Chapitre I. La langue du coran et du Ḥadīṯ
p. 17-82
Texte intégral
1Le Coran tient une place considérable, et, de plus, la première, dans l'histoire de la langue arabe et dans la réflexion sur cette langue. Une telle affirmation demandera sans doute à être justifiée du point de vue qui nous occupe, mais un simple parcours à travers les études linguistiques arabes des premiers siècles ne peut manquer d'attirer déjà l'attention sur cette place particulière, privilégiée, du Coran dans ce domaine, et sur le fait que c'est, pour ces études, un texte fondamental, au sens propre du terme. C'est la raison pour laquelle une étude sur la formation de la langue philosophique de Farabi ne peut laisser de côté la manière dont le problème de la langue arabe se pose avec le Coran. Car la problématique de Farabi n'est pas indépendante du contexte linguistique dans lequel elle s'est élaborée, et ce contexte, auive/xe siècle, n'est pas à son tour indépendant de l'influence, directe ou indirecte, du Coran.
2C'est donc en fonction du Coran et par rapport à lui que nous commençons cette étude, en considérant qu'au fur et à mesure que nous avancerons, les raisons du choix de ce point de vue apparaîtront clairement.
3Et si notre étude commence avec le Coran, la question se pose de l'avant-Coran, de l'arabe avant le Coran, de la langue antéislamique.
I - AVANT LE CORAN
LA LANGUE ARABE AVANT LE CORAN
4Que pouvons-nous dire de l'arabe avant le Coran ? Disposons-nous d'éléments nous permettant de répondre à une telle question ? Et ensuite, que pouvons-nous dire des rapports existant entre Muḥammad et la langue et la littérature arabe ?
5La question de l'arabe avant le Coran peut être envisagée sous différents points de vue. Celui qui se présente en général le premier à l'esprit est celui de la langue de la littérature antéislamique. Nous ne voulons pas soulever ici toutes les questions relatives au problème de la littérature de laĞāhiliyya et de son authenticité1, mais nous retiendrons seulement ce qui nous intéresse, à savoir que la connaissance que nous pouvons avoir de cette langue et de cette littérature est pratiquement indissociable de l'Islam et de la langue du Coran.
6Certes, il ne viendrait à l'idée de personne, quel que soit son acharnement à contester l'authenticité de la poésie antéislamique, d'affirmer qu'il n'y a eu aucune activité littéraire avant la naissance de l'Islam. Mais le paradoxe est là : cette activité littéraire ne nous a pas été conservée dans des documents antérieurs à l'Islam, et le premier et le plus ancien document littéraire authentique connu en arabe reste, jusqu'à ce jour, le Coran. Tel est le paradoxe de l'arabe et de l'histoire de la langue arabe : le terme se trouve inclus dans le point de départ, l'achèvement dans le commencement ; il n'y a pas de préhistoire à considérer dans l'étude de l'histoire des productions en langue arabe.
7Mais ceci doit éveiller notre attention. S'il n'y a pas de préhistoire, peut-il y avoir ultérieurement histoire ? Si l'achèvement est inclus dans le commencement, y a-t-il possibilité d'évolution et de développement historique ? Ces particularités ne manqueront pas de caractériser la situation de la langue arabe à la fin duvie ou au début duviie siècle.
8Et tout d'abord, quand nous disons que le premier texte littéraire arabe que nous possédons est le Coran, il ne faut pas omettre de préciser que nous entendons par là le texte du Coran tel qu'il nous a été transmis, c'est-à-dire le Coran mis par écrit à partir de 644, sous le califat de ‘Uṯmān, par Zayd b. Ṯābit, à partir du corpus d'Abū Bakr : nous sommes au milieu duviie siècle2. Et tout ce que nous savons sur la langue arabe, antérieurement à cette date, ne repose que sur des fragments de documents fort défectueux, ou sur des documents plus élaborés, mais qui sont alors bien postérieurs à l'époque à laquelle ils renvoient. Seul le Coran, qui nous est parvenu dans des manuscrits découlant de la Vulgate‘uṯmānienne, nous fait remonter directement jusqu'au milieu duviie siècle.
9Si notre document le plus ancien ne remonte pas plus haut, nous en sommes réduits, dans notre recherche sur la représentation de la langue chez les Arabes avant le Coran, à nous appuyer sur le Coran lui-même et sur des documents postérieurs. Seul le premier nous intéresse ici dans la mesure où les documents qui suivront seront tous marqués par lui et n'auront donc pas le même caractère d'originalité ou de primauté.
10Pour savoir comment est perçue la langue arabe avant le Coran, nous devons donc ouvrir le Coran et y rechercher ce qui peut nous renseigner sur cette langue arabe antérieure. La première question que nous nous poserons sera de savoir comment sont perçus les termes delangue etlangage, et ce que signifie l'opposition arabe/non-arabe (‘arabī/‘ağamī).
11En ce qui concerne la langue, le terme deluġa n'est pas utilisé dans le Coran, mais la racine LĠW y est employée 11 fois sous trois formes différentes : la troisième personne du pluriel de l'accompli de la quatrième forme (1 fois), le participe présent féminin (1 fois), et lemaṣdar,laġw (9 fois). Dans les trois cas, la signification véhiculée par cette racine est celle d'une parole vaine, qui n'est pas bonne, dont la prétention s'oppose à la parole saine. Mais la racine comporte aussi l'idée de « ce dont on ne tient pas compte, qui n'a pas plus d'importance que le son émis par un oiseau »3.
12Ainsi : « lā tasma‘ū li-hāḏā al-Qur’ān, wa ilġaw fīhi » (« N'écoutez pas ce Coran et ne le prenez pas au sérieux, négligez-le »4).
13A deux reprises, cette racine est utilisée en rapport avec les serments pour en qualifier le caractère léger et irréfléchi : « lā yu’āḫiḏukum Allāh bi-l-laġwi fī aymānikum » (« Dieu ne vous punira pas pour un serment fait à la légère »5).
14Le reste des usages du terme — huit autres emplois — vise la parole futile ou le propos vain, et dans la plupart des cas (cinq usages), ce terme est lié à l'audition (tout comme le premier emploi analysé plus haut) : « lā yasma‘ūna fīhā laġwan » (« Ils n'y entendront pas de paroles futiles »6).
15Ce terme delaġw désigne ainsi une parole sans fondement, qui ne mérite guère que l'on s'y arrête pour y prêter attention, qui suppose plutôt, comme en 25, 72, que l'on s'en écarte lorsque l'on passe à proximité. Tout ceci est lié au caractère oral, limité, de ces paroles qui ne sont qu'émission sonore et ne renvoient pas à une pensée, à une réflexion ou à une tradition, en ce sens qu'elles ne transmettent aucun contenu. De plus, à aucun moment, ce terme delaġw n'est mis en rapport avec la parole ou la langue arabe. Ce ne sera pas le cas, au contraire, comme nous allons le voir, pour le terme delisān.
16La racine LSN est utilisée vingt-cinq fois dans le Coran, ce qui n'est pas considérable, surtout si l'on tient compte des doublets. Elle est utilisée sous les différentes formes, au singulier ou au pluriel, du substantiflisān. Ces usages se répartissent en deux grandes catégories : la langue commeorgane situé dans la bouche et servant à l'expression (16 fois), et la langue au sens delangage (9 fois). Le sens d'organe est celui qui est relevé le premier dans les dictionnaires de termes coraniques7. Dans le sens d'organe de l'expression, le terme delisān intervient dans un contexte lié à la révélation coranique et à son histoire : c'est un don de Dieu8 ; elle permet l'annonce de la Parole de Dieu9 ou elle est utilisée par les méchants dont la langue profère ou colporte le mensonge, c'est-à-dire ce qui n'est pas conforme à la Parole et à la révélation divines10 et témoigne de leurs forfaits11. C'est cette langue qui, par l'intermédiaire de David et de Jésus, profère la malédiction divine12 ou des paroles révélées. C'est surtout cette langue qui doit servir à la récitation du Coran : dans la sourate 3,Āl-‘Imrān, verset 78, la mauvaise récitation est condamnée ; dans la sourate 75,al-Qiyāma, verset 16, il est conseillé de ne pas se hâter dans la récitation coranique en remuant la langue.
17Ce contexte de révélation dans lequel s'inscrit l'usage du termelisān, entendu au sens d'organe, est encore plus marqué quand il désigne le langage. L'usage de ce terme sera alors placé sous le double signe de la révélation et de l'arabe. Cette précision s'inscrit dans le cadre de la diversité des langues explicitement reconnue, à la différence de la présentation biblique, comme un signe de Dieu : dans la sourate 30,al-Rūm, nous lisons : « 17. Gloire à Dieu [...] ; 18. Louange à Lui [...] ; 20. Parmi ses signes, il vous a créés de poussière, puis voici des hommes dispersés sur la terre. 21. Parmi ses signes [...]. 22. Parmi ses signes : la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos langues (iḫtilāf alsinatikum) et de vos couleurs. Il y a vraiment là des signes pour ceux qui savent [...]. »13.
18Du fait de cette diversité, la langue de la révélation pourra ne pas être l'arabe ; et ceci est fort important dans la mesure où la révélation peut alors avoir une histoire, un commencement, un milieu et une fin. Si la révélation se présente dans une langue étrangère, ce peut sans doute être parce qu'il s'agit d'une fausse révélation, comme dans la sourate 16,al-Naḥl, verset 103, lorsque les contradicteurs de Muḥammad se réfèrent à une révélation inacceptable : « Nous savons qu'ils disent : c'est seulement un mortel qui l'instruit. » Mais celui auquel ils pensent parle une langue étrangère (‘ağamī). Il n'en reste pas moins que dans le cas général, le Prophète parle la langue de son peuple : « Chaque prophète envoyé par nous / ne s'exprimait, pour l'éclairer, / que dans la langue du peuple auquel il s'adressait. »14 Ceci est souligné à propos de Muḥammad, à deux reprises ; dans la sourate 19,Maryam, verset 97 : « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue » ; et dans la sourate 44,al-Duḫān, verset 58, avec une expression presque semblable : « Nous avons rendu ceci facile à comprendre en ta langue. »
19Sans la nommer, ces deux dernières références nous renvoient à la langue arabe. Cela sera dit d'une manière explicite en trois versets. Nous serions tenté de dire en trois versets seulement, tellement il sera ensuite souvent fait référence à ces versets pour parler de l'arabe comme langue du Coran. Dans la sourate 46,al-Aḥqāf, verset 12, l'expression de « langue arabe » n'est accompagnée d'aucun qualificatif : « Avant lui, / le Livre de Moïse était un Guide et une Miséricorde. / Mais celui-ci est un Livre confirmant les autres, /écrit en langue arabe, / destiné à avertir les injustes / et à annoncer la bonne nouvelle / à ceux qui font le bien. » Et ce n'est que dans la sourate 16,al-Naḥl, verset 103, et dans la sourate 26,al-Šu‘arā’, verset 195, que l'on trouve, pour qualifier la révélation coranique, l'expression delisān ‘arabī mubīn (langue arabe claire), en recourant à la racine byn15 qui renvoie au sens d'expliquer, de clarifier.
20Que signifie le fait d'accoler ce qualificatif à la langue arabe ? Sommes-nous en droit d'en conclure que la langue arabe pouvait ne pas êtremubīn, claire ou explicite ? Dans ce cas, une première hypothèse consisterait à dire que la langue arabe était multiforme et que certaines de ses formes étaient plus accessibles à la compréhension commune que d'autres. Une autre hypothèse consisterait à dire que l'usage même de la langue arabe pouvait prêter à des variations suffisamment importantes pour en rendre la compréhension plus ou moins difficile aux auditeurs. Quoi qu'il en soit, la question est posée. Cette qualification de l'arabe est à mettre en rapport avec le verset 97 de la sourate 19,Maryam, et le verset 58 de la sourate 44,al-Duḫān, où Dieu facilite à son peuple l'accès à la révélation par le Coran en arabe16.
21De tout ce qui précède, nous pouvons conclure que le contexte linguistique dans lequel a vécu Muḥammad est un contexte qui n'ignorait pas une certaine forme de pluralité des langues puisque, nous l'avons vu, existait une contestation de la prédication muḥammadienne en des langues autres que l'arabe17. Mais si nous sommes ainsi, indirectement, renseignés sur la situation linguistique avant l'Islam, force nous est de constater que les seules informations précises et explicites se rapportent à l'arabe et à l'arabe dans son rapport à la révélation et au Coran. Sur l'arabe, avant l'Islam et le Coran, la seule indication que nous puissions retirer relativement à la langue concerne Muḥammad : il nous est dit que c'est sa langue, et, indirectement, que ce n'était pas celle des autres prophètes, puisque David et Jésus ont parlé chacun en leur langue18, et que chaque prophète parlait la langue de son peuple19.
22L'usage fait par le Coran des termes ‘arabī et‘ağamī nous permet de compléter ces indications sur la situation au moment de l'intervention de la prédication de Muḥammad : le terme‘ağamī, étranger, non-arabe, désigne une fois seulement la personne de l'étranger20, et trois fois la langue étrangère21. Dans les trois cas où il est fait mention d'une langue étrangère, il faut remarquer d'une part que cette langue n'est pas précisée, et d'autre part que cette langue « étrangère » est opposée à la langue arabe qui, elle, est parfaitement identifiée. Si nous ajoutons à ces remarques que la référence à l'étranger en 26,198 ne précise pas davantage de quel étranger il s'agit, mais oppose la révélation hypothétique qui lui serait faite à l'authentique révélation en langue arabe claire22, il en ressort que, être humain ou langue, l'étranger, antérieur à l'Islam, ou qui lui est contemporain, n'a pas de consistance propre ni de réalité autre que celle de ne pas être arabe : il est la négation de l'arabe ou son négatif, le non-arabe.
23Mais alors, qui sont ces Arabes dont la langue tient une telle place qu'elle occulte à ce point les autres langues ? Mis à part un cas particulier où la racine désigne les femmes aimantes que sont les « houris »23, la racine ‘rb revient vingt et une fois dans le Coran, onze fois pour le terme‘arabī et dix fois pour le termeal-A‘rāb. Pour le terme‘arabī, arabe, il intervient chaque fois dans un contexte de révélation : six fois il qualifie le Coran24, trois autres fois le terme qualifie la langue elle-même25, et une fois la révélation est qualifiée de Sagesse arabe26. Dans tous ces cas, il s'agit de la révélation faite en arabe et le terme a une connotation positive qui ne pose pas de question.
