1Localisé dans le Revermont, à la lisière des départements du Jura et de l’Ain, le village de Nanc-lès-Saint-Amour est blotti au pied du premier plateau du Jura, à la charnière de la plaine de Bresse qu’il domine d’environ 200 m. L’église bâtie au sommet d’un promontoire naturel, en marge nord-ouest du village, borde la rue principale, dite rue de l’église, rejoignant la route départementale de Coligny à Saint-Amour.
2L’intervention archéologique réalisée en décembre 2019, en amont de travaux commandités par la Conservation régionale des Monuments historiques, a livré des données accréditant l’existence d’un premier édifice religieux édifié entre le milieu duxeet le premier tiers duxie siècle, dont les vestiges ont fait l’objet d’un article publié dans le précédent numéro de la revue. La présente contribution traite pour sa part des dépôts de céramiques observés dans certaines tombes desxviiie-xixe siècles, révélant une pratique tout à fait singulière à l’époque contemporaine.
3La forte densité de tombes relevée devant le portail de l’église révèle une longue utilisation du cimetière, occasionnant de nombreux recoupements et des vidanges de sépultures comme l’attestent les alvéoles vides dans la roche (fig. 1 à 3).
Fig. 1 – Localisation des sondages archéologiques et phasage de l’édifice.
DAO D. Billoin et V. Bourson.
Fig. 2 – Relevés d’ensemble des sépultures avec en grisé la première phase d’inhumation, sondage 3.
Les étoiles localisent les dépôts de céramiques.
DAO D. Billoin, V. Bourson, J. Maestracci.
4Il en résulte des tombes lacunaires pour la plupart, peu instructives sur les pratiques funéraires – traces de cercueil et présence d’un linceul. La majorité des tombes se rattachent à la phase la plus récente d’utilisation du cimetière, située auxxviiie etxixe siècles d’après le mobilier recueilli dans les terres du cimetière – perles de chapelet, liard de France de 1694, fragments de céramiques d’époques moderne et contemporaine – et les pierres tombales qui couvraient initialement une partie de cet espace. Ces dernières s’échelonnent de 1774 à 1862, soit peu de temps avant le transfert du cimetière en 1869.
5Les céramiques complètes découvertes dans le comblement de tombes correspondent à une pratique insolite pour la Franche-Comté. Localisés exclusivement dans le sondage 3, au nord de l’entrée de l’église, ces récipients se trouvaient à l’extérieur du cercueil, à 15 ou 20 cm au-dessus des squelettes, ouverture tournée vers le haut, ce qui suggère un dépôt pratiqué avec soin lors de l’enterrement du défunt (fig. 4).
Fig. 4 – Exemple de dépôt d’une céramique dans le comblement de la fosse, au-dessus du cercueil.
Cliché D. Billoin.
6Certains de ces objets semblent cependant avoir été dérangés au gré des inhumations successives, et parfois endommagés à cette occasion.
7Les treize récipients d’époque contemporaine dénombrés sur le site appartiennent seulement à deux types de contenants à usage individuel, les écuelles et les tasses1 (fig. 5).
8Formes ouvertes de petite taille, elles font partie du service de table ; les premières, évasées, sont dotées de deux oreilles opposées, les secondes d’une petite anse pleine. Cuites en atmosphère oxydante, les céramiques présentent toutes une pâte fine orange sans inclusions visibles à l’œil nu et portent un engobe ; une glaçure plombifère transparente recouvre le tout.
9Les deux écuelles à oreilles à décor d’engobes du lot sont couvertes, sur l’intérieur et le bandeau, d’un engobe blanc et portent un décor assez sommaire réalisé à la barbotine rouge. Elles présentent de semblables caractéristiques : même pâte (fine orange), même technique de fabrication (décor d’engobes), même forme générale – large bandeau vertical, oreilles rectangulaires légèrement redressées –, mêmes dimensions ; seul le décor diffère (fig. 6/1-2). De telles similitudes invitent à penser que ces écuelles proviennent toutes deux du même atelier de potier.
Fig. 6 – Céramiques contemporaines : écuelles à décor d’engobes (1-2), tasses glaçurées (3-9 et 11), écuelles glaçurées (10 et 12).
DAO V. Bourson.
