluences mé(...)
  • 3 Voir notamment Matteo Sanfilippo, « La nuova emigrazione italiana (2000-2017) : il quadro storico e(...)

2L’affaire, pourtant, est connue : terre d’émigration massive depuis le milieu du 19e siècle, l’Italie ne serait devenue un pays d’immigration qu’à partir des années 1970, avec une forte accentuation à partir des années 1990, sous le triple effet conjugué de l’achèvement de sa transition démographique, d’un ajustement de son niveau de vie sur celui de ses principaux voisins européens et d’une mutation des dynamiques migratoires à l’échelle mondiale2. En retour, l’ultrapolarisation de la politique italienne autour de la problématique migratoire, comme la non moins inquiétante fuite des jeunes diplômés de la Péninsule3 (plus de 150 000 sur les cinq dernières années) ne feraient qu’attester du caractère brutal d’une transition mal anticipée, ainsi que des carences d’un État que l’on présente désormais volontiers comme le nouvel « homme malade de l’Europe ».

  • 4 Michele Colucci et Stefano Gallo (dir.),L’arte di spostarsi. Rapporto 2014 sulle migrazione intern(...)

3Pour séduisantes qu’elles soient, ces analyses ont en commun de préférer les cycles courts aux tendances plus longues, ainsi que de privilégier l’observation macro des migrations internationales aux dépens de celle, plus micro et plus fine, des mobilités internes à la péninsule italienne. Parfois considérées à tort comme de moindre ampleur que « l’émigration à l’étranger », ces migrations internes font l’objet dans le débat public d’une considération suivant une « intermittence bizarre », laquelle privilégie l’interprétation d’un « symptôme des nombreuses et infinies anomalies italiennes4 ».

  • 5 Pour une première approche historiographique, voir Bruno Bonomo, « Il dibattito storiografico sulle(...)
  • 6 Stefano Gallo,Senza attraversare le frontiere. Migrazione interne dall’Unità a oggi, Rome-Bari, La(...)
  • 7 Luigi Favero et Giuseppe Lucrezio Monticelli, « Un quarto di secolo di emigrazione italiana »,Stud(...)
  • 8 Michele Colucci et Stefano Gallo, « ‪Migration in Southern Europe since 1945 : The entanglement of(...)
  • 9 Voir notamment Francesco Paolo Cerase, « L’onda di ritorno », dans Piero Bevilacqua, Andrena De Cle(...)
  • 10 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 23.
  • 11Anno 2017. Mobilita’ interna e migrazioni internazionali della popolazione residente, ISTAT, 13 déc(...)

4Longtemps méconnue, cette histoire fait l’objet depuis quelques années d’une plus grande attention, notamment pour la période contemporaine5. Il ne saurait ici être question d’opposer schématiquement les unes aux autres : on le sait, mobilités régionales et migrations internationales non seulement s’entrecroisent, mais s’interpénètrent et se prolongent mutuellement. Si leur distinction peut momentanément permettre à l’historien de mieux identifier les ressources documentaires à mobiliser pour l’étude de tel ou tel type de circulation, l’expérience des acteurs historiques témoigne au contraire de la nécessité de penser leur articulation au plus près de stratégies migratoires qui ne posent pas systématiquement le facteur distance comme l’élément central de la mobilité6. Mieux, les circulations locales constituent parfois (notamment à l’époque contemporaine) autant de « tremplins » vers des déplacements de plus grande ampleur dans le cadre d’une « émigration rebondissante7 », ou au contraire viennent prolonger les inscriptions locales des individus comme des groupes au terme de leur « transfert » d’un pays à l’autre8. Quelle que soit l’ampleur géographique des déplacements étudiés, ceux-ci ne sauraient donc à aucun moment être considérés comme « définitifs », en ceci que même les mobilités transcontinentales n’ont jamais exclu ni des circulations ultérieures de moindre rayon ni des phénomènes d’allées et venues avec le pays, la région, voire le village d’origine9. Longtemps composées de flux « de campagne à campagne10 », les migrations internes ont tout particulièrement épousé un rythme saisonnier, tandis que les formes de pendularité n’ont eu de cesse de se développer et de se renouveler, jusqu’à ces jeunes gens qui, sans changer de résidence, partent aujourd’hui de Campanie ou des Pouilles pour travailler quatre ou cinq jours par semaine dans l’un des centres urbains du nord de la péninsule11.