24Ce n'est plus le cas pour l'autre emploi de la racine, sous la forme du termeal-A‘rāb. Six emplois sur dix se trouvent dans la sourate 9,al-Tawba, et concernent les démêlés de Muḥammad avec les Bédouins plus ou moins bien convertis à l'islam. Les autres emplois concernent les Bédouins mal convertis ou non sincères27. Ces Bédouins sont mentionnés parce qu'ils posent problème à la communauté naissante, parce que leur conversion n'est pas assez solide, ou parce qu'ils sont hypocrites, ou parce qu'ils cherchent à échapper au combat pour la défense de la communauté ou aux dépenses communes.
25Là encore, nous pouvons remarquer que les Bédouins interviennent dans un contexte de révélation, en fonction du rapport qu'ils entretiennent avec cette révélation. Et finalement, c'est par rapport à la révélation en arabe, faite aux Arabes de la cité, qu'ils sont situés. Force nous est de constater que nous n'apprenons rien sur ce milieu avant l'Islam ou au moment de son apparition. Seul la prose arabe citadine a une langue (lisān arabī) parfaitement définie car c'est celle qui sert à la révélation et que cette révélation nous transmet.
26Nous ne sommes donc pas explicitement renseignés, dans le Coran, sur la langue arabe avant la révélation. Mais dans la limite de ce qui vient d'être dit, nous pouvons cependant conclure ce qui suit :
27- en ce qui concerne les langues autres que l'arabe :
- toute langue peut êtrecelle d'une révélation, car le prophète parle la langue de son peuple ;
- le statut delangue sublime et delangue exprimant la vérité n'est pas réservé à l'arabe puisque Dieu a accordé à Isaac et Jacob une « langue sublime de vérité »28 ;
- lepluralisme linguistique est explicitement reconnu, nous l'avons déjà relevé, par le Coran à l'époque de la prédication muḥammadienne.
28- en ce qui concerne la langue arabe :
- le Coran ne nous apprend rien sur l'arabe avant l'apparition de l'islam.
- peut-être peut-on conclure de l'expressionlisān ‘arabī mubīn, comme nous l'avons suggéré plus haut, que la langue arabe était multiforme à l'époque de Muḥammad, ou que son usage pouvait donner lieu à des interprétations diverses ;
- il faut récuser toute possibilité derévélation en arabe avant celle faite par Gabriel à Muḥammad, car aucune mention n'est faite d'une telle révélation ;
- c'estla révélation et le Coran qui donnent à l'arabe son statut à part parmi les autres langues dans la mesure où cette langue nous est connue essentiellement à partir du Coran et par lui, et que tout ce qu'en dit le Coran est à la louange de l'arabe, et que le Coran ne nous dit rien d'explicite des autres langues, si ce n'est qu'elles sont non arabes ;
- par conséquent,aucune œuvre littéraire digne de ce nom ne mérite d'être mentionnée en arabeavant le Coran dans la mesure où il n'en est pas fait état29 ;
- enfin, l'arabe est lalangue d'un peuple (qawm), celui de Muḥammad30.
SITUATION PARADOXALE DE L'ARABE ET DE SON RAPPORT AU CORAN
29Nous sommes ainsi dans cette situation tout à fait particulière et paradoxale, que nous évoquions au début de la section précédente et qui a été confirmée par le développement qui a suivi : la langue arabe et ses qualités littéraires nous sont connues par le Coran, par ce qu'il dit, par ce qu'il est. Le Coran intervient dans une situation de pluralisme linguistique opposant l'arabe à d'autres langues, et de pluralisme interne à la langue arabe elle-même. Mais, mis à part le cas déjà signalé de la poésie antéislamique dont la situation est particulière, nous ne possédons pas de témoins antérieurs à l'Islam de ce double pluralisme.
30Une telle situation est peu ordinaire dans l'histoire des langues car nous connaissons habituellement, pour les grandes langues de culture — sauf justement pour l'arabe—, les différentes étapes qui ont conduit à leur épanouissement et à leur maturité. Et de plus, ce n'est que dans un second temps qu'une langue en vient à s'exprimer sur elle-même pour se caractériser. Dans le cas de l'arabe, ces différentes phases, à nous en tenir au Coran, n'ont laissé aucune trace, aucun vestige.
31On pourrait certes objecter que l'arabe a connu une évolution continue qui va du Coran à la langue de Ṭāhā Ḥusayn ou de Nağīb Maḥfūẓ, sans oublier le roman et la poésie moderne — pour nous en tenir à la littérature —, et que de Ǧāḥiẓ à Tawḥīdī, et de Hamaḏānī à Ḥarīrī, elle a continué à se développer.
32Mais ceci n'enlève rien au fait que l'arabe du Coran reste toujours actuel pour l'homme musulman, comme celui de Ǧāḥiẓ pour l'homme de lettres. Et ainsi le Coran est une œuvre littéraire dont le rôle linguistique n'a pas vieilli. Et le paradoxe est là, entier : cette œuvre apparaît sans que nous ayons de véritable trace et esquisse des constructions littéraires qui l'ont précédée et préparée. Nous n'avons du coup aucun point de repère pour la situer et la juger. Nous ne pouvons la juger que par rapport à elle-même ou à ce qui viendra après elle et qui sera marqué par elle.
33Et du même coup, ce que nous pouvons dire de sa langue, c'est-à-dire de la langue arabe, ne peut s'appuyer sur aucun état antérieur de cette langue. Nous en sommes réduits à formuler cet énoncé de type tautologique : le Coran est composé en langue arabe. Qu'est la langue arabe ? C'est la langue dans laquelle est compose le Coran.
34Dans l'impossibilité où nous nous retrouvons de nous affranchir du Coran ou de l'histoire de la révélation coranique pour étudier l'arabe avant le Coran, deux remarques s'imposent :
- la première est une question : pourquoi nous retrouvons-nous dans une telle situation ? Cela tient-il au caractère particulier de la langue arabe, ou à la situation particulière qui lui est faite de par son rôle de langue de la révélation coranique, de langue sacrée ?
- la seconde : la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui est également celle qu'ont connue les premiers linguistes arabes désireux d'étudier la langue du Coran et, cela revient au même, la langue arabe. Ces linguistes ont élaboré des outils adaptés à cette étude et ont élaboré une langue qui leur permettait de prendre le recul nécessaire par rapport à leur objet d'étude. Ils échappaient ainsi à l'emprise du Coran et ouvraient la voie à l'apparition d'autres œuvres littéraires.
35Nous reviendrons plus loin31 sur la seconde remarque et sur l'apport des sciences du langage à la constitution du paysage linguistique qui sera celui de Farabi auive/xe siècle. Nous essayerons donc pour l'instant de répondre à la question soulevée par la première remarque et pour cela, après avoir essayé dans les pages précédentes de tirer du Coran ce qu'il nous apprenait sur la langue arabe avant son apparition, nous analyserons la représentation de la langue arabe qui est à l'œuvre dans ce texte.
II - L'ARABE, LANGUE DU CORAN
CONCEPTION CORANIQUE EXPLICITE DU LANGAGE
36Nous avons vu dans les pages précédentes ce que nous disait le Coran de la langue arabe et des autres langues avant son apparition. Nous avons constaté qu'il nous disait fort peu de choses des langues autres que l'arabe. A quoi nous pouvons ajouter qu'il comporte fort peu d'indications explicites sur les différents peuples qui parlaient ces langues. Certes, les mentions ne manquent pas des peuples différents et des régions, mais elles sont presque toujours en relation avec la révélation, et d'ordre très général, sans apporter d'indications explicites sur leurs modes de vie ou de parler. Ce n'est que rarement que de telles indications sont fournies32.
37Nous disions également que les indications explicites sur l'arabe étaient rares, mis à part le fait que c'était la langue de Muḥammad et de son peuple, et que l'arabe du Coran était facile et clair, tout ceci, d'ailleurs, restant bien général.
38Mais nous avons surtout constaté que le Coran ne nous disait rien du langage,luġa, et que ce terme ne faisait pas partie de son vocabulaire. C'est donc d'une manière indirecte que nous saisirons ce que le Coran dit du langage, en analysant l'usage qu'il fait d'un certain nombre de racines qui relèvent du monde du langage.
39A défaut du termeluġa, nous rencontrons, en effet, dans le Coran, des verbes ou des substantifs formés sur des racines qui renvoient à la parole et à son organisation. Nous allons en examiner un certain nombre en les regroupant autour des racines concernées dont les principales seron QR’, à l'occasion desquelles nous rencontrerons d'autres termes.
40C'est ainsi que la racine KLM est utilisée vingt-cinq fois sous des formes verbales33, et cinquante fois sous des formes nominales. Si, dans quatorze cas sur vingt-cinq emplois verbaux, le sujet qui parle est Dieu, ou renvoie à lui indirectement, la proportion est encore plus forte pour les termeskalām (dans ses quatre emplois, il désigne explicitement la parole de Dieu)34, oukalim (qui trois fois sur quatre désigne les Paroles révélées)35, oukalima (qui trente-six fois sur quarante-deux renvoie explicitement ou implicitement à la parole divine). Ainsi, au total, dans trois cas sur quatre36, lorsqu'il est fait recours à la racine KLM, c'est pour désigner la parole divine, et ceci directement ou indirectement. Ce qui correspond au contexte dans lequel intervient l'usage fait par le Coran du termelisān dans son sens linguistique37.
41A côté de cette Parole essentiellement divine, le Coran recourt à d'autres termes du registre du langage. Nombreux sont ces termes. Nous en donnerons plus loin une liste38, mais que ce soit la racine D‘W, utilisée deux cent quatre fois sous sa forme verbale, ou la racine S’L (cent vingt-huit emplois verbaux), ou l'hapax LFZ, il s'agit toujours d'une parole directement liée à la révélation. Nous nous limiterons ici à la racine KTB dont nous verrons l'importance, avant d'aborder la racine QR’, elle aussi essentielle.
42Parmi les termes formés sur la racine KTB, on rencontre essentiellement quarante-neuf emplois à la première forme du verbe et deux cent soixante et un emplois du substantifkitāb.
Le verbe kataba
43En ce qui concerne les formes verbales, il est remarquable de constater que le sujet de ce verbekataba est Dieu. En effet, dans la plupart des cas, ce qui est prescrit ou qui est écrit renvoie à Dieu ou à sa révélation. Dans certains cas, c'est Dieu lui-même qui demande d'écrire, et enfin, dans d'autres cas, c'est Dieu lui-même qui prescrit quelque chose et qui de ce fait devient le sujet du verbekataba, comme cela arrive à huit reprises dans le texte coranique :kataba Allah39. Ainsi, dans l'ensemble des emplois de la forme verbale de la première forme, nous sommes dans un contexte de révélation. Mais, qui plus est, dans certains de ces cas, nous sommes renvoyés à l'acte même de la révélation, et c'est Dieu lui-même qui écrit.
44Il est intéressant ici de relever les autres verbes qui, dans le Coran, désignent l'action d'écrire ou l'impliquent directement. C'est ainsi que l'on trouve la racine SṬR qui donne lieu à cinq emplois40 qui tous renvoient au livre ou à la révélation divine. De même la racine MLL donne, à côté de son usage le plus fréquent sous la formemilla41, la forme verbalemalla qui est utilisée à trois reprises dans le long verset 282 de la sourate 2, al-Baqara, qui codifie la reconnaissance de la dette par son inscription sous la dictée42. Outre cette prescription révélée, le sens de dicter se retrouve dans un seul des dix emplois de la racine MLY43, lorsque les incrédules considèrent que la révélation faite à Muḥammad n'est que contes « dictés »44. Il y a en outre, pour désigner l'action matérielle de l'écriture, le recours à la racine ḪṬṬ. C'est un hapax : « Tu ne récitais (tatlū) aucun livre avant celui-ci ; tu n'en traçais (taḫuṭṭu) aucun de ta main droite ; les imposteurs se livrent donc à des hypothèses. »45
45Outre ces racines donnant lieu à des emplois verbaux, nous pouvons mentionner ici les racines ZBR où le termezubur désigne les écritures ou les livres divins46, QRṬS qui donneqirṭās, le parchemin sur lequel est écrit le Livre de Dieu47, ou QLM, dont dérive leqalam par lequel est mise par écrit cette révélation48.
46Tous ces termes, comme le verbekataba, désignent une action liée à l'écriture, qui, chaque fois, nous venons de le constater, renvoie à Dieu, à son livre,kitāb, ou à sa révélation. Et de fait, il est assez remarquable que parmi les différentsmaṣdar-s possibles pour KTB,kitāb sera retenu par le Coran, alors quekitāba ne le sera pas, bien qu'il désigne mieux que le précédent l'action de ce verbe. C'est sans doute que l'écriture n'est qu'un moyen sans intérêt en lui-même, ne donnant pas lieu (pas encore) à une recherche qui conduirait à son développement par l'homme49. A l'époque du Coran, l'écriture est considérée comme une écriture divine ou elle est au service de la révélation divine.
KTB : la racine
47L'analyse du termekitāb, le livre, qui dérive également de la racine KTB, nous permettra de pousser plus loin la réflexion sur ce point. Avant de l'expliciter, il peut être bon de rappeler le sens original de la racine dont il dérive et qui a donné le verbe écrire. al-Rāġib al-Iṣfahānī commence ainsi son article : « KTB :al-katb est le fait d'assembler des peaux l'une à l'autre par la couture. On dit : “j'ai cousu (katabtu) l'outre” et “j'ai bouclé (katabtu) la mule”, c'est-à-dire “j'ai réuni les deux bords du vagin par un anneau”. Dans le cas de la communication (ta‘āruf), c'est l'assemblage des lettres les unes aux autres par le tracé (ḥaṭṭ), et l'on peut désigner par ce terme ce dont les éléments sont unis les uns aux autres par la parole (lafẓ). L'origine, dans le cas de l'écriture (kitāba), c'est le fait d'être uni (joint,naẓm) par le tracé (ḫaṭṭ), mais chacun est employé métaphoriquement (yusta‘ār) pour l'autre ; c'est pourquoi on a appelé la Parole (kalam) de Dieu, même si elle n'a pas été écrite,Livre, comme lorsqu'il déclare [dans le Coran] : “Alif. Lām. Mīm. Voici le Livre”50, ou qu'il déclare : “Celui-ci dit : Je suis, en vérité, le serviteur de Dieu. Il m'a donné le Livre.”51 A l'origine, le terme livre (al-kitāb) est unmaṣdar, puis on a appelé ce qui s'y trouve écrit (maktūb) livre (kitāb). Et le livre (al-kitāb), à l'origine, est un nom pour désigner le feuillet avec ce qui s'y trouve écrit. »52
48Ce sens d'assemblage par un fil ou un trait est complété par celui de la deuxième forme,kattaba, qui signifie rassembler des cavaliers en escadrons, et celui de la cinquième, qui en est la forme réfléchie53.