10Les autres écuelles glaçurées et les tasses sont fabriquées selon une même technique : une glaçure plombifère recouvre l’engobe appliqué sur le récipient. Pour l’intérieur des objets, l’artisan combine ensuite les couleurs de l’engobe et de la glaçure pour obtenir une teinte jaune grâce à un engobe blanc et à une glaçure transparente virant au jaune clair lors de la cuisson (fig. 6/3-6 et 6/12), verte (engobe blanc et glaçure verte, fig. 6/11) ou brune, l’engobe utilisé étant alors de couleur rouge et la glaçure transparente (fig. 6/7-10). L’extérieur est quant à lui toujours d’un brun plus ou moins clair, à l’exception de la tasse 6 dont la paroi externe est de couleur beige. Les tasses bicolores présentent une face extérieure monochrome ou décorée. Dans ce cas-là, il peut s’agir de taches jaunes sur fond marron (fig. 6/4), de jaspures marron et brunes (fig. 6/5) ou de petites taches de manganèse se détachant sur fond clair (fig. 6/6). Les deux dernières formes de la série, plus fragmentaires, sont une écuelle dont l’intérieur est couvert d’une glaçure brune (fig. 6/10) et une forme ouverte, probablement une écuelle, jaune clair avec un filet marron sous la lèvre (fig. 6/12).
11L’une des tasses porte, au revers sur le fond, une inscription lacunaire sur deux lignes gravée après cuisson. Il s’agit vraisemblablement du nom de son propriétaire : Claude / Chap[…], sans doute pour « Chapuis » (fig. 6/6). Si aucune personne ne porte ce patronyme auxviiie et auxixe siècle dans les communes de Nanc-lès-Saint-Amour, Villette-lès-Saint-Amour et l’Aubépin, villages dont les paroissiens sont enterrés dans le cimetière de Nanc, en revanche une certaine Marie Chapuis meurt à l’Aubépin le 3 mars 1886. Cette agricultrice, âgée de quarante-neuf ans lors de son décès, était l’épouse de Pierre Auguste Marza. Originaire de Domsure, un petit village de l’Ain distant d’à peine 7 km de Nanc-lès-Saint-Amour, elle était la fille de Claude Chapuis – nom gravé sous la tasse – et de Claudine Landry (fig. 7). Cette tasse marquée appartenait peut-être au père de Marie…
12La technique de la céramique jaspée apparaît à Lyon au début duxviie siècle2 et en Franche-Comté plutôt à la fin de ce siècle et au début duxviiie siècle3. À partir du milieu duxviiie siècle, la céramique jaspée n’est plus très en vogue puisqu’elle ne représente plus que 5 % des vases découverts à Lyon ; cette technique décorative est exclusivement utilisée pour la vaisselle de table avec une très large proportion pour les écuelles à oreilles. Plus massifs que ceux du siècle précédent, ces récipients individuels portent des décors moins élaborés qu’auparavant, et les éléments de préhension sont relevés à leur extrémité4. Les exemplaires découverts dans le cimetière de Nanc-lès-Saint-Amour s’apparentent à ces écuelles lyonnaises de la seconde moitié duxviiie siècle.
13Cinq récipients portent les traces d’une utilisation antérieure à leur dépôt dans le cimetière. Ainsi, des marques de chauffe, visibles sur l’extérieur et le fond des deux écuelles à oreilles décorées aux engobes (cf. fig. 6/1-2) et sur la tasse gravée (cf. fig. 6/6), témoignent-elles du passage au feu des récipients. Par ailleurs, le fond de l’une des tasses est usé sur le pourtour, la glaçure brune ayant totalement disparu à cet endroit (cf. fig. 6/7). Une autre tasse, enfin, est visiblement une pièce de second choix : en effet, la paroi externe porte la trace d’un objet circulaire ayant collé à la tasse lors de la cuisson dans le four du potier (cf. fig. 6/3).