  • 12 Enrico Pugliese,L’Italia tra migrazioni internazionali e migrazioni interne, Bologne, Il Mulino, 2(...)
  • 13Idem.
  • 14 En 2017, sur 1 335 000 transferts de résidence, 1 012 000 concernent des mobilités intra-régionales(...)

5Pour rendre compte des mobilités régionales ou locales ne se résume pas à une tentative de complexification des lignes de force traditionnelles de l’histoire des migrations italiennes. Il s’agit d’abord et avant tout de rendre sens des dynamiques sociales, démographiques et économiques qui structurent un paysage local longtemps décrit comme immobile, voire passif, notamment au regard de circulations internationales souvent présentées comme l’apanage de certains espaces (les ports et certaines villes) ainsi que de certains groupes sociaux (les élites, les intellectuels, certains artisans qualifiés, etc.)12. En lieu et place d’une « histoire immobile », l’étude fine des espaces même reculés (campagnes, montagnes) comme des groupes sociaux les plus humbles (journaliers, petits commerçants, domestiques, marginaux) rend compte d’une géographie plus complexe qu’il n’y paraît des relations entre les territoires de la Péninsule. Certes, les flux entre le Sud et le Nord n’ont cessé de croître depuis le 19e siècle ; encore au cours de ces vingt dernières années, plus d’un million de personnes ont quitté les régions méridionales pour se rendre dans le Centre-Nord13. Pour autant, les mobilités intrarégionales, tant au Nord qu’au Sud du pays, ne doivent pas être occultées : hier comme aujourd’hui, elles représentent en effet le plus large des mouvements de population internes14. Michele Colucci a ainsi raison de souligner que

  • 15 Michele Colucci, « Così lontane così vicine : le migrazioni interne ieri e oggi »,Meridiana, vol(...)

« par conséquent, en étudiant les migrations internes, les différents territoires doivent nécessairement être liés les uns aux autres, non seulement sur la base d’une comparaison, mais également sur la base des interactions qui caractérisent leur développement, leurs relations et leurs échanges réciproques, la longue et la courte durée. »15

  • 16 Anna Treves,Le migrazione interne nell’Italia fascista, Turin, Einaudi, 1976.
  • 17 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 67.
  • 18 Antonio Golini, « Le Migrazioni interne », dans Lucio Gambi et Giulio Bollati (dir.),Storia d’Ital(...)

6Force est de constater l’omniprésence de la mobilité comme phénomène structurant des sociétés tant urbaines que rurales, du Moyen Âge jusqu’à nos jours. L’historiographie tend le plus souvent à distinguer la période pré-unitaire de la période contemporaine, marquée par une amplification du phénomène en trois temps. D’abord, la seconde moitié du 19e siècle, où l’industrialisation permet l’accroissement des mobilités par le développement des moyens de transport, en particulier ferroviaire, et les nouveaux besoins de l’économie urbaine. Au cours de l’entre-deux-guerres, les mouvements de population internes s’intensifient dans des proportions jamais connues auparavant, et pas seulement en raison de la politique dirigiste menée en la matière par le régime fasciste16, ouvrant vers une « réelle unification démographique du pays17 ». Enfin, après-guerre, à l’heure du « miracle économique », se déploie la « grande émigration interrégionale18 » qui frappe par son ampleur (25 millions de personnes entre 1955 et 1970, soit presque l’équivalent du volume des migrations vers l’étranger entre 1860 et 1960) : de fait, elle est souvent associée aux migrations internes dans la mémoire collective, nourrie notamment par la littérature et le cinéma, à l’instar de l’emblématiqueRocco et ses frères de Luchino Visconti (1960).