Kitāb : le livre
49C'est sur ce fond sémantique qu'il nous faut préciser maintenant le sens du terme livre,kitāb, dans le Coran, non sans avoir pris conscience que nous sommes là en un point sensible entre tous, puisque le terme dekitāb pourra désigner le Coran lui-même. C'est d'ailleurs ainsi qu'après laFātiḥa débute le Coran dans sa présentation actuelle, avec les premières paroles de la sourateal-Baqara : « Voici le livre ! / Il ne renferme aucun doute. / Il est une Direction pour ceux qui craignent Dieu. » Nous aurons à revenir sur ce point.
50Le termekitāb se trouve utilisé deux cent cinquante-quatre fois au singulier et six fois au pluriel. Il ne peut être question de procéder ici à une étude exhaustive de son emploi et de sa signification, mais nous retiendrons les grandes lignes de son usage. Le Livre et le Coran sont souvent synonymes et tout au long du texte, le Coran est désigné par le Livre54.
51Et tout d'abord l'origine de ce livre : elle est divine comme en témoigne le fameux passage de la sourate 43,al-Zuḫruf :
« Ḥā. Mīm. Par le Livre clair. Oui nous en avons fait un Coran arabe ! Peut-être comprendrez-vous. Il existe auprès de nous, sublime et sage, dans la Mère du Livre. »55
52Cette origine divine est continuellement sensible et revient dans d'innombrables versets. Avant d'être le Coran, ce Livre a en effet été donné par Dieu aux Prophètes et en particulier à Moïse56. D'où la désignation d'Ahl al-kitāb pour désigner les Juifs et les Chrétiens57.
53Parmi les caractéristiques dukitāb, il faut noter que c'est un Livreclair etexplicite,kitāb mubīn58, et aussi un livrelumineux, kitāb munīr59. C'est également un livre qui ne renferme aucun doute —lā rayba fīhi60 — et qui est lavérité venue de Dieu61. Il est aussi la Direction62 pour ceux qui craignent Dieu. Il est la Sagesse63, une sagesse que Dieu enseigne à l'homme.
54Cette dernière remarque demande à être précisée : mis à part quatre emplois particuliers comme lorsque Moïse enseigne aux Égyptiens la magie64, ou lorsque ce sont les démons qui l'enseignent aux hommes65, et trois autres emplois où il s'agit de dresser des bêtes de proie ou bien de critiquer l'audace de ceux qui voudraient enseigner Dieu ou confier aux hommes l'enseignement du Livre que Dieu leur a donné66, le verbe ‘allama, enseigner, a toujoursDieu poursujet de l'action d'enseigner. Cette constance est tout à fait remarquable et concerne trente et un des trente-huit emplois de ce verbe à la forme active. Nous pouvons ainsi dire que l'enseignement de l'homme est un monopole divin et que c'est pratiquement toujours Dieu qui enseigne à l'homme ce qu'est la vérité, ce qu'il doit savoir et ce qu'il doit faire.
55Ceci est d'autant plus vrai que ce Livre que Dieu enseigne à l'homme contient tout ce qui est nécessaire à l'homme, tout ce qui fait sa vie et son univers, depuis la création. La mesure du temps s'y trouve, fixée dès l'origine67. Toutes choses s'y trouvent consignées, petites ou grandes68, cachées ou non69, toutes y sont dénombrées70. Outre les choses, le Livre contient aussi les actions des hommes ; c'est une sorte derôle qui interviendra au jour du jugement71. Le Livre contient aussi les événements qui peuvent se produire72.
56Ce terme deKitāb a ainsi une valeur prégnante qui recouvre non seulement tout ce qui est ou qui advient, mais aussi toutes les formes que le Livre peut prendre, ce qui ne fait que renforcer l'omniprésence de Dieu dans son action d'enseignement. Et comme si cela n'était pas suffisamment affirmé, il est précisé que non seulement l'enseignement du Livre est réservé à Dieu, mais aussi son interprétation (ta’wīl) : le verset 7 de la sourate 3,Āl ‘Imrān, est parfaitement explicite sur ce point et condamne toute velléité humaine en ce domaine :
« C'est lui qui a fait descendre sur toi le Livre
on y trouve des versets clairs
— la base du Livre — et d'autres équivoques.
Ceux dont les cœurs penchent vers l'erreur
s'attachent à ce qui est équivoque
car ils recherchent la discorde
et ils sont avides d'interprétations ;
mais nul autre que Dieu
ne connaît l'interprétation du Livre. »73
57Ainsi, pour résumer ce qui précède, on peut dire du Livre,Kitāb :
- qu'il désigne toutes les révélations venues de Dieu,
- que ce soit la révélation faite aux prophètes antérieurs à l'Islam dont certaines sont encore reçues par les Gens du Livre
- ou la révélation par excellence qui est celle faite à Muḥammad. Le Livre est alors identiquement le Coran ;
- que son origine est donc divine ;
- qu'il est l'expression de la vérité ; il est clair et explicite, lumineux ;
- qu'il est aussi Sagesse, Guide et Direction pour les hommes ;
- qu'il est le commencement et la fin de tout : toutes choses s'y trouvent inscrites, depuis la création, et il est là au jour du Jugement. Actions de l'homme, événements, tout y est consigné ;
- qu'il est le lieu privilégié de la pédagogie divine ;
- qu'il est la marque de la dépendance de l'homme vis-à-vis de Dieu car l'homme ne possède pas les clés de son interprétation sans l'aide de Dieu.
58Parvenu à ce point, nous voudrions préciser deux aspects concernant le Livre. Tout d'abord ce qui concerne l'emploi du termeṣuḥuf, les feuillets dont les huit usages désignent tous les Écritures, qu'elles soient les plus anciennes, les premières, ou celles remises à Muḥammad. Ce qui est à noter, c'est le caractère moins général de l'expression, la précision particulière du terme qui renvoie non au Livre dans son abstraction mais à une réalité matérielle et tangible. Cette matérialité du feuillet souligne un des carac-tères du contenu du Livre, son immutabilité. Il ne pouvait être question de modifier ce qui était effectivement consigné sur des feuillets bien déterminés :
« Les incrédules,
parmi les Gens du Livre (ahl al-kitāb)
et les polythéistes
ne changeront pas
tant que la preuve décisive
ne leur sera pas parvenue :
un Prophète envoyé par Dieu,
récite (yatlū) des feuillets (ṣuḥuf) purifiés
contenant des Écritures (kutub) immuables (qayyima).
Ceux qui ont reçu le Livre (kitāb) ne se sont divisés
qu'après la venue de la preuve décisive. »74
59Ensuite — et ceci pourra confirmer, malgré les apparences, ce qui vient d'être dit sur l'immutabilité des Écritures — vient l'aspect temporel et évolutif relatif à l'antériorité dans le domaine du Livre. Nous lisons, en effet, dans la sourate 46,al-Aḥqāf, verset 4 :
« Dis : considérez ceux que vous invoquez
en dehors de Dieu.
Montrez-moi ce qu'ils ont créé en fait de terre.
Ont-ils été associés à la création des cieux ?
Apportez-moi un Livreplus ancien que celui-ci (min qabli hāḏā)
ou quelque trace de science
si vous êtes véridiques. »75
60Il y a là une proclamation du caractère absolument premier dans le temps du Coran. Ceci s'accorde avec ce que nous avons dit plus haut de l'umm al-Kitāb, mais la question se pose de ce qu'il faut entendre par les révélations antérieures, par lesṣuḥuf al-ūlā76, puisque l'antériorité véritable est celle du Coran de Muḥammad. Nous serions tenté de faire ici la lecture suivante : toute chose a une durée déterminée, sauf le Coran et sa révélation qui sont des Écritures immuables. Tout ce qui précède le Coran en fait d'Écritures est préhistoire car cette révélation a été altérée :
« Mais ils ont rompu leur alliance,
nous avons maudit et nous avons endurci leurs cœurs.
Ils altèrent le sens des paroles révélées (yuḥarrifūna al-kalām‘an mawāḍi‘ihi) ;
ils oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. »77
61Seul le Coran nous fait entrer dans l'histoire puisqu'il comporte la vérité de tout ce qui est et qui arrive. Mais en même temps,l'histoire s'arrête dans le Coran puisque rien ne peut lui être ajouté et qu'il ne peut être substantiellement modifié78. Nous retrouvons ici le paradoxe évoqué plus haut à propos de la situation littéraire du Coran qui contenait en lui l'origine, le développement et le terme de l'histoire de la langue arabe79. Il en va de même en ce qui concerne le Coran comme Livre Révélé : il est le début et la fin, il est la totalité et de ce fait, il confisque toute histoire sainte, la seule qui mérite considération.
QR’ : le Qur’ān
62Ce livre,Kitāb, disions-nous tout au long du développement qui précède, est le Coran,Qur’ān. C'est la racine QR’ dont provient le termeQur’ān qu'il nous faut maintenant étudier.
63Et pour commencer avec le commencement, c'est avec la racine QR’ que débute la révélation à Muḥammad duQur’ān. « Iqra’ bi-smi rabbika... » :
« Lis [récite] au Nom de ton Seigneur qui a créé ! Il a créé
l'homme d'un caillot de sang.
Lis !...
Car ton Seigneur est le Très-Généreux
qui a instruit l'homme au moyen du calame,
et lui a enseigné ce qu'il ignorait. »80
64Début non seulement symbolique mais lourd de signification et du développement futur de l'histoire de cette révélation qui sera tellement bien définie par sa récitation qu'elle sera nommée par un terme de cette racine, et que la récitation inaugurée par Muḥammad ne sera plus interrompue : elle nourrit jusqu'à aujourd'hui la prière quotidienne ; elle a donné naissance à toutes les sciences islamiques, et continue à les vivifier ; elle a marqué l'architecture : le minaret est fait pour l'appel à la prière et les versets du Coran sont la base de la décoration.
Sens originel de QR’
65La racine QR’ renvoie, selon Rāġib al-Iṣfahānī, aux règles de la femme, désignées par le termequr’, et le verbe, dans ce cas, s'utilise à la première et à la quatrième formes. Après un long développement81 sur le sujet et sur les usages du terme et les glissements de sens, il poursuit : « Les linguistes déclarent que le termequr’, règles, vient deqara’a [c'est-à-dire rassembler, réunir], c'est-à-direğama‘a, réunir. Quant à laqirā’a (récitation), c'est le rassemblement des lettres et des mots les uns avec les autres dans la psalmodie. On n'utilise pas ce terme pour toute réunion. On ne dit pasqara’tu (j'ai récité) les gens lorsque je les ai réunis. Ce qui l'indique, c'est qu'on ne dit pas à propos de la lettre seule, si on la prononce,qirā’a (récitation). Le Coran, dans son origine, est unmaṣdar, commekufrān (infidélité) ouruğḥān (inclination). On lit dans le Coran : “Il nous appartient de le rassembler (ğam‘) et de le lire (qur’ān), et lorsque nous le récitons (qara’nāhu), à toi d'en suivre la récitation (qur’ān)” (sourate 75,al-Qiyāma, versets 17-18). Ibn Abbas a déclaré : “Lorsque nous le rassemblons et que nous l'établissons fermement dans ta poitrine, agis en conformité avec lui. On a attribué ce terme au Livre révélé à Muḥammad et c'est devenu comme une marque pour lui, tout comme on a fait avec la Torah pour ce qui a été révélé à Moïse et avec l'Évangile pour ce qui a été révélé à Jésus.” »
66« Certains savants ont dit : parmi les livres de Dieu, la dénomination de ce livre par le terme deQur’ān vient de ce qu'il rassemble le fruit des livres de Dieu, bien plus, parce qu'il rassemble le fruit de toutes les sciences comme Dieu le Très-Haut l'a indiqué par sa Parole : “et l'exposé détaillé de toutes choses” (sourate 12,Yūsuf, verset 111) ; et sa Parole : “un éclaircissement de toutes choses” (sourate 16,al-Naḥl, verset 89) ; “un Coran arabe exempt de tortuosité” (sourate 39,al-Zumar, verset 28) ; “nous avons fragmenté cette lecture pour que tu la récites” (sourate 17,al-Isrā’, verset 106) ; “dans ce Coran”82 ; “fais aussi une lecture à l'aube” (sourate 17,al-Isrā’, verset 78), c'est-à-dire sa récitation. “Voici en vérité un noble Coran” (sourate 56,al-Wāqi‘a, verset 77). »83
67On voit ainsi la complexité du réseau de significations auxquelles renvoie la racine QR’, et qui sont loin d'être fortuites ou superficielles. Mais, outre tous ces rapprochements, le plus étonnant ici n'est pas de retrouver à l'origine de la racine QR’ l'idée de réunion, tout comme nous avions trouvé celle de rassemblement à l'origine de la racine KTB, mais c'est bien le silence de Rāġib al-Iṣfahānī sur cette similitude et ce, malgré les rapprochements incessants entreQur’ān etKitāb. Car enfin, ces deux racines convergent dans l'égalité :Qur’ān =Kitāb.
68Mais, avant d'en arriver à cette convergence, remarquons qu'à la différence de KTB qui a donné l'écriture,kitāba, QR’ a donnéqirā’a, la lecture, au sens de récitation — Rāġib al-Iṣfahānī utilise l'expressiontartīl, psalmodie. Cette récitation, cette lecture, renvoient à un "texte" écrit, qui est ainsi récité : déjà connu, retenu, il est donné à voix haute. On retrouve dans laSīra d'Ibn Isḥāq84 ce rapport entre la récitation et "l'écrit" auquel elle renvoie, lorsque leḥadīṯ rapporte cette déclaration du Prophète : « C'est comme si un livre avait été formé (représenté) dans mon cœur », déclaration qu'il fait en se réveillant après avoir reçu l'ordre initial, « iqra’ ». Gardons-nous toujours, en effet, de donner àqara’a, dans ce contexte, le sens de lire, par les yeux seuls, un texte inconnu. Bien au contraire, qara’a, c'est restituer à haute voix un texte enseigné et bien reçu. Et d'ailleurs, ce verbe qara’a est utilisé, dans le Coran, onze fois sur seize, pour désigner la lecture du Coran lui-même85, sa récitation, qui est la récitation par excellence.