14Un récent colloque portant sur les dépôts funéraires de céramiques a montré que le dépôt de céramique était une pratique très marginale en Franche-Comté, et plus largement dans l’est de la France5. Quelques dépôts de céramiques contenant des offrandes alimentaires ont été répertoriés en Franche-Comté du milieu duvie siècle à la fin duviie siècle. À l’église de Saint-Hymetière (Jura), dans la seconde moitié duxie et la première moitié duxiie siècle, deux individus sont enterrés l’un avec un petit pot en terre cuite et les restes d’une patère en plomb, l’autre avec un calice en plomb. Enfin, le seul exemple connu d’écuelle à oreilles déposée sur un cercueil auxviiie siècle a été observé dans l’église Saint-Maurice de Boult en Haute-Saône6. À Meinier, en Suisse, dans l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, une tasse glaçurée à oreilles duxviiie siècle a été déposée à l’extérieur du cercueil7, comme nos exemplaires franc-comtois, tandis que le cimetière paroissial de Talloires en Haute-Savoie, utilisé jusqu’en 1780, a livré une écuelle ; cette découverte constitue, à ce jour, l’unique témoignage d’un dépôt de céramique dans une tombe en Savoie pour l’époque moderne8.
15Si cette pratique funéraire est surtout répandue dans le sud de la France – Provence, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon – dès lesixe-xie siècles, elle se propage dans presque toute la France duxiie auxive siècle, à l’exception toutefois de la Bretagne, de l’est et du nord-est du pays, puis tend à disparaître auxve siècle dans presque toutes les régions, excepté dans le Centre, dans la région parisienne et en Champagne. Les découvertes sont alors plus sporadiques. Toutefois, dans le Bas-Berry et dans la Marche limousine subsiste encore de nos jours un rite funéraire désigné sous le terme de coutume de l’écuelle du mort : un récipient ayant contenu de l’eau bénite est jeté dans la fosse sépulcrale après la cérémonie religieuse. Cette coutume est également décrite en Auvergne où l’écuelle est supplantée par un bol de faïence ou de porcelaine, voire plus récemment par un simple verre ou un récipient en plastique9. Les écuelles et les plats, qui remplacent dans les tombes les récipients culinaires desixe-xiie siècles, apparaissent tardivement sur les sites funéraires, notamment à partir de l’époque moderne en Provence dans le cimetière de La Ciotat (13) auxviie siècle10 et à Comprégnac dans l’Aveyron, où plusieurs dépôts d’écuelles ont été répertoriés pour lesxvie-xviie siècles11. Des dépôts d’écuelles contenant fréquemment de la cendre et des charbons de bois sont attestés dans l’Oise, où la pratique semble disparaître auxviiie siècle et aurait fait l’objet d’un édit d’interdiction sous le règne de Louis XIII, tout au moins pour les ecclésiastiques12.
16Il apparaît donc que les contenants utilisés comme dépôt funéraire se rapportent pour l’essentiel à l’équipement domestique, des objets simples de la vie quotidienne, donc bon marché et usagés dans la plupart des cas. Fréquemment complets, ils portent en effet souvent des traces d’usage ou d’usure, témoignage indéniable d’une utilisation antérieure à celle de vase funéraire.
17Les pots qui participent de la liturgie des funérailles chrétiennes auraient pu contenir de l’eau bénite contribuant à la protection de l’âme des défunts, des charbons ou de l’encens. Dans le cas des céramiques du cimetière de Nanc-lès-Saint-Amour, il semble que peut être écartée l’utilisation d’encens ou de charbons de bois, car aucune trace de chauffe sur la paroi interne des récipients ne confirme un tel emploi. Un témoignage de la fin duxixe siècle rapporte une coutume singulière pratiquée lors des funérailles de Montagna-le-Reconduit, village situé à quelques kilomètres de Nanc-lès-Saint-Amour. Lorsque le prêtre a terminé la cérémonie au cimetière, l’un des parents du défunt s’approche de la fosse et jette sur le cercueil l’écuelle remplie d’eau bénite avec laquelle les parents et les amis ont aspergé le corps13. Une pratique encore vivace localement il y a un siècle en Franche-Comté, mais restée méconnue faute de fouille de cimetières récents.
Reçu : 11 mai 2020 – Accepté : 3 mai 2021
1 L’un d’eux, une tasse très fragmentaire, n’est pas illustré.
2 A. Horry,Poteries du quotidien en Rhône-Alpes,xvie,xviie,xviiie siècles. Un panorama des techniques, des formes et des décors, Lyon, 2015, p. 81.
3C. Goy, C. Munier, M.-H. Chenevoy, F. Pourbahaman et P. Haut, « Trahi par sa poubelle ! Petite histoire de la vie quotidienne aux temps modernes à Besançon »,in J.-O. Guilhot et C. Goy (dir.),20 000 m3 d’histoire. Les fouilles du Parking de la Mairie à Besançon, Besançon, 1992, p. 300-388.