  • 19 Giovanni Levi, Elena Fasano Guarini et Marco Della Pina, « Movimenti migratori in Italia nell’età m(...)

7Notre choix pour ce numéro thématique desCahiers d’histoire a été de faire le pari de la longue durée. Bien évidemment, cela ne retranche rien à l’impérieuse nécessité de produire des recherches à la fois précisément situées et finement contextualisées : c’est d’ailleurs ce à quoi s’attachent les cinq contributions rassemblées ici, dont chacune se fonde sur un important travail de recherche de première main. Mais par-delà les singularités, chacune s’emploie également à mettre en regard et à articuler des configurations qu’il s’agit de ne pas de penser comme autant d’isolats. On le sait, l’historiographie italienne a été durablement structurée par une forte tradition régionaliste, elle-même ancrée dans une histoire spécifique et reconduite jusque dans la dispersion territoriale des dépôts d’archives comme des sociétés savantes et autres équipes de recherche. De là l’impression d’une extrême fragmentation locale des terrains comme des études, et la durable difficulté à penser « le cas italien » comme autre chose que la somme de ses composantes régionales. Quant à la perspective de temps long, elle s’est également longtemps heurtée à une segmentation des champs d’étude en fonction de la périodisation canonique de l’historiographie italienne. En proposant de cheminer depuis le 14e siècle jusqu’aux années 1970, ce dossier n’entend bien évidemment pas imposer une approche généralisante qui araserait les spécificités des configurations migratoires d’une période à l’autre : il cherche au contraire à travailler échos et différences dans le sens d’une meilleure saisie de ce qui, d’un contexte à l’autre, participe du surgissement de la nouveauté autant que de la reconduction, voire de la requalification de pratiques antérieures19.

8Si elle s’inscrit dans une attention renouvelée aux formes longtemps minorées de la mobilité, l’étude des migrations internes à la péninsule italienne interroge – bien entendu au-delà du seul cas italien – des dynamiques sociales et spatiales, mais également économiques et politiques, qui affectent l’Europe entière sur la longue durée. On retiendra ici trois entrées, qui traversent tout ou partie des contributions rassemblées dans ce dossier.

  • 20 Eleonora Canepari, « Immigrati, spazi urbani e reti sociali nell’Italia d’antico regime », dans Pao(...)
  • 21 Angiolina Arru et Franco Ramella (dir.),L’Italia delle migrazioni interne. Donne, uomini, mobilità(...)
  • 22 Jacques Bottin et Donatella Calabi (dir.),Les étrangers dans la ville. Minorités et espace urbain(...)
  • 23 Laurence Fontaine, « Gli studi sulla mobilità in Europa nell’età moderna : problemi e prospettive d(...)

9Si nous n’ignorons pas – comme les contributeurs du dossier – qu’une grande part des mobilités internes concernent le monde rural, il paraît ici opportun de consacrer une première entrée aux villes, entendues non seulement comme les points d’arrivée des mobilités rurales dans un processus d’urbanisation désormais bien connu des historiens, mais également comme des lieux de production documentaire sur ces circulations20. On sait ce que l’existence même des espaces urbains doit aux phénomènes migratoires, ainsi que la manière dont l’afflux et le renouvellement constants de populations « étrangères » n’a cessé de redéfinir fonctions et profils urbains (en termes d’activités économiques, de stratification sociale ou de production des cadres institutionnels et normatifs)21. Bien qu’exploré de manière encore trop parcellaire, le cas italien illustre bien le caractère différencié de ce phénomène d’immigration urbaine, depuis les ruraux du Moyen Âge partis s’employer en ville auprès de familles bourgeoises et aristocratiques jusqu’aux Méridionaux contraints, notamment à partir des années 1950, de s’exiler vers les provinces plus urbanisées et industrialisées du nord de la péninsule. Bien entendu, une telle analyse ne saurait s’arrêter au seul constat de la taille des différentes villes étudiées et de leur attractivité sur leurshinterlands respectifs, mais doit également prendre en considération le caractère spécifique des différentes configurations politiques et sociales locales22. Dans la plupart des cas étudiés, en effet, les villes ne sont pas des espaces vers lesquels affluenttoutes les populations avoisinantes, mais de manière préférentielle tels ou tels groupes professionnels ou segments sociaux. À distance bien qu’en interaction souvent étroite avec les espaces urbains, les espaces ruraux ou montagnards apparaissent quant à eux non seulement traversés, mais structurés par le jeu et le rejeu continuel de mobiles, de stratégies et de réseaux migratoires souvent complexes23.