69D'autres racines sont utilisées cependant pour désigner cette récitation, comme TLW, RTL. La racine TLW est souvent employée, non seulement dans le sens de suivre (une fois), mais surtout dans celui de déclarer, dire, ou, essentiellement, réciter les versets (āyāt) révélés par Dieu (soixante-deux emplois), ce qui est bien plus que les seize emplois verbaux deqara’a (ce qui n'enlève rien à l'importance donnée par ailleurs à cette racine par le termequr’ān). Comme le précise Rāġib al-Iṣfahānī, « la récitation (tilāwa)86 est plus particulière que la lecture (qirā’a), et si toute récitation (tilāwa, lecture modulée) est lecture (qara’a), toute lecture (qara’a) n'est pas récitation (tilāwa) »87. La notion de récitation (tilāwa) garde d'ailleurs le sens initial de la racine, qui signifie suivre (tabi‘a) : en effet, Rāġib explique que « ce qui caractérise la récitation (tilāwa), c'est de suivre (ittibā‘, se conformer) les livres révélés par Dieu pour ce qu'on y trouve d'ordre ou de défense [...] »88.
70Il faut aussi mentionner l'emploi très limité89 de la racine RTL sous la forme du verbe redoublé de la seconde forme.
71QR’, TLW, RTL : l'assimilation à la lecture, au sens moderne du terme, des significations véhiculées par les verbes dérivés de ces racines serait, vous venons de le voir, un contresens. Dans tous ces cas, il s'agit d'une récitation, à haute et intelligible voix, des textes, versets ou livres révélés, essentiellement du Coran et de ses versets. Le verbeqara’a implique moins la saisie d'un texte et sa compréhension à partir de sa forme écrite, aboutissant à l'assimilation de son contenu, que sa réactualisation. Abstraction faite de tout jeu de mot, cette récitation est une récitation, la lecture est relecture, incessamment reprise, une revivification du texte. Du coup, ce qui est fondamental dans ce contexte est moins lecaractère écrit dukitāb que sa récitation, saproclamation orale.
72Comprenons bien le sens de cette dernière remarque : il ne s'agit ni de nier, ni de minimiser le caractère écrit de la révélation ; l'importance dekataba et dekitāb a suffisamment été précisée dans les pages précédentes. Mais ce que nous voulons souligner, c'est que, dans le rapport au Livre, ce qui est fondamental pour l'homme n'est pas simplement que ce Livre est écrit, mais qu'il faut impérativement le réciter, le proclamer. L'écrit doit devenir prédication. Telle est l'orientation générale de la signification de tous les termes que nous avons vus.
73Et, d'ailleurs, une remarque permettra de le confirmer : nous avons mentionné, à propos dekitāb et dekataba l'usage du termeṣuḥuf et du verbeḫaṭṭa. Nous l'avons vu, le premier est utilisé neuf fois en tout, et quant au second, c'est un hapax. Or, l'un et l'autre ont une signification beaucoup plus concrète quekitābet kataba pour désigner le livre et l'écrire. Ce moindre usage témoigne sans doute du moindre accent mis sur l'écrit dans son aspect matériel, tout comme dans sa spécificité d'écrit, et ceci au profit d'une mise en valeur de sa fonction de base qui est tournée vers la proclamation et la récitation.
74Cet effacement de l'écrit devant sa récitation, ou plutôt ce retrait — pour éviter le sens matériel du terme effacer —, tient, peut-être, à l'organisation du champ sémantique dans lequel évoluent ces termes : le verbekataba est dominé par le substantifkitāb90, et les différentes formes dukitāb trouvent leur ultime perfection dans leQur’ān. Orqur’ān est l'un desmaṣdar-s deqara’a. Mais cemaṣdar est devenu un nom propre avec une signification parfaitement univoque. Il n'y a rien d'étonnant, donc, à ce que tous ces termes soient orientés vers le terme ultime en direction duquel ils convergent et qui est, par excellence, ce qui doit être proclamé et récité.
75En outre, sikitāb est unmaṣdar dekataba,kitāba en est un autre qui, nous l'avons souligné plus haut, sans l'approfondir91, signifie plus clairement l'écriture comme nom d'action du verbekataba, écrire, mais qui ne figure pas dans le Coran. C'est sans doute quekitāba est un nom abstrait dont l'usage est indispensable pour une étude conceptuelle de l'écrit, mais qui ne renvoie à aucun écrit déterminé, à la différence dekitāb. De la même façon, dans le cas de QR’, lemaṣdar qirā’a n'existe pas dans le Coran, à la différence dequr’ān, dont nous venons de dire qu'il a été tellement déterminé qu'il en est devenu le nom propre. Là encore, laqirā’a est un nom abstrait et elle n'intéresse pas, comme telle, la révélation, qui est parfaitement définie commeQur’ān.
76Que ces termes abstraits ne soient pas nécessaires dans le Coran, nous venons de le voir. Ce qui pose question, par contre, c'est de trouver, dans une situation analogue, unmaṣdar en fi‘āla. En effet, la racine TLW, nous l'avons relevé, donne naissance, à côté des emplois verbaux, àtilāwa92 : « yatlūnahu [al-kitāb]ḥaqqa tilāwatihi. » Mais en l'absence de l'emploi d'un autremaṣdar commetalwun, ce terme a une signification très précise et concrète puisqu'il s'agit de la récitation (c'est en fait une lecture modulée) effectuée du Coran.
77Tous ces termes vont bien dans le même sens et dessinent un contexte tout à fait précis, celui d'une écriture et d'une lecture particulières, celles de la révélation faite par Dieu aux hommes sous ses différentes formes, aboutissant à la révélation ultime faite à Muḥammad. Dans un tel contexte, point n'est besoin de faire une réflexion théorique et conceptuelle sur l'écriture et la lecture. Cette réflexion n'apporterait rien à la dimension proprement religieuse du Coran. L'essentiel reste bien de réciter cet écrit, ce livre, unique entre tous.
Étymologie comparée
78Qu'apporte à ce qui vient d'être dit une réflexion sur les origines des termes, cherchant à préciser les cheminements suivis par ces significations, dans le cadre d'une comparaison entre le grec et l'arabe ?
79Si nous comparons en effet le grec et l'arabe, une première constatation s'impose : alors qu'en arabe, une seule racine sert à désigner l'action d'écrire et le livre, dans leur emploi le plus large et le plus fréquent (kataba etkitāb), les termes courants en grec pour désigner ces deux notions relèvent d'origines différentes puisqu'il s'agit degraphein et debiblion.
80Graphein est attesté depuis l'Iliade, avec le sens d'érafler, tracer, dessiner, écrire. Puis le sens d'écrire deviendra dominant, complété par celui de rédiger, composer, inscrire, enregistrer, proposer par écrit, enfin assigner (par écrit) en justice. Sous la forme moyenne, il signifie consigner ou noter pour soi par écrit, rédiger ou composer pour soi par écrit, se faire inscrire et aussi assigner en justice, dessiner, peindre93. Ce cheminement sémantique nous fait penser à la racine arabe ḪṬṬ, mais celle-ci n'a pas connu le développement que nous voyons dans le grec.
81To biblion a une origine moins claire qu'on ne le croit94, dans la mesure où les différentes théories surbyblos (oubiblos), le papyrus, et Byblos, la ville de Ǧubayl en Phénicie, posent autant de questions qu'elles en résolvent. Quoi qu'il en soit,to biblion (oubyblion) signifie tout d'abord le papyrus, comme papier à écrire, puis, par analogie, la tablette à écrire, et enfin le livre, le document. En arabe, un cheminement analogue est celui suivi parṣaḥīfa, feuillet (plurielṣuḥuf), qui aboutit àmuṣḥaf, le livre.
82Il peut être intéressant de s'arrêter ici un instant pour faire une remarque sur l'évolution ultérieure de ces termes :to biblion va désigner, au plurielta Biblia, les Livres saints du peuple juif, traduits en grec par les Septante, et cela aboutira au français Bible, à partir du douzième siècle : le nom commun donnant ainsi, une fois de plus, naissance au nom propre pour désigner une révélation. En arabe, de la même façon, le correspondant debiblion,ṣaḥīfa, donnera, au terme d'une évolution analogue,al-Muṣḥaf, pour désigner le livre par excellence qu'est le Coran. Dans l'un et l'autre cas, le terme désignant le livre dans sa matérialité finira par désigner le Livre révélé, mais, alors que "Bible" désigne l'œuvre, tout comme ses copies,Muṣḥaf — qui n'est pas utilisé dans le Coran — désigne un exemplaire du Coran et ne recouvre pas toutes les significations du termeQur’ān.
83Ainsi, nous pouvons établir des couples de significations :
graphein – biblion
kataba – kitāb
ḫaṭṭa - ṣuḥuf
84en remarquant que le couple grec inclut les significations des deux couples arabes et que le second couple arabe a une portée sémantique beaucoup plus restreinte et concrète que le premier, qui est celui qui nous intéresse tout particulièrement dans cette comparaison avec le grec.
85Nous avons relevé plus haut l'effacement de l'écrit95 au profit de sa récitation, de la récitation duKitāb. Une explication pourrait en être trouvée dans la comparaison qui vient d'être faite avec le grec. Alors qu'en grec, la racine de l'écrire,graphein, est totalement différente de celle du livre, biblion, en arabe, la distinction entre l'écrire et le livre ne se fait pas — mis à part des cas particuliers et précis, déjà mentionnés et dont la portée reste limitée — par le recours à deux racines différentes, mais dans le cadre de l'ištiqāq, de la dérivation à l'intérieur de la même racine. Dans ce cadre, et dans la mesure où ces termes demeurent liés, l'un étant lemaṣdar de l'autre, l'un des deux a fini par dominer l'autre en l'orientant, en l'attirant vers lui : ces termes étaient trop proches pour se développer indépendamment l'un de l'autre. Le fait que la racine ḪṬṬ, qui aurait pu tirer parti de cet effacement de l'écrire (kataba) ne l'ait pas fait montre bien le caractère limité de l'écrire dans le monde littéraire arabe. Le domaine duḫaṭṭ sera celui d'une activité calligraphique et dessinatrice qui développera et hypertrophiera même un secteur parfaitement circonscrit où c'est le trait qui sera le but, qui sera devenu une fin en soi, au détriment de son rôle d'expression, de transmetteur privilégié d'une signification. Cela reste un développement tout à fait marginal et non-essentiel de l'écrire considéré d'une manière linguistique.
86Une autre comparaison avec le grec, et portant sur les termes signifiant lire, va dans le même sens, et fera intervenir le latin comme relais vers le français. En français, le verbe lire dérive du latinlégère96. Or, ce termelégère signifie initialement en latin ramasser, cueillir ; puis le sens évolue en recueillir, rassembler, choisir et enfin lire. Toutefois, la raison de cette dernière évolution « n'est pas claire ». « Peut-être s'est-elle faite par le moyen d'expressions telles quelégère oculis, "assembler les lettres par les yeux", ouacriptum légère, "recueillir comme étant écrit, trouver écrit", ou d'une expression technique telle quesenatum légère, "faire l'appel des sénateurs" [...] d'où "lire la liste de", et finalement, "lire à haute voix", ce qui est souvent le sens delégère (cf.anagignoskô), d'où, en général, "lire". »97
87Dans ce cheminement, certaines similitudes avec l'arabe sont frappantes : l'origine du terme dans le sens du rassemblement (ğam‘), puis l'évolution vers la récitation à haute voix98.
88Mais, en même temps, le latinlegere et le français lire ont un sens qui déborde largement celui du terme coraniqueqara’a et dequr’ān ; c'est le sens de lire, sans autre précision. C'est ici qu'intervient le grec.Legere vient du greclegein. Maislegein signifie essentiellement dire, au terme d'un cheminement qui pourtant ressemble à celui que suivralegere : cueillir, trier, rassembler, énumérer, puis dire. A ce sens principal viendront s'ajouter des significations ultérieures : désigner, signifier, réciter, chanter, lire99. Ainsi, le latin a retenu non le sens principal delegein qui est dire, mais un sens particulier, celui de lire. Et il a reporté surdicere ce sens principal de dire pour investirlegere du sens de lecture que le grec mettait aussi dans un terme issu d'une autre racine,anagignoskô. Ce faisant, il introduisait dans le sens delegere tout un ensemble de significations qui en élargissaient considérablement la portée : en effet,anagignoskô renferme la signification véhiculée pargignoskô, connaître,gnôsis, connaissance ; le préfixeana (de bas en haut, ou en haut de) introduisant le sens de connaître à fond, avec certitude. Nous voyons ainsi de nouveaux horizons s'ouvrir à la lecture : ce n'est plus seulement une récitation, une restitution, mais également une incursion dans le domaine de la connaissance, une conquête de nouveaux savoirs.
89Avec le Coran, le domaine du savoir est circulaire et clos, il est l'éternelle reprise et l'approfondissement de cette révélation où tout est inclus. Dans une telle perspective, l'écrit n'apporte aucune connaissance nouvelle, et ce qui importe est de le proférer, alors que dans la perspective gréco-latine, le champ est ouvert à l'acquisition des connaissances. Comme nous le laissions pressentir, il y a dans cette approche différente de la lecture une marque supplémentaire de ''effacement de l'écriture devant sa récitation, de l'écrit devant l'oral.
L'écrit et l'oral dans le Coran
90Cette orientation de l'écrit vers l'oral, cette forme particulière des rapports les liant l'un à l'autre, n'apparaissent pas seulement à la lumière de l'analyse que nous venons de faire de certains termes fondamentaux du Coran. Elles sont également illustrées par deux passages du Coran que nous allons présenter successivement : il s'agit de laParabole de la Parole, dans la sourate 14,Ibrāhīm, v. 24 à 26, et du passage de la sourate 31,Luqmān, v. 27, sur l'insuffisance des calames et de l'encre, et leur incapacité à écrire les paroles de Dieu.