4 A.Horry,Poteries du quotidien…,op. cit., p. 82-83.
5 A. Bocquet-Liénard, C. Chapelain de Serévilleniel, S. Dervin et V. Hincker (dir.),Les pots dans la tombe (ixe-xviiie siècle). Regards croisés sur une pratique funéraire en Europe de l’Ouest, Caen, 2017, p. 359-368.
6 D. Billoin et F. Passard-Urlacher, « Le dépôt de récipients dans la tombe, une pratique marginale en Franche-Comté duixe auxviiie siècle »,in A. Bocquet-Liénardet alii(dir.),Les pots dans la tombe…,ibid., p. 359-368.
7 J. Terrier (dir.) et M. Haldimann, « Les fouilles archéologiques de l’église Saint-Pierre-et-Paul de Meinier »,Genava, 42 (2004), p. 215-310.
8 A. Horry, « Des pots dans les tombes en Rhône-Alpes entre lexe et lexviiie siècle. Une pratique méridionale »,in A. Bocquet-Liénardet alii(dir.),Les pots dans la tombe…,op. cit., p. 55-70.
9 G. Pic et H. Vertet, « Écuelles des morts du xviiie siècle trouvées à Moulins (Allier), faubourg de la Madeleine », inActes du 88e Congrès national des sociétés savantes, Clermont-Ferrand, 1963, Paris, 1965, p. 169-174.
10C. Richarté,É. Baillyet D. Carru, « Des pots dans la tombe. État de la question dans l’espace provençal »,in A. Bocquet-Liénardet alii(dir.),Les pots dans la tombe…,op. cit., p. 35-48.
11R. Carmeet R. Corrochano, « Des pots dans la tombe entre Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon au Moyen Âge et à l’époque moderne (ixe-xviie siècles) »,in A. Bocquet-Liénardet alii(dir.),Les pots dans la tombe…,ibid., p. 87-123.
12 J.-P. Angot et A. Rapin, « Un habitat abandonné au 18e siècle – Le Montel. Les sépultures et le rituel d’inhumation »,Revue archéologique de l’Oise, 3 (1973), p. 17-26.
13 Abbé Domenech,Les confessions d’un curé de campagne, Paris, 1883, p. 225.
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Titre | Fig. 1 – Localisation des sondages archéologiques et phasage de l’édifice. |
Crédits | DAO D. Billoin et V. Bourson. |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/18248/img-1.jpg |
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Titre | Fig. 2 – Relevés d’ensemble des sépultures avec en grisé la première phase d’inhumation, sondage 3. |
Légende | Les étoiles localisent les dépôts de céramiques. |
Crédits | DAO D. Billoin, V. Bourson, J. Maestracci. |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/18248/img-2.jpg |
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Titre | Fig. 3 – Vue d’ensemble du sondage 3 implanté devant le portail de l’église. |
Crédits | Cliché D. Billoin. |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/18248/img-3.jpg |
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Titre | Fig. 4 – Exemple de dépôt d’une céramique dans le comblement de la fosse, au-dessus du cercueil. |
Crédits | Cliché D. Billoin. |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/18248/img-4.jpg |
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Titre | Fig. 5 – Distribution de la céramique contemporaine. |
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Titre | Fig. 6 – Céramiques contemporaines : écuelles à décor d’engobes (1-2), tasses glaçurées (3-9 et 11), écuelles glaçurées (10 et 12). |
Crédits | DAO V. Bourson. |
URL | http://journals.openedition.org/cem/docannexe/image/18248/img-6.jpg |
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Titre | Fig. 7 – Acte de décès de Marie Chapuis (AD du Jura, 3 E 8368). |
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CorinneGoy, DavidBilloin et JérémyMaestracci,« L’église Saint-Martin de Nanc-lès-Saint-Amour (Jura) – 2e partie : le cimetière et les dépôts de récipients liturgiques duxviiie-xixe siècle », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], 25.1 | 2021, mis en ligne le25 juin 2021, consulté le21 avril 2025.URL : http://journals.openedition.org/cem/18248 ;DOI : https://doi.org/10.4000/cem.18248
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