  • 24 On renverra sur ce point aux analyses toujours essentielles d’Abdelmalek Sayad,La double absence.(...)
  • 25 Claudia Moatti (dir.),La mobilité des personnes en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne.(...)
  • 26 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 86.
  • 27 Carl Ipsen,Demografia totalitaria. Il problema della populazione nell’Italia fascista, Bologne, Il(...)
  • 28 Michele Colucci et Stefano Gallo (dir.),L’arte di spostarsi…,op. cit., p. XV.

10Une deuxième entrée concerne ce que la mobilité fait aux statuts. On le sait, les migrations n’opèrent jamais comme le simple « transfert » d’individus et de groupes d’un lieu géographique et d’un milieu social à l’autre. En d’autres termes, si toute immigration en un lieu donné est aussi une émigration depuis un autre lieu, elle n’est jamais socialement un « jeu à somme nulle » : quitter un endroit pour s’installer dans un autre, même temporairement et/ou à faible distance, engage des recompositions plus larges au sein de ces espaces, que ce soit autour de la place ainsi laissée « vacante » ou de celle que le nouvel arrivant tente de négocier à son profit24. Cette approche « transactionnelle » des statuts et des inscriptions sociales se double bien évidemment d’un enjeu plus étroitement juridique et politique, qu’expriment la multiplication et la diversification, en particulier à partir de la fin de l’époque moderne, des procédures de contrôle et des techniques d’identification des individus comme des groupes25. Or, les migrations régionales, précisément parce qu’elles s’inscrivent dans le cas italien au sein d’un espace politiquement et juridiquement segmenté, ne sont pas exemptes de ces évolutions formelles : en retour, celles-ci exigent des candidats à la mobilité qu’ils transportent avec eux des documents d’identification dont la précision s’affine au cours du temps, tout comme elles justifient par ailleurs la formation et l’emploi de personnels spécialisés dans l’encadrement et le contrôle des populations mobiles, comme des espaces qu’elles traversent. La Première Guerre mondiale constitue en la matière une première tentative de l’État italien pour encadrer et contrôler les migrations internes26. Le régime fasciste, dans son ambition totalitaire, populationniste et autarcique, cherche à promouvoir une distribution rationnelle de la main-d’œuvre sur le territoire (élargi aux colonies)27. La politique de « bonification intégrale » des terres agricoles est érigée en symbole par la propagande, tandis qu’à partir de 1931, le Commissariat pour les migrations et la colonisation interne est en charge d’administrer cette politique aux résultats mitigés – à l’exception peut-être de la loi, adoptée en 1939 et maintenue en vigueur jusqu’en 1961, visant à limiter l’urbanisation, véritable « paradigme du contrôle social28 ».

  • 29 On suit ici l’analyse de Simona Cerutti,Étrangers : Étude d’une condition d’incertitude dans une s(...)
  • 30 Voir notamment Franco Ramella, « Le Migrazioni interne. Itinerari geografici e percorsi sociali »,(...)
  • 31 Michelangela Di Giacomo, « PCI e migrazioni interne nella Torino del “miracolo” », Diacronie, vol. (...)
  • 32 Voir notamment Christine Catarino, Mirjana Morokvasic et Marie-Antoinette Hily (dir.), « Femmes, ge(...)