La Parabole de la Parole
91Le premier de ces textes se présente comme une parabole proposée par Dieu pour faire comprendre à l'homme ce que sont la Parole bonne et la Parole mauvaise :
« N'as-tu pas vu comment Dieu propose en parabole (ḍaraba maṯalan) une très bonne parole (kalima ṭayyiba) ? Elle est comparable à un arbre excellent dont la racine est solide (aṣluhā ṯābit), la ramure (far‘uhā) dans le ciel et les fruits abondants en toute saison — avec la permission de ton Seigneur —. Dieu propose aux hommes des paraboles ; peut-être s'en souviendront-ils. Une parole mauvaise (ḫabīṯa) est semblable à un arbre mauvais, déraciné de la surface de la terre ; il manque de stabilité. »100
92La comparaison avec l'arbre est instructive, car si elle nous introduit dans le domaine de la vie, elle choisit une vie végétale, enracinée, immobile, à la différence de ce qui se produit avec l'animal capable de se déplacer : avec l'arbre, nous avons le mouvement de la parole pris dans son immo-bilité, son immutabilité, son éternel recommencement. C'est dans le sens de cette vie immobile dans son mouvement que Buḫārī propose unḥadīṯ commentant la première partie de cette parabole101 :
Ibn ‘Umar rapporte leḥadīṯ suivant : « Nous étions auprès de l'Envoyé de Dieu quand il dit : “Indiquez-moi un arbre qui ressemble à (ou : qui est comme) l'homme musulman ; ses feuilles ne sont pas caduques (yataḥāttu), ni [...], ni [...], ni [...]. On mange de ses fruits en tout temps.” En moi-même, ajouta Ibn ‘Umar, je me dis que c'était le palmier ; mais comme je vis que ni Abū Bakr, ni ‘Umar ne prenaient la parole, je n'osai parler. Voyant qu'on ne disait rien, l'Envoyé de Dieu reprit : “C'est le palmier.” Quand nous nous levâmes, je dis à ‘Umar : “Père, par Dieu, je m'étais dit en moi-même : c'est le palmier.” “Et qu'est-ce qui t'a empêché de parler ?” me demanda ‘Umar. Je répondis : “Vous voyant ne pas parler, je n'ai pas osé parler ou dire quelque chose.” “Il m'aurait été plus agréable que tu l'eusses dit, plutôt que ceci ou cela.” »102
93Nous retiendrons ici la précision sur le feuillage de l'arbre qui ne tombe pas, mais traverse les saisons sans changer, tout comme la Parole divine. Nous remarquerons aussi, dans ceḥadīṯ, le glissement de la parole bonne à l'homme musulman, glissement qui pourrait nous permettre de dire que le musulman se définit par la parole — parole de lašahāḏā103 — (à la différence de ce qui se passe avec les rites de présentation, d'introduction ou d'initiation propres à l'ensemble des religions ou à certaines déviations de l'Islam orthodoxe), puis parole de la récitation coranique. Mais surgit une autre question : pourquoi ce refus d'Ibn ‘Umar de prendre la parole devant le Prophète et ses Compagnons ? Peut-être parce que la vraie parole n'est pas une parole qui vient du sujet individuel : elle ne trouve sa valeur, sa justification, que si elle lui arrive, avant qu'il ne la reprenne, par l'intermédiaire du Prophète104. D'où l'importance fondamentale qui sera accordée à l'isnād dans la science duḥadīṯ.
94On peut faire également une autre lecture de cette parabole de l'arbre bon et y lire en filigrane une représentation du modèle de la société idéale : la racine, la ramure et les fruits, sont le modèle du clan et de la tribu, avec pour racine l'ancêtre éponyme dont les diverses branches se réclament. Ce rapprochement entre la parole et un modèle social rejoint la structure même du vocabulaire arabe où les termes, pour la plupart, dérivent d'une racine et y renvoient constamment105. Ce recours à un modèle généalogique véhiculé par l'arbre106 connaîtra un développement considérable dans leḥadīṯ — qui est parole —, avec l'importance croissante prise par l'isnād.
95Mais nous n'avons vu qu'une seule partie de la parabole. Elle en comporte une seconde, plus brève il est vrai, et ne comprenant pas les détails relatifs à l'arbre bon. Il est simplement dit de la parole mauvaise, rappelons-le, qu'elle est semblable à un arbre mauvais, déraciné de la surface de la terre : il manque de stabilité.
96Nous commencerons par nous étonner de la présentation qui nous est faite de cet arbre mauvais. Car en effet, déraciné, un arbre est mort. Rien de tel ici : il est bien vivant puisqu'il est mauvais. Que signifie alors ce déracinement, ce manque de stabilité, sinon justement une mobilité et un mouvement qui faisaient défaut à l'arbre bon ? Que signifie alors la parole mobile opposée à la parole immobile et immuable ? Ne peut-on pas voir dans cette parole mobile la consignation par écrit d'une parole qui n'est plus celle de Dieu, qui n'est plus enseignée à l'homme avant d'être relue, qui n'est plus continuellement proclamée et répétée ? Et qui, du coup, n'a plus aucune stabilité, car elle ne renvoie pas directement à une lecture codifiée. Ce qui nous permet de le penser, c'est l'opposition, dans le verset suivant, pour tirer la leçon de la parabole, entre les bons, qui ont cru en la Parole ferme (qawl ṯābit) de Dieu107, et les méchants (al-ẓālimūn) : sous-entendu, ceux qui n'ont pas cru, et parmi eux, ceux qui ont eu une autre écriture. Nous serions même tenté d'y voir une méfiance vis-à-vis de tout écrit qui n'est pas simple aide-mémoire, car alors l'écrit a un mouvement et une vie propres, il échappe à son auteur. Comme le disait Platon, « une fois écrit, chaque discours s'en varouler de tous côtés, pareillement auprès des gens qui s'y connaissent, comme, aussi bien, près de ceux auxquels il ne convient nullement ; il ignore à quelles gens il doit ou ne doit pas s'adresser. Mais, quand il est aigrement critiqué, injustement vilipendé, il a toujours besoin dusecours de son père, car il est incapable tout seul, et de se défendre, et de se porter secours à lui-même »108. Tout comme leḥadīṯ, par l'enracinement, nous renvoie à la nécessité de l'isnād, Platon retrouve, à travers le "père de l'écrit", le même besoin.
97Mobilité et instabilité, nous venons de le voir, la cause en est le "déracinement" de cette Parole mauvaise. Peut-être pouvons-nous voir ici le renversement qui marque les rapports de l'écrit à la Parole dans le Coran : ce n'est pas la Parole qui s'enracine dans l'écrit, mais l'écrit dans la Parole. Car telle est bien la perspective dans laquelle nous situaient les développements précédents : l'écrit révélé doit sa valeur et le respect que nous lui portons au fait qu'il est Parole de Dieu,Qur’ān. Inversement, sera mauvaise toute parole qui n'est pas celle de Dieu ; cette parole n'a plus de point d'ancrage fixe, puisque seul Dieu aurait pu le lui fournir, et elle dérive, au gré des hommes, et l'écrit avec elle, car il manque à cet écrit la norme de sa lecture et de son interprétation. L'écrit est finalement second par rapport à la Parole, car dans la perspective coranique, c'est la Parole qui est au principe.
98Ainsi la Parabole de la Parole mauvaise nous mène, par le biais de son déracinement, à la même perspective, déjà évoquée, de l'effacement de l'écrit devant la Parole.
Calante et encre
99Ceci nous conduit au second des passages du Coran que nous avions annoncés plus haut109, et qui se trouve dans la sourate 31,Luqmān :
« Si tous les arbres de la terre étaient des calames
et si la mer et sept autres avec elle
leur fournissaient de l'encre,
[calames et encre s'épuiseraient
mais] les Paroles de Dieu ne s'épuiseraient point.
Dieu est puissant et sage. »110
100Il ne s'agit plus ici d'une parabole qu'il faut interpréter et dont il faut expliciter le sens : la comparaison est éloquente par elle-même. Les arbres, tous les arbres de la terre, qui poussent et se développent continuellement : cela signifie que le nombre des calames est infini, qu'ils sont innombrables, sans limitation. Pareillement pour la mer, considérée dans sa totalité en même temps que son infinité par l'adjonction qui lui est faite de sept autres mers111 : cela signifie que l'encre est en quantité infinie. Et pourtant, il y a incommensurabilité entre ces calames et cette encre dont la quantité est immense, et même, du point de vue de l'homme, infinie, et les Paroles de Dieu. L'infinité de ces calames et de cette encre devient une quantité finie devant l'infinité des paroles divines. Il y a deux ordres d'infinité, un premier ordre qui s'avère être une fausse infinité devant le second ordre, celui de Dieu.
101C'est dire, on ne peut plus clairement, la dépendance de l'écrit par rapport à l'oral, le caractère fini et limité du premier par rapport au second112.
CONCLUSION
102Au terme de ces analyses relatives à la conception explicite du langage dans le Coran, nous pouvons dire que :
- le Coran ne s'intéresse pas au langage mais à la langue et à une langue précise, celle qui vient de Dieu, la seule qui mérite attention et étude ;
- cette langue est la Parole divine.Kalima dans le Coran a presque toujours le sens de Parole de Dieu113 ;
- cette Parole divine va recourir à l'écriture comprise dans le sens d'action d'écrire ; et l'écrire, sous la plupart de ses formes dans le Coran, sera confisqué au service de cette Parole114 ;
- cet "écrire" converge vers leKitāb, dont la forme par excellence est le Livre de la révélation divine115, qui résume toutes choses116 ;
- ceKitāb est identiquementQur’ān, prédication, récitation117 ;
- Cela traduit l'effacement de l'écrit devant l'oral118. La langue de Dieu est essentiellement Parole et sa mise par écrit reste toujours secondaire par rapport à sa proclamation119.
103Ainsi, au terme de ce premier parcours, nous pouvons affirmer que ce que le Coran dit de la langue va dans le sens d'une prééminence de l'oral sur l'écrit. Cette analyse s'est appuyée sur les élémentsexplicites relevés dans le Coran et relatifs à la langue : analyse des racines principales que sont LSN, KLM, KTB, QR’ et de certains passages relatifs à la parole. Après l'explicite, nous nous tournons maintenant vers l'implicite.
CONCEPTION CORANIQUE IMPLICITE DU LANGAGE
104Nous nous sommes attaché précédemment à ce que le Coran dit du langage, à la façon dont il présente et définit certains termes linguistiques fondamentaux. Nous voudrions maintenant tenter une approche différente et complémentaire et voir quelle est la conception implicite qui le sous-tend. Pour ce faire, nous nous poserons un certain nombre de questions :
- sur le vocabulaire du Coran : non plus ce que le Coran dit de certains termes relatifs au langage, mais quelle est l'étendue de ce vocabulaire linguistique et sa portée ;
- pourquoi un terme qui n'est jamais défini revient-il continuellement pour décrire l'action divine : que signifie l'usage du verbeqāla et du substantifqawl ?
- que nous dit le Coran de l'homme qui en a reçu la révélation, que nous apprend-il de Muḥammad : homme, Envoyé, Prophète,... ?
- que nous dit le Coran de Dieu ?
- pourquoi Muḥammad n'a-t-il pas transmis un Coran écrit alors que c'est unkitāb ? La question demeure même si cela s'explique par la façon de faire de son temps ;
- quel genre de livre est le Coran ?
Le vocabulaire du Coran
105Après avoir analysé des termes précis relatifs à la langue, nous voudrions ici aborder le problème différemment et nous interroger sur le vocabulaire linguistique dans son ensemble, et plus précisément, nous pensons qu'il peut être intéressant de chercher quelle est l'étendue du vocabulaire linguistique du Coran. Pour ce faire, il peut être éclairant de recenser tous les verbes qui, dans le Coran, renvoient, de près ou de loin, au langage, que ce soit directement parce qu'ils désignent un mode d'usage précis, une forme particulière du langage, ou indirectement car ils renvoient à quelque chose qui, comme le savoir ou la réflexion, suppose le langage et y a nécessairement recours.
106Pour ce faire, nous avons utilisé l'étude faite par Moustapha Chouémi,Le Verbe dans le Coran120. Chouémi compte dans le Coran 1 200 racines ayant donné lieu à des formes verbales121. Ces 1 200 racines donnent lieu à plus de 25 000 emplois122. Nous retenons, en parcourant la liste complète de ces racines123, les verbes suivants dont nous rappelons que pour certains, le rapport au langage est parfois indirect, comme dans le cas des verbes signifiant réfléchir ou connaître qui impliquent l'usage du langage.
107Dans le tableau ci-contre, nous donnons la racine, sa fréquence et son sens général.
108Tels sont les verbes relatifs au langage qu'il nous a semblé devoir retenir dans le dépouillement de Chouémi. Cette liste nous permet un certain nombre de conclusions :
- le nombre de racines donnant lieu à des emplois verbaux relatifs au langage est relativement faible : 141 racines sur 1 200 en tout, soit 11,75 %, un peu plus d'une racine sur dix et même sur neuf ;
- par contre, ces 141 racines donnent lieu à 6 040 emplois, ce qui est beaucoup plus important, puisque cela représente 24 % des emplois. Ce qui, sous une autre forme, peut se dire :près d'un verbe sur quatre renvoie, dans le Coran, audomaine du langage, compris au sens large. Il s'agit là d'un phénomène important, car il signifie que le langage occupe une place prépondérante dans l'œuvre et dans l'action qui s'y déroule. On ne saurait trop insister sur ce point ;
- parmi ces racines, certaines reviennent un grand nombre de fois : BYN (185), ḎKR (274), S’L (128), SM‘ (112), ṢDQ (120), KḎB (244), KFR (466), W‘D (126). Deux d'entre elles, KḎB et KFR (710 emplois en tout) indiquent la contestation à laquelle s'est trouvé confronté Muḥammad, et le grand nombre de leur emploi témoigne de l'importance et de la vigueur de cette contestation, de la résistance rencontrée par la prédication muḥammadienne.
109Dans la deuxième des remarques précédentes, nous avons omis de mentionner les emplois de la racine QWL : 1 720 au total, soit 28,5 % des emplois verbaux dans le domaine du langage et 6,8 % de l'ensemble des emplois verbaux dans le Coran, ce qui est considérable, car cela peut s'exprimer autrement : un emploi verbal sur quinze utilise la racine QWL, essentiellement aux formes conjuguées (il n'y a que 93 emplois deqawl sous ses différentes formes). Cette situation particulière nous permet de dire que dans la formeqāla, les Arabes entendaient moins un verbe qu'ils ne saisissaient une ponctuation que le français traduit pas deux points (:).
Qāla et qawl
110Ainsi, non seulement le Coran est proclamation, proclamation de la Parole de Dieu, mais également, cette parole porte essentiellement sur du "dit", rapporte des "dires". Le Coran est ainsi une prise de Parole, immense et englobante, un dire du dire, celui de Dieu et celui des hommes. N'est-ce pas que ce qui compte, c'est ce que dit Dieu et ce que dit l'homme en réponse, mais aussi le fait que Dieu le dise, et le fait que l'homme dise quelque chose en retour ? Indirectement, nous sommes ainsi renvoyés à ce dire particulier que sera la récitation,qur’ān. Quelle que soit la façon d'aborder l'œuvre, nous y revenons une fois de plus.


Muḥammad, l'homme de la Parole
111Une autre approche de l'implicite du Coran sur la Parole consiste à nous interroger sur ce qui est dit — et qui n'est pas dit — de Muḥammad. Très vite une double constatation s'impose.
112La première est queMuḥammad est omniprésent. Ceci non seulement parce que c'est lui qui proclama la Parole révélée, mais parce qu'à l'intérieur de cette Parole, il est très souvent dans le rôle de porte-parole locuteur : « dis... », « qul... » ; l'injonction, constamment, introduit un dire mis dans la bouche de Muḥammad et revient 332 fois dans le Coran.
113Il est aussi dans le rôle de celui à qui s'adresse la parole à transmettre, et ceci depuis ce commencement mis sous le signe de la proclamation : « iqra’ », « récite ! »124. Et ailleurs : « L'Esprit fidèle est descendu avec lui sur ton cœur pour que tu sois au nombre de ceux qui mettent en garde. »125 En de multiples occasions, cette fonction est spécifiée. Ainsi, par exemple, dans la sourateHūd : « Tu n'es qu'un avertisseur (naḏīr), Dieu veille sur toutes choses. »126 Avertisseur, cette fonction, en d'autres occasions, est complétée par celle de l'annonce de la bonne nouvelle (bšr) : « Nous ne t'avons envoyé que pour annoncer la bonne nouvelle et avertir les hommes. Nous avons fragmenté cette lecture pour que tu la récites lentement aux hommes. »127 Avertissement et bonne nouvelle sont deux notions qui reviennent fréquemment dans le Coran, outre les quelques exemples ici cités en note : les emplois verbaux ont été relevés par Chouémi dans la liste que nous avons donnée ; au total, ces racines donnent lieu à 128 emplois pourbšr, et 130 pournḎr, si l'on tient compte des substantifs en plus des emplois verbaux128.
114La deuxième constatation est queMuḥammadn'est que très peu nommé dans le Coran : son nom ne revient que quatre fois, et chaque fois en relation explicite avec sa fonction prophétique : Muḥammad est le Prophète de Dieu129. « Muḥammad n'est le père d'aucun homme parmi vous, mais il est le Prophète de Dieu »130 ; et même : « Muḥammad n'est qu'un prophète ; des prophètes ont vécu avant lui »131 ; ou enfin : » [...] ceux qui croient à ce qui a été révélé à Muḥammad. »132 Une cinquième fois, Muḥammad sera désigné, mais cette fois-ci sous le nom d'Aḥmad :
« Jésus, fils de Marie dit [...]
Je suis le Prophète de Dieu [...]
Je vous annonce la bonne nouvelle
d'un Prophète qui viendra après moi
et dont le nom sera : Aḥmad. »133
115Ce sera le plus digne de louange de tous les prophètes, comme le fait remarquer Rāġib al-Iṣfahānī134, et le sceau des Prophètes, comme le souligne Bayḍāwī135.
116Tout ce qui précède ne nous dit rien de précis sur l'homme Muḥammad, mais ne nous le présente que dans ses fonctions au service de la révélation, de la Parole divine. Tout comme d'ailleurs le fait qu'il intervienne constamment, d'une façon ou de l'autre, dans les sourates : c'est ainsi que parmi les sourates 1 à 70, il n'est que la sourate 55,al-Raḥmān, où il ne se trouve aucun verset renvoyant explicitement ou implicitement à Muḥammad136.
117Même les accusations de mensonge137, de possession ou de sorcellerie, concernent ce rôle au service de la Parole. Pourtant, si les premières ne nous apprennent rien sur la personnalité de Muḥammad, les autres nous renseignent sur le milieu dans lequel il évoluait : à 14 reprises, le Coran nous rapporte des accusations de sorcellerie, siḥr138. Il faut replacer ces accusations parmi les nombreux cas où la sorcellerie est mentionnée dans le Coran139 : les sorciers sont des personnages qui n'étonnent pas, comme en témoignent en particulier leurs nombreuses interventions relatées dans la sourate 26,al-Šu‘arā’. Ils tiennent leur pouvoir des démons (šayāṭīn), comme le relève Rāġib al-Iṣfahānī140, ces démons qui eux aussi occupent une place relativement importante dans le Coran, puisqu'ils y interviennent à 88 reprises141.
118A ce rôle des démons sera opposé celui des Anges, tout aussi familiers, et qui interviennent autant que les démons142. Dans ce monde où évoluent lesğinn-s, Muḥammad sera accusé, à cause de sa prédication, d'être possédé,mağnūn143. Deux autres qualifications visent encore plus explicitement, à travers Muḥammad, la Parole transmise par lui : la qualification de devin, à deux reprises, et celle de poète :
« Invoque-moi donc.
Tu n'es, par la grâce de ton Seigneur,
ni un devin, ni un homme possédé !
Diront-ils : c'est un poète !
Nous attendons pour lui
les vicissitudes du trépas. »144
119et, toujours pour resituer à sa vraie place la Parole divine transmise par Muḥammad :
« C'est là, en vérité, la parole d'un noble Prophète ;
ce n'est pas la parole d'un poète ;
- votre foi est hésitante !
- ce n'est pas la parole d'un devin ;
- comme vous réfléchissez peu !
C'est une révélation du Seigneur des Mondes. »145
120Ce qui ressort de tout ce qui précède montre l'importance de Muḥammad comme homme de la Parole. Cette Parole tient une telle place dans son action que tout ce qui nous est dit de lui, Prophète, Envoyé, Avertisseur, Porteur de la Bonne Nouvelle, nous renvoie constamment à cette Parole. Lui-même est peu nommé, et chaque fois comme Prophète. Enfin, les accusations portées contre lui comme le mensonge, la divination ou la poésie, et, dans une moindre mesure, la possession et la sorcellerie, renvoient également à la Parole.
121Si tout cela ne nous dit rien de précis sur Muḥammad, en dehors du fait que c'est un homme de la Parole, il reste que, sur le mode négatif, les accusations de poète ou de devin peuvent nous permettre de mieux saisir le statut de la Parole dans le contexte où vécut Muḥammad. Il y avait, sans aucun doute, à l'époque de Muḥammad, des devins et des poètes, car on comprendrait mal, sinon, pourquoi le Coran aurait pris soin de laver Muḥammad de cette accusation possible. De plus, ces devins et ces poètes devaient avoir un discours avec lequel le Coran pouvait éventuellement, pour des gens non prévenus, être confondu. Pour Rāġib al-Iṣfahānī, le devin (kāhin) est celui qui informe sur les événements passés et cachés sur le mode de la conjecture (ẓann), et le devin (‘arrāf) est celui qui informe sur les événements à venir, de la même manière146. Or, Muḥammad tenait lui aussi un discours sur les événements passés qui pouvait être assimilé par les non-croyants à de la conjecture. Que ces devins aient existé en nombre non négligeable, la quantité deḥadīṯ-s qui leur est relative147 pourrait le laisser croire.
122Le cas des poètes est plus délicat et les rapports de la poésie et du Coran ont donné lieu à des discussions auxquelles ce n'est pas ici le lieu de prendre part. Selon Rāġib al-Iṣfahānī148, la racine Š‘R, après avoir servi à désigner le poil et le cheveu, devient le signe d'une connaissance fine et précise, mais pour l'époque du Coran, il lui donne le sens de connaissance mensongère, en s'appuyant sur le sens du verset 224 de la sourate 26,al-Šu‘arā’ : « Quant aux poètes, ils sont suivis par ceux qui s'égarent. » Peut-être faut-il comprendre ce qu'est la poésie à partir de la sourate 36,Yāsīn, versets 69-70 : « Nous ne lui avons pas enseigné la poésie, car cela ne lui convenait pas. Ceci n'est qu'un Rappel (Ḏikr) et un Coran clair. » A l'enseignement d'un art, d'une technique de la Parole, Dieu oppose le Rappel de la Parole par excellence. N'y aurait-il pas là le refus de la parole profane ? Si tel était le cas, ce serait un trait de plus pour souligner que la Parole dans le Coran est essentiellement le fait de Dieu, qu'elle est divine et que ce qui s'y rap-porte intervient toujours dans le contexte religieux de la révélation.
123Muḥammad, homme de la Parole, disions-nous. Il nous est apparu en effet comme tel, évoluant dans un contexte fortement marqué par la Parole. Mais tout ce qui vient d'être dit montre comment, implicitement, cette parole de Muḥammad est présentée comme celle de l'effacement de l'homme devant Dieu, de la soumission de l'homme à la Parole divine, comme le silence progressif de la parole humaine devant la Parole révélée.
124Et de ce point de vue, on remarquera le petit nombre de noms propres, de personnes, de lieux ou d'événements, relatifs à l'époque même où vivait Muḥammad, que comporte le Coran, alors que ceux qui sont relatifs à l'histoire sainte reviennent fréquemment : Adam, Noé, Abraham, Loth, Jacob, Joseph, Moïse, Aaron, Pharaon, Jésus, etc.
125Certes, les allusions à des faits contemporains ne manquent pas dans le Coran et y sont même fréquentes, comme en témoignent les nombreux versets adressés aux Infidèles, impies ou associateurs, hypocrites et autres mécréants. On y trouve aussi la trace des différents mouvements de conversion, de réponse des concitoyens de Muḥammad et des Bédouins à sa prédication. Mais, indépendamment du fait que ces références sont allusives et ne comportent pas de détails circonstanciels précis, il faut ajouter qu'ils se rapportent moins à des faits historiques considérés comme tels qu'à un événement particulier, celui de la révélation, événement qui transcende l'histoire telle qu'elle est conçue par les historiens149. Ainsi en est-il de ces versets où le narratif se mêle au prophétique :
« Vous pensiez que jamais le Prophète
et les croyants
ne retourneraient parmi les leurs :
cette méprise s'est imposée à vos cœurs
sous des apparences trompeuses.
Vous vous êtes fait une fausse idée de Dieu,
vous êtes un peuple perdu.
[...] Ceux qui sont restés en arrière diront,
quand vous vous mettrez en marche
pour vous emparer du butin :
Permettez-nous de vous suivre. »150
126De même, un bon nombre des noms géographiques concernant dans le Coran l'époque contemporaine de Muḥammad sont directement relatifs à la révélation et aux pratiques qu'elle entraîne, comme le pèlerinage : ainsi pour ‘Arafa151, Ṣafā et Marva152, la Ka‘ba153. De même, les indications explicites concernant Médine154 ou la Mekke sous le non de Bakka155 concernent la révélation ou le pèlerinage.
127Outre cela, nous avons quelques allusions plus précises comme dans la sourate 63,al-Munāfiqūn, verset 8, sur la défaite des habitants de Médine, ou dans la sourate 48,al-Fatḥ, verset 24, sur l'issue favorable pour les musulmans d'un conflit dans le « Val de la Mekke » ; ou bien, toujours dans le domaine des conflits, dans la sourate 3,Āl‘Imrān, verset 123, qui montre Dieu à l'œuvre lors de la bataille de Badr ; ou dans la sourate 9,al-Tawba, versets 25-26, qui explique par l'intervention divine la victoire des musulmans dans la bataille de Ḥunayn. Mais là encore, l'histoire qui est présentée relève de l'histoire sainte plutôt que de l'historiographie des chroniqueurs ou de l'histoire au sens moderne du terme.
128Restent trois allusions relativement précises accompagnant des noms propres contemporains de Muḥammad et ne se réduisant pas à la seule histoire liée à la révélation : dans la sourate 106,Qurayš, il est question, dans les versets 1 et 2, des habitants de la tribu deQurayš et de « leur pacte concernant la caravane d'hiver et celle d'été ». Dans la sourate 111,al-Masad, il est question de la mort d'Abū Lahab, oncle de Muḥammad, et de celle de sa femme. Enfin, dans la sourate 33,al-Aḥzāb, verset 37, Zayd, le fils adoptif de Muḥammad, est mentionné à propos d'un fait très précis : la répudiation de son épouse Zaynab dont s'était épris Muḥammad et l'autorisation donnée par Dieu à Muḥammad de l'épouser, du fait de cette répudiation.
129Ainsi, mises à part ces trois dernières mentions, il ressort de ce qui précède que laParolecoranique est une parole quisacralise, qui situe le profane non plus dans l'histoire quotidienne et anecdotique des hommes, mais dans une présentation qui transcende cette histoire ordinaire pour en faire celle de l'intervention divine, une Parole qui envahit tous les domaines de la vie profane pour les situer dans la perspective qu'ils ont dans la révélation.
130Et l'homme de la Parole, Muḥammad, sera donc essentiellement un homme au service de l'intervention divine dans ce monde. Non point un organisateur de la cité terrestre comme cela fut le cas dans la cité grecque, mais l'homme de la sacralisation de l'activité humaine, de l'activité "civile"156. Non pas un acteur de l'histoire, mais un personnage de l'histoire sainte. L'histoire proprement dite commencera à sa mort, avec l'élection de son successeur, car Muḥammad, homme du divin, ne pouvait organiser les modalités purement temporelles de sa succession. Il faudra d'ailleurs attendre ‘Umar, le grand organisateur du développement et de l'expansion de l'empire musulman, pour fixer par exemple les règles du calendrier en introduisant, sur les instances de ‘Alī, un point de départ à l'histoire musulmane avec l'Hégire, et ceci en 639 ou 640157 — histoire (tārīḫ en arabe), c'est-à-dire date, calendrier, chronologie. Mais le temporel sera toujours perçu comme soumis au religieux : le calife seraamīr al-mu’minīn, Commandeur des Croyants, et la prière se fera en référence à lui ; pourtant sa fonction politique ne lui donnera théoriquement aucun privilège ni droit sur les autres croyants qui seront tous soumis au devoir de la "commanderie du bien" (al-amr bi-l-ma‘rūf wa-l-nahy ‘an al-munkar, ordonner le bien et interdire le mal) vis-à-vis de tout homme, fût-il calife.
Dieu et la Parole coranique
131L'implicite du Coran sur la langue pourra aussi nous être accessible par une interrogation sur l'auteur de la Parole divine et en particulier par une réflexion sur les Noms de Dieu.
132Que dit le Coran sur Dieu ? Si la question est brève, la réponse est immense, comme le Dieu du Coran. Nous nous limiterons au rapport de la Parole à Dieu. Et pour commencer, nous rappellerons que Dieu crée toutes choses par sa Parole158, que cette Parole divine qualifie également Jésus, fils de Marie159. Ensuite, cette Parole s'impose, comme le dit la sourate 6,al-An‘ām au verset 115 :
« La Parole de ton Seigneur s'est accomplie
en toute vérité et justice.