11Une troisième entrée sur la question des mobilités régionales est celle des dominations de toute sorte qui s’exercent sur les individus mobiles comme sur les groupes migrants. On se gardera bien entendu d’identifiera priori la figure du migrant à celle du subalterne, pour souligner que la mobilité participe pleinement de cette « condition d’incertitude » qui, au-delà du niveau de richesse de chacun, qualifie l’expérience de l’« étranger » – de celui qui vient de loin comme de celui qui arrive d’une province voisine29. Mais pour les populations les plus fragiles économiquement (domestiques toscans du Moyen Âge, pauvres romains du 16e siècle, montagnards de l’Apennin à l’époque napoléonienne, paysans duMezzogiorno dans la première moitié du 20e siècle), cette difficulté d’accès aux ressources locales se double le plus souvent d’une reconduction dans et par-delà l’expérience migratoire de différentiels économiques et sociaux antérieurs à la mobilité elle-même30. Parce qu’à défaut d’opérer toujours « au plus proche », les migrations régionales s’inscrivent dans un cadre géographique relativement restreint, elles permettent de saisir de manière fine comment les dominations accompagnent et informent les mobilités, depuis le type de contrats professionnels que les travailleurs « étrangers » sont amenés à accepter jusqu’aux formes de ségrégation urbaines et résidentielles, et même par moment de rejet social, économique et/ou culturel dont sont victimes les populations allogènes les plus fragiles.A contrario, des formes de mobilisations promues par l’Église ou, à l’heure de la « Grande émigration interne », par le Parti communiste, ont pu ouvrir sur des formes de solidarités et favoriser l’intégration des nouveaux urbains31. De ce point de vue, les femmes, longtemps passées sous les radars historiographiques, ont développé des formes plus autonomes d’insertion sociale32.

  • 33 Angiolina Arru et Franco Ramella (dir.),L’Italia delle migrazioni interne,op. cit.
  • 34 Silvana Patriarca,Italianità. La costruzione del carattere nazionale, Rome-Bari, Laterza, 2010.

12Un dossier qui, comme celui que nous présentons ici, fait le choix de l’échelle locale et de la longue durée, peut-il prendre efficacement en charge la question du national ? On sera tenté de répondre positivement33, pour peu que l’on choisisse de ne pas réduire cette question à celle de l’État-nation, et donc d’interroger la part des mobilités régionales dans une « italianité » qui fut culturelle et sociale bien avant de s’incarner dans un projet politique explicitementitalien (1861)34. Pour la période antérieure au 19e siècle, cela implique bien sûr de ne pas rétrojeter sur les expériences de proximité, voire de familiarité culturelle entre populations de différents horizons, le périmètre étroit d’une constitution territoriale qui lui est largement postérieure. Mais cette démarche engage aussi à interroger les scansions traditionnelles d’une histoire plus récente à l’aune de la problématique migratoire : dans le cas italien, on peut ainsi se demander dans quelle mesure, selon quelle(s) modalité(s) et à quel(s) rythme(s) leRisorgimento, la transition unitaire, leVentennio fasciste ou encore la période dite du « miracle économique » (1950-1965) ont engagé des recompositions/requalifications successives, non seulement des mobilités régionales elles-mêmes, mais également de la manière dont celles-ci ont pu être perçues comme parties prenantes d’une « communauté de destin » indissociable du projet – voire du roman – national italien. Menée sous l’impulsion du redoutable Matteo Salvini, la récente transformation d’un mouvement régionaliste, ouvertement hostile à l’afflux des Méridionaux vers les riches métropoles du nord de la péninsule, en un parti d’envergure nationale obsédé par la lutte « patriotique » contre l’immigration extra-européenne (en proportion pourtant très largement inférieure aux migrations internes !) pourrait ainsi ne constituer qu’un sinistre avatar moderne d’une question qui travaille l’histoire longue de la construction de l’identité italienne.

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Notes

1 Pour d’évidentes raisons d’accessibilité, nous avons choisi dans cette introduction de privilégier les références en langue française et de limiter au maximum celles à des ouvrages en langue étrangère. Il va néanmoins sans dire que la bibliographie italienne sur la thématique de ce dossier est très vaste, et nous renvoyons les lecteurs italophones à l’appareil critique des différentes contributions rassemblées ici.