Nul ne peut modifier ses Paroles,
Il est celui qui entend et qui sait. »
133Décret divin immuable, fidélité de Dieu dans ses promesses160, jugements et ordres divins, comptabilité divine des actions humaines161, nous retrouvons constamment la Parole divine à l'œuvre. C'est elle encore qui est là lorsque Dieu donne à l'homme sa révélation162. Et quand nous disons que Dieu sait tout (‘alīm), qu'il est témoin (šahīd) des actions des hommes et qu'il voit tout (baṣīr), qu'il entend tout (samī‘), ou qu'il est la vérité (ḥaqq) et qu'il est sage (ḥakīm), c'est encore à la parole, à sa Parole, que nous sommes directement ou indirectement renvoyés.
134Nous voudrions simplement souligner ici un aspect : Dieu qui voit et entend est aussi celui qui non seulement crée toutes choses, mais qui donneexplicitement à l'homme l'ouie, la vue et le cœur163, ou les yeux, la langue et les lèvres164. Il y a là une mise en rapport directe des facultés qui interviennent en l'homme pour constituer la langue, avec le pouvoir divin créateur. Peut-être pouvons-nous, comme à la fin du paragraphe précédent, y voir une sacralisation de cette activité particulière de l'homme qu'est le langage.
135Quelques grandes constantes ressortent de l'analyse que nous avons essayé de faire de ce que le Coran nous apprenait implicitement du langage. Nous pouvons dire :
- d'abord, que dans le domaine du vocabulaire, nous avons constaté que très souvent le Coran utilise des verbes qui renvoient à des réalités touchant, de près ou de loin, au domaine linguistique ;
- que la résistance à la prédication muḥammadienne et sa contestation sont fortement exprimées dans l'emploi des verbes ;
- que la révélation faite à Muḥammad est un dire du "dire" divin et, en réponse, un dire de l'homme, et que cet aspect est essentiel, qu'il se retrouve dans la proclamation,qur’ān, et dans la fonction prophétique, comme l'indique d'ailleurs l'étymologie, en arabe tout comme en français165 ;
- que Muḥammad le Prophète est essentiellement présenté comme l'homme de la Parole, ou en relation avec la Parole, et que cela lui tient lieu d'identité et de nom ;
- que la Parole coranique se distingue de la parole profane avec laquelle il ne faut pas la confondre ; et qu'avec le Coran la parole humaine s'efface devant la Parole divine ;
- et ceci parce que la langue de l'homme est issue de la Parole créatrice de Dieu et se doit donc d'être à son service.
LE CORAN ET LA LANGUE : LE CORAN COMME LIVRE LITURGIQUE (OU LA MISE EN ŒUVRE LITURGIQUE DE LA PAROLE SACRÉE)
136Nous avons vu toute l'importance du langage et de la langue dans le Coran, que cela soit dit explicitement ou exprimé implicitement. Nous avons vu comment le Coran, qui est Proclamation, Prédication, est le dire par excellence de Dieu et de l'homme. Nous ne voudrions pas terminer ce chapitre sans montrer comment ceci n'est pas simplement affirmation abstraite, mais correspond également à la pratique des musulmans. Pour ce faire, nous voudrions mettre en valeur un certain nombre de caractéristiques du Coran qui nous permettent de le considérer comme le Livre liturgique de l'Islam.
137Le Coran n'est semblable à aucun des livres sacrés de la tradition judéo-chrétienne : on n'y trouve point les longs récits historiques composés et organisés couvrant toute une période, et seule la longue sourate 12 constitue une exception notable avec l'histoire de Joseph. On n'y trouve pas non plus les longues énumérations juridiques que nous offre par exemple un livre comme leLévitique : les prescriptions légales contenues dans le Coran sont proposées dans un style beaucoup plus vivant et moins austère, avec le souci de répondre à des situations particulières et successives plutôt que de traiter une question selon un plan préétabli. Point non plus de développements sapientiaux organisés comme dans lesProverbes ou l'Ecclésiaste.
138Le Coran est plutôt une évocation — évocation de Dieu166 et de sa grandeur, évocation de l'au-delà, des récompenses et des tourments—, évocation fréquente des différents personnages et événements de l'histoire des hommes. C'est aussi une prédication167 dans laquelle Dieu s'adresse continuellement aux hommes pour les convertir, les aider, les encourager ou les menacer ; cette prédication est un enseignement, une bonne nouvelle, mais c'est aussi un Avertissement, un Rappel.
139Ce n'est pas un texte suivi à lire, mais un texte à prier168. Et différents traits du Coran nous permettent de le considérer comme un texte liturgique, si nous pouvons oser ce qualificatif.
140Un premier point à souligner dans ce sens est le procédé littéraire de la répétition : comme toute parole vivante, le Coran revient plusieurs fois sur les mêmes affirmations, les mêmes événements, les mêmes personnages et répète de nombreux versets. Répétition en rapport sans doute avec une préoccupation pédagogique, mais tout à fait en accord avec une pratique liturgique169. Parfois, cette répétition prend une forme soigneusement organisée et composée. Ainsi la répétition du même début de verset comme dans la sourate 81,al-Takwīr, les versets 1 à 13 qui commencent paridā, "lorsque"170.
141Dans d'autres cas, la répétition prend la forme d'un refrain, d'une antienne. Ainsi le verset suivant :
« Oui, nous avons facilité la compréhension du Coran
en vue du Rappel (Ḏikr)
Y a-t-il quelqu'un pour s'en souvenir ? »
142qui revient quatre fois dans la sourate 54, la Lune171. On trouve, de la même façon, des antiennes reprises cinq, dix et même trente fois, comme dans la sourate médinoiseal-Raḥmān, scandée d'une manière presque incantatoire par ces mots : « Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que tous deux vous nierez ? »172 Tous ces exemples, et bien d'autres, s'intègrent parfaitement dans le cadre d'une récitation rituelle, d'une action de type liturgique173.
143Nous disions que bien des traits du Coran font qu'il se prête à la récitation. Nous avons étudié précédemment le sens explicite dans le Coran des notions relatives à la récitation issues des racines QR’, TLW, RTL174. Nous nous contenterons de citer, ici, une recommandation particulièrement explicite du Coran sur ce point, qui en souligne l'aspect liturgique. Ainsi, dans un contexte d'incitation à la prière, avec le recours à la répétition, en antienne, d'une invitation qui est la "pointe" du passage :
« Oui, ton Seigneur sait
que toi, et un grand nombre de ceux qui sont avec toi,
vous vous tenez debout en prière
moins des deux tiers ou de la moitié
ou du tiers de la nuit.
- Dieu fixe la mesure de la nuit et du jour.
Il sait que vous n'en faites pas le compte exact
et il vous pardonne.
-Récitez donc(fa-qra’ū) à haute voix
ce qui vous est possible du Coran.
- Il sait que certains d'entre vous sont malades,
que d'autres parcourent la terre,
à la recherche des bienfaits de Dieu,
et que d'autres encore luttent dans les chemins de Dieu.
Récitez donc à haute voix
ce qui vous est possible du Coran.
Acquittez-vous de la prière... »175
144Il y a là, en finale de la sourate, l'écho de ce qui était recommandé en son début :
« Ο toi qui es enveloppé d'un manteau !
Tiens-toi debout
une partie de la nuit,
la moitié
ou un peu moins
ou davantage
et psalmodie avec soin le Coran (rattili-l-Qur’ān tartīlan) (v. 1-4). »
145Poussant plus loin, Blachère parle de récitation en commun de passages du Coran : « Assez tôt, d'ailleurs, semble-t-il, tout ou partie de ces révélations a dû servir à larécitation en commun. Nous sommes dans la plus totale incertitude sur la façon dont les fidèles récitèrent ces textes. Peut-être s'est-il agi d'une psalmodie176. Quoi qu'il en soit, on peut estimer que cette récitation était d'un grand effet pour qui l'entendait. Sur ce point, pourraient être invoquées les circonstances de la conversion du futur calife ‘Umar. Ce personnage, d'abord farouchement hostile à la nouvelle religion, serait, dit-on, entré un jour chez sa sœur déjà convertie, alors qu'en compagnie de son mari ellerécitait à voix haute un fragment coranique. Pour ‘Umar, ce fut le trait de lumière. Bouleversé par la beauté de quelques phrases entendues, il se fit redire tout le passage et fut ému jusqu'aux larmes. »177 Et d'ailleurs, toujours dans le sens de cette récitation publique, Buḫārī rapporte unḥadīṯ dans lequel Muḥammad déclare aimer entendre le Coran dit par un autre178.
146Tout ceci non pour décrire d'une manière précise comment le Coran a été récité en son temps, mais pour souligner les caractères et les aspects qui en font un texte particulièrement adapté à une récitation de type liturgique.
147Deux dernières remarques pour poursuivre dans le même sens. La première est d'ordre stylistique et concerne lesağ‘ (c'est-à-dire la prose rimée) sur lequel nous ne nous étendrons pas car il a été suffisamment étudié : qu'il nous suffise de dire que lesağ‘ aide admirablement à l'utilisation liturgique qui peut être faite du Coran. La deuxième remarque conclura ce chapitre en rappelant les versets de louange divine qui abondent dans le Coran179, et le fait que plus d'une quarantaine de fois, le termesubḥāna est appliqué à Dieu180, sous forme d'une prière de louange. C'est le texte lui-même qui est alors parole liturgique.
148Rien ne pouvait sans doute mieux souligner l'importance de la langue dans le Coran que cet éclairage liturgique. Avant d'aborder le point suivant de cette réflexion, qui portera sur un autre "discours" lié à Muḥammad et au Coran, leḥadīṯ, nous pouvons essayer de voir en quoi les développements précédents nous permettent de répondre à la question que nous nous posions au début de ce chapitre181 : pourquoi ne peut-on ignorer le Coran dans l'étude de l'histoire de la langue arabe qui lui est antérieure ? Nous pouvons peut-être discerner deux raisons qui se dégagent. La première est qu'avec le Coran, l'arabe devient langue de Dieu et de ce fait aura tendance à occulter ou à condamner tout "dit" qui n'est pas divin. Dans la mesure où les circonstances ultérieures ont vu la prise de pouvoir par les Arabes musul-mans suivie de conquêtes territoriales, l'espace où pouvaient évoluer et se développer les œuvres littéraires arabes antérieures au Coran s'est progressivement rétréci au profit de l'islamisation conquérante.
149Ce que nous avons dit des rapports de l'écrit et de l'oral et de la prédominance de l'oral va également dans le même sens. Quel que soit le statut de l'écrit et celui de la langue arabe avant l'islam, avec la venue de Muḥammad, et le Coran qu'il prêche, désormais, un seul texte importera et il faudra le proclamer. L'écrit ne sera que le support de cette prédication : il ne sera que signes consignés destinés à aider le "lecteur" et non à lui apprendre quoi que ce soit. On voit mal, dans ces conditions, comment la communauté aurait pu s'intéresser à d'autres écrits, s'il se trouve qu'ils aient existé. Là encore, peu à peu, tout l'espace religieux et littéraire est occupé par le Coran, et il faudra attendre d'autres préoccupations pour que puissent resurgir les traces de l'activité littéraire et poétique antérieure.
III - L'ARABE, LANGUE DUḤADĪṮ
150Après le Coran, c'est leḥadīṯ qui nous fait remonter le plus loin dans le temps, à la recherche du contexte qui a forgé peu à peu la problématique des études linguistiques arabes. Nous nous interrogerons donc successivement sur ce que nous dit leḥadīṯ de la langue et de ce qui s'y rapporte. Nous essayerons ensuite, comme nous l'avons fait pour le Coran, de dégager la conception implicite de la langue qu'il contient.
151Mais tout d'abord, relevons ce qui n'est pas qu'une simple coïncidence. Tout comme le vocableQur’ān, Coran, était la consécration du terme désignant la récitation, le vocable deḥadīṯ est lui aussi emprunté au vocabulaire spécifique de la langue. En effet, dans l'explication qu'en donne Rāġib al-Iṣfahānī182, après avoir noté et expliqué l'emploi de la racine oùḥudūṯ signifie l'apparition de la chose après son inexistence, et cela aussi bien accidentellement que substantiellement, et oùiḥdāṯ signifie sa création, il passe au sens linguistique du terme : « Toute parole (kalām) qui atteint l'homme par le moyen de l'ouïe ou par révélation, à l'état de veille ou durant son sommeil, on lui donne le nom deḥadīṯ, discours, dire, récit. »183 Il justifie ce sens par des citations du Coran : « [...] lorsque le Prophète confia secrètement un dire (ḥadīṯ) à l'une de ses épouses [...] »184, ou lorsque le terme, au pluriel, signifie énigme, récit obscur ; c'est alors Joseph qui parle : « Ο mon Seigneur, tu m'as conféré un certain pouvoir et tu m'as enseigné l'interprétation des récits. »185 Nous pouvons noter qu'au pluriel,ḥadīṯ peut également avoir le sens de légende ; c'est ce qui ressort de l'expression « ğa‘alnāhum aḥādīṯ », « nous les fîmes passer en légende »186. Avec Rāġib al-Iṣfahānī, notons enfin le sens particulier que peut prendre le terme deḥadīṯ dans la bouche de Dieu : il désigne alors le Coran lui-même : « Dieu a appelé Son Livreḥadīṯ lorsqu'Il dit : “Qu'ils apportent donc un récit (ḥadīṯ) semblable à celui-ci s'ils sont sincères”, ou lorsque le Très-Haut déclare : “N'êtes-vous pas étonnés par ce discours (ḥadīṯ) ? " »187
152Cette dernière identification nous maintient dans le prolongement des réflexions des pages précédentes. Car ce n'est sans doute pas par hasard que les traditionnistes et la communauté musulmane ont choisi le terme deḥadīṯ pour désigner les traditions « rapportant lesactes ou lesparoles du Prophète, ou sonapprobation tacite de paroles ou d'actes effectués en sa présence »188. Ils ont pris un terme relativement utilisé dans le Coran189 et qui, dans certains cas, a, nous venons de le dire, une valeur religieuse.
153La littérature duḥadīṯ est immense et il ne sera question ici ni de la parcourir, ni d'en faire l'analyse, mais d'en retenir des traits significatifs qui pourront nous faire avancer dans notre recherche sur la langue arabe. Nous nous attacherons de préférence à Buḫārī, le plus grand des auteurs de recueils, celui qui est la référence première, et ceci chaque fois que nous chercherons à fonder ou à illustrer notre propos190.
CE QUE LE ḤADĪṮ DIT EXPLICITEMENT DU LANGAGE
154Tout d'abord, et ceci se rapporte à la langue et à la transmission des réalités linguistiques, que dit leḥadīṯ de lui-même et de son enseignement ? Au début de son chapitre sur la science,Kitāb al-‘ilm, Buḫārī nous renseigne sur ces points.