Voir notamment Gilles Pécout, « Retrouver la nation des Italiens ? Le sentiment national dans les régimes d’identité de l’Italie contemporaine », dans Marc Lazar (dir.),L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris, Fayard, 2009, p. 129-141.

2 Voir par exemple Hervé Rayner, « L’Italie, pays d’immigration. La grande mutation »,Confluences méditerranéennes, vol. 68, 2009, p. 45-54. Pour une synthèse récente, voir Michele Colucci,Storia dell’immigrazione straniera in Italia. Dal 1945 ai giorni nostri, Rome, Carocci, 2018.

3 Voir notamment Matteo Sanfilippo, « La nuova emigrazione italiana (2000-2017) : il quadro storico e storiografico »,Studi emigrazione, vol. 207, 2017, p. 359-378 ; Enrico Pugliese,Quelli che se ne vanno. La nuova emigrazione italiane, Bologne, Il Mulino, 2018. Sur l’émigration à destination de la France, voir Thomas Pfirsch et Camille Schmoll, « Une nouvelle vague d’immigration italienne en France », dans Stéphane Mourlane et Dominique Païni (dir.),Ciao Italia. Un siècle d’immigration et de culturesitaliennes en France, Paris, La Martinière, 2017, p. 179-181.

4 Michele Colucci et Stefano Gallo (dir.),L’arte di spostarsi. Rapporto 2014 sulle migrazione interne in Italia,Rome, Donzelli, 2014, p. VIII.

5 Pour une première approche historiographique, voir Bruno Bonomo, « Il dibattito storiografico sulle migrazioni interne italiane del secondo dopoguerra »,Studi emigrazione, vol. 155, 2004, p. 679-692 ; Matteo Sanfilippo, « Nuovi studi sulle migrazioni interne »,Studi emigrazione, vol. 199, 2015, p. 483-488.

6 Stefano Gallo,Senza attraversare le frontiere. Migrazione interne dall’Unità a oggi, Rome-Bari, Laterza, 2012, p. IX.

7 Luigi Favero et Giuseppe Lucrezio Monticelli, « Un quarto di secolo di emigrazione italiana »,Studi emigrazione, vol. 25-26, 1972, p. 1-91.

8 Michele Colucci et Stefano Gallo, « ‪Migration in Southern Europe since 1945 : The entanglement of many mobilities‪ »,Revue européenne des migrations internationales, ‬‬‬‬vol. 34, 2018, n° 1, p. 53-77‬‬‬‬‬‬.‬‬‬‬‬‬

9 Voir notamment Francesco Paolo Cerase, « L’onda di ritorno », dans Piero Bevilacqua, Andrena De Clementi et Emilio Franzina (dir.),Storia dell’emigrazione italiana.Partenze, Rome, Donzelli, 2001, p. 113-125.

10 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 23.

11Anno 2017. Mobilita’ interna e migrazioni internazionali della popolazione residente, ISTAT, 13 décembre 2018, <https://www.istat.it/it/files/2018/12/Report-Migrazioni-Anno-2017.pdf>.

12 Enrico Pugliese,L’Italia tra migrazioni internazionali e migrazioni interne, Bologne, Il Mulino, 2002.

13Idem.

14 En 2017, sur 1 335 000 transferts de résidence, 1 012 000 concernent des mobilités intra-régionales (source ISTAT).

15 Michele Colucci, « Così lontane così vicine : le migrazioni interne ieri e oggi »,Meridiana, vol. 75, 2012, p. 10.

16 Anna Treves,Le migrazione interne nell’Italia fascista, Turin, Einaudi, 1976.

17 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 67.

18 Antonio Golini, « Le Migrazioni interne », dans Lucio Gambi et Giulio Bollati (dir.),Storia d’Italia, 6,Atlante, Turin, Einaudi, 1976, p. 725-726.

19 Giovanni Levi, Elena Fasano Guarini et Marco Della Pina, « Movimenti migratori in Italia nell’età moderna »,Bollettino di Demografia storica, vol. 12, 1990, p. 19-34.

20 Eleonora Canepari, « Immigrati, spazi urbani e reti sociali nell’Italia d’antico regime », dans Paola Corti et Matteo Sanfilippo (dir.),Storia d’Italia, Annali, 24, Migrazioni, Turin, Einaudi, 2009, p. 55-74

21 Angiolina Arru et Franco Ramella (dir.),L’Italia delle migrazioni interne. Donne, uomini, mobilità in età moderna e contemporanea, Rome, Donzelli, 2003, p. XI. Pour une perspective plus largement européenne, voir Jan De Vries,European Urbanization, 1500-1800, Londres, Methuen & Co., 1984 ; Leslie Page Moch,Moving Europeans : Migrations in Western Europe since 1650, Bloomington, Indiana University Press, 1992.

22 Jacques Bottin et Donatella Calabi (dir.),Les étrangers dans la ville. Minorités et espace urbain du bas Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999.

23 Laurence Fontaine, « Gli studi sulla mobilità in Europa nell’età moderna : problemi e prospettive di ricerca »,Quaderni Storici, vol. 93, 1996, n° 31-3, p. 739-756 ; Luigi Lorenzetti,Économie et migrations au XIXe siècle : les stratégies de la reproduction familiale au Tessin, Berne, Peter Lang, 1999.

24 On renverra sur ce point aux analyses toujours essentielles d’Abdelmalek Sayad,La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Éditions du Seuil, 1999.

25 Claudia Moatti (dir.),La mobilité des personnes en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et documents d’identification, Rome, École française de Rome, 2004.

26 Stefano Gallo,Senza attraversare…, op. cit.,p. 86.

27 Carl Ipsen,Demografia totalitaria. Il problema della populazione nell’Italia fascista, Bologne, Il Mulino, 1997.

28 Michele Colucci et Stefano Gallo (dir.),L’arte di spostarsi…,op. cit., p. XV.

29 On suit ici l’analyse de Simona Cerutti,Étrangers : Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012.

30 Voir notamment Franco Ramella, « Le Migrazioni interne. Itinerari geografici e percorsi sociali », dans Paola Corti et Matteo Sanfilippo (dir.),Storia d’Italia, Annali, 24, Migrazioni, op. cit., p. 425-447.

31 Michelangela Di Giacomo, « PCI e migrazioni interne nella Torino del “miracolo” », Diacronie, vol. 9, 2012, n° 1 ; URL : <http://journals.openedition.org/diacronie/2938>.

32 Voir notamment Christine Catarino, Mirjana Morokvasic et Marie-Antoinette Hily (dir.), « Femmes, genre, migrations et mobilités », numéro thématique de laRevue européenne des migrations internationales, vol. 21, 2005, n° 1. Pour le cas italien, voir Anna Badino,Tutte a casa ? Donne tra migrazione e lavoro nella Torino degli anni Sessanta, Rome, Viella, 2008.

33 Angiolina Arru et Franco Ramella (dir.),L’Italia delle migrazioni interne,op. cit.

34 Silvana Patriarca,Italianità. La costruzione del carattere nazionale, Rome-Bari, Laterza, 2010.

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Pour citer cet article

Référence papier

MathieuGrenet et StéphaneMourlane,« Introduction : Une Botte en mouvement. Les migrations internes dans la péninsule italienne, du Moyen Âge à nos jours »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 143 | 2019, 13-21.

Référence électronique

MathieuGrenet et StéphaneMourlane,« Introduction : Une Botte en mouvement. Les migrations internes dans la péninsule italienne, du Moyen Âge à nos jours »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 143 | 2019, mis en ligne le01 septembre 2019, consulté le19 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/chrhc/11574 ;DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.11574

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Auteurs

MathieuGrenet

INU Champollion d’Albi, UMR 5136 Framespa

StéphaneMourlane

Université d’Aix-Marseille, UMR Telemme

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licenceCC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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