155En premier lieu, indépendamment du problème spécifique de l'authenticité de l'isnād en fonction de la valeur des personnages qui le composent, le vocabulaire même de l'isnād est l'objet d'interrogations : que penser des différents verbes qui introduisent les rapporteurs ? Le quatrièmebāb, bāb qawl al-muḥaddiṯ, traite du "terme" employé par le traditionniste :
« Un tel nous a raconté,ḥaddaṯanā, nous a informé,aḫbaranā, nous a annoncé,anba’anā. Et al-Ḥumaydī nous disait que pour Ibn ‘Uyayna les termes “nous a raconté, nous a informé, nous a annoncé et j'ai entendu,sami‘tu” étaient des formules de valeur identique. Ibn Mas‘ūd disait : “L'Envoyé de Dieu, véridique et digne de foi, nous a raconté.” Šaqīq dit de ‘Abd Allāh qu'il disait : “J'ai entendu le Prophète [dire] une parole.” Ḥuḏayfa disait : "L'Envoyé de Dieu nous a raconté deuxḥadīṯ.” Abū-l-‘Āliya disait d'Ibn ‘Abbās [s'exprimant] au sujet du Prophète : “Parmi ce qu'il rapporte,fīma yarwī‘an rabbihi, de son Seigneur.” Et Anas disait du Prophète : “Il le rapporte de son Seigneur, qu'il soit exalté.” Et Abū Hurayra disait du Prophète : “Il le rapporte de votre Seigneur, qu'Il soit exalté.” »191
156Il faut souligner l'importance de l'équivalence établie ici entre les verbesḥaddaṯa, aḫbara, anba’a, rawā et, implicitement, avec le verbeqāla, verbes qui tous renvoient à la parole proférée. On aurait pu s'attendre à voir l'un ou l'autre verbe privilégié, soitqāla par son usage le plus fréquent, ouḥaddaṯa qui renvoie à la dénomination retenue pour ce genre littéraire. S'il n'en est rien explicitement, c'est sans doute que l'essentiel n'est pas dans l'usage privilégié de tel ou tel verbe, mais dans l'usage d'une catégorie de verbes, des verbes qui concernentune action ou une parole que l'on rapporte par la parole. Mais une autre équivalence intervient entre ces verbes et le verbesami‘a, entendre. Émission et réception forment ainsi une seule et même réalité et peuvent donner l'une ou l'autre, indifféremment, sa valeur auḥadīṯ. Il y a là un souci de fidélité à la tradition et à l'autorité. Il ne suffit pas de dire une chose, encore faut-il que ce dire soit correctement reçu. Il en résultera une réflexion des traditionnistes sur les différentes méthodes autorisées pour la réception duḥadīṯ (taḥammul al-ḥadīṯ), méthodes qui seront classées ainsi :
- l'audition,samā‘ : c'est la méthode privilégiée, lorsque l'étudiant a recueilli de la bouche même du maître ce qu'à son tour il transmet ;
- la récitation à un maître,al-qirā’a ‘alā-l-šayḫ, avec ou sans livre, le maître écoutant, avec ou sans livre, lui aussi. Ceci est valable pour l'étudiant qui récite comme pour celui qui l'écoute ;
- l'iğāza, la licence, l'autorisation, par laquelle un maître accorde l'autorisation de transmettre un ou plusieursḥadīṯ-s dont le détail peut ne pas être donné ;
- lamunāwala, remise, où le maître remet à l'étudiant une copie ou l'original de son recueil ou de recueils qui lui ont été transmis ;
- lakitāba oumukātaba : le maître prépare lui-même ou fait préparer une copie de son recueil ou de recueils qui lui ont été transmis ;
- le maître donne un livre qu'il a eu le droit de transmettre et de faire transmettre ;
- waṣiyya, legs : le maître lègue par testament, avant sa mort ou un voyage, le droit de transmettre ses œuvres ;
- wiğāda, trouvaille : celui qui trouve un recueil écrit de la main d'un maître peut le transmettre s'il explique comment il l'a trouvé192.
157La mise au point de cette classification et les distinctions qu'elle fait intervenir privilégient la transmission orale qui, placée en tête, est celle qui est la plus sûre. Cela n'a rien d'étonnant dans la mesure où leḥadīṯ est essentiellement un dire qui renvoie à une autorité : rien ne remplace le fait d'entendre cette autorité proférer ce dire elle-même. Ce qui vaut pour chacun des termes de l'isnād vaut également pour le recueil.
158Mais ce qui est fort intéressant et qui nous renseigne sur les méthodes d'enseignement auiiie/ixe siècle, c'est ce qui concerne la récitation à unšayḫ,al-qirā’a ‘alā-l-šayḫ : Buḫārī est explicite sur ce point auquel il consacre le développement suivant :
« De la récitation (qirā’a) et de l'exposé (‘arḍ) fait à un traditionniste (muḥaddiṯ). al-Ḥasan [al-Baṣrī] (m. 110/728), al-Ṯawrī (m. 161/778) et Mālik (m. 179/795) sont d'avis que la récitation est permise (ğā’iza). Abū ‘Abd Allāh al-Buḫārī dit : “J'ai entendu Abū ‘Āṣim rappeler au sujet de Sufyān al-Ṯawrī et de Mālik qu'ils étaient d'avis que la récitation (qirā’a) et l'audition (samā‘) étaient également permises.” Et ‘Ubayd Allāh b. Mūsā nous a raconté au sujet de Sufyān qu'il avait dit : “Lorsque quelqu'un a récité unḥadīṯ à un traditionniste, il n'y a aucun mal à ce qu'il dise : il m'a raconté ou j'ai entendu.” L'un d'entre eux, afin de prouver qu'il est permis de réciter unḥadīṯ à un savant maître a tiré argument duḥadīṯ de Ḍimām b. Ṯa‘laba. Ce dernier dit au Prophète : “Dieu t'a-t-il ordonné de faire des prières ?” Il répondit : “Oui.” Et de dire : “Ceci est une récitation faite au Prophète.” Ḍimān ayant ensuite rapporté cette prescription à ses contribules, ceux-ci l'y autorisèrent. Mālik a tiré également argument des actes judiciaires qu'on lit devant des personnes qui ensuite disent : “Un tel nous a pris à témoin”, alors qu'il n'y a eu devant eux qu'une simple récitation. On peut également réciter du Coran à un maître de lecture du Coran et dire ensuite : “Un tel m'a fait lire”. Muḥammad b. Salam nous a raconté que Muḥammad b. al-Ḥassān al-Wāsiṭī lui avait raconté qu'il tenait de ‘Awf que Ḥasan al-Baṣrī avait dit : “Il n'y a aucun mal à réciter unḥadīṯ à un savant maître.” Et Muḥammad b. Yūsuf al-Firabrī nous a raconté que ‘Ubayd Allāh b. Mūsā lui avait raconté de Sufyān qu'il avait dit : “Lorsqu'on a récité unḥadīṯ à un traditionniste, il n'y a pas d'inconvénient à dire : un tel m'a raconté.” L'auteur de ce recueil dit :
“J'ai entendu Abū ‘Āṣim dire d'après Mālik et Sufyān : il y a parité entre la récitation faite devant un savant et la récitation de ce savant lui-même.” »193
159Ainsi, la transmission par l'audition est possible de deux façons : soit que l'on entende soi-même leḥadīṯ d'un maître, soit que l'on fasse entendre ceḥadīṯ à ce maître, audition passive et audition active, dirions-nous. Il y a là un élargissement considérable du domaine de l'audition qui confirme ce que nous disions tout à l'heure de l'étroite imbrication entre l'émission et la réception194 qui ne forment qu'une seule et même réalité : cela est si vrai que l'un des deux termes peut tenir lieu de l'autre. Ainsi la parole duḥadīṯ est échangée entre le maître et l'élève, et l'enseignement n'est pas seulement don du maître au disciple, mais aussi épreuve et vérification : la parole devient lelieu de l'échange.
160Une autre remarque sur letaḥammul al-ḥadīṯ concernera l'ensemble des méthodes que nous avons évoquées : elles soulignent toutes le caractère d'autorité de cette transmission : si le disciple se met à enseigner, c'est qu'il en a reçu le pouvoir d'une autorité, elle-même autorisée, sous différentes formes possibles. Insistance sur l'autorité qui caractérise toute forme d'enseignement oral. A tel point que lorsque la transmission du savoir se fait autrement que par l'oral, par le biais par exemple d'un recueil écrit, comme lakitāba, lawaṣiyya ou lawiğāda, il faut absolument pouvoir rendre compte du lien avec l'autorité : l'écrit livré à lui-même, sans référence explicite à son auteur, n'a pas de valeur. Nous restons bien dans une perspective dominée par la supériorité de l'enseignement oral et l'argument d'autorité.
161Outre ce que nous apprend leḥadīṯ sur lui-même, la nature de sa parole, sa valeur, son enseignement et sa transmission, leḥadīṯ nous parle ici ou là de la langue et des termes qui s'y rapportent. Et pour commencer, les termes deluġa et delisān. Le premier de ces termes, qui ne figure pas dans le Coran, comme nous l'avons déjà dit, n'est relevé qu'en trois passages des recueils deḥadīṯ-s par Wensinck195 :luġa est synonyme de langue parlée et est utilisé à la place delisān196.
162Ce dernier terme par contre, tout comme dans le Coran, revient un certain nombre de fois dans les recueils. Dans la grande majorité des cas, il signifie l'organe de la parole, comme lorsqu'il est déclaré que si le regard est la fornication de l'oeil, la parole (manṯiq) est la fornication de la langue (lisān)197, ou encore que le croyant mène la guerre sainte par son épée et sa langue198. Mais, quoique beaucoup moins souvent, lesḥadīṯ-s utilisent le terme delisān dans le sens de langue parlée. Tantôt pour justifier le droit des peuples à utiliser leur propre langue, comme lorsqu'il est précisé que la répudiation se fait dans la langue nationale199, ou lorsque le Prophète condamne Ḫālid pour avoir tué des vaincus qui avaient mal prononcé, étant étrangers, la formule "aslamnā" ; leḥadīṯ ajoute alors : « Dieu connaît toutes les langues. »200 Mais, par ailleurs, outre cette justification de la diversité des langues, c'est aussi pour proclamer les droits de la langue deQurayš. C'est ceḥadīṯ bien connu :
« Le Coran a été révélé dans la langue de Qurayš. Anas rapporte que ‘Uṯmān invita Zayd b. Ṯābit, ‘Abd Allāh b. al-Zubayr, Sa‘īd b. al-‘Āṣ et ‘Abd al-Raḥmān b. al-Ḥāriṯ b. Hišām à transcrire les versets du Coran. Ils les transcrivirent sur des feuillets. Alors ‘Uṯmān dit aux trois hommes de la tribu de Qurayš : “Si vous êtes en désaccord, vous et Zayd b. Ṯābit, sur quelque point du Coran, alors écrivez-le dans la langue de Qurayš, car il a été révélé dans leur langue.” C'est ce qu'ils firent. »201
163Valorisation d'autant plus forte qu'elle s'appuie sur l'autorité du Coran, puisqu'il s'agissait de sa transcription et de sa mise par écrit.
164La racine KLM occupera une place plus importante dans leḥadīṯ, soit comme verbe à la deuxième ou à la cinquième forme, soit sous les deux formes substantives dekalima etkalām.Kalima sera la parole dite par le Prophète, celle du croyant proférant la formule « la ilāha illā Allāh » ; ce sera comme dans le Coran, la parole divine.Kalām peut avoir également le sens de Parole de Dieu, mais il a surtout, et c'est ce qui nous intéresse le plus ici, un usage qui revient fréquemment dans leḥadīṯ, dans les expressions :bāb kalām...,bāb al-kalām fī...,bāb mā gā’a fī-l-kalām, etc. Beaucoup de ces chapitres vont dans le sens d'une codification, d'une réglementation ou d'une organisation de la parole. Certes, ceci se trouvait déjà dans le Coran où nous avions relevé les très nombreux emplois — trois cent trente-deux— de l'impératifqul. Mais, alors que dans le Coran le texte exprime l'ordre divin, dans leḥadīṯ, il y a un recul pris par rapport à la parole de façon à pouvoir en organiser les différentes formes selon les circonstances. On pourrait dire que l'un des aspects duḥadīṯ est la mise en forme, l'organisation de la parole.
165Une telle orientation, une telle valorisation de la parole débouche tout normalement sur ce que nous dit leḥadīṯ suivant :
« De la continence de la langue (bāb ḥifẓ al-lisān) et de ces paroles du Prophète : “Que celui qui croit en Dieu et en la vie future ne dise que du bien ou alors qu'il se taise.” [...] Abū Hurayra a entendu le Prophète dire : “Le Serviteur de Dieu qui prononce des paroles sans observer les convenances glissera à cause de cela dans l'enfer, en fût-il plus éloigné que n'est l'Orient de l'Occident.” Et toujours selon Abū Hurayra, le Prophète a dit : “Le serviteur de Dieu qui prononce des paroles agréables à Dieu, même sans y attacher d'importance, Dieu le fera monter à cause de cela de quelques degrés dans le Paradis ; l'homme qui prononce des paroles réprouvées par Dieu, même sans y attacher d'importance, sera à cause de cela précipité dans l'enfer.” »202
166La parole acquiert ainsi le statut d'action et même d'action par excellence, puisque c'est selon ses paroles, dans ceḥadīṯ, que l'homme sera jugé pour mériter le paradis ou l'enfer. Ainsi est consacrée une orientation qui privilégie la parole et qui prend sa source dans le Coran. Elle ne cessera plus de se développer ensuite.
167Il faut cependant se souvenir qu'il ne s'agit pas de n'importe quelle parole, mais de la parole conforme à la parole divine. Leḥadīṯ l'affirme fortement. Au cas où nous n'y prêterions pas assez attention, unḥadīṯ est là pour nous le rappeler :
« De ce qu'il y a de répréhensible, pour un homme, à se laisser dominer par la poésie au point de se laisser détourner des invocations à Dieu, de la science canonique et du Coran [...]. Ibn ‘Umar rapporte que le Prophète a dit : “Mieux vaudrait pour l'un d'entre vous que son ventre fût rempli de pus, plutôt que d'être plein de poésie.” »203
168On ne peut rejeter plus fermement toute parole qui n'est pas la Parole de Dieu.
CE QUE LEḤADĪṮDIT IMPLICITEMENT DU LANGAGE
169Bien d'autres indications sur la parole et la langue nous sont fournies par leḥadīṯ, mais d'une manière implicite cette fois. Nous allons chercher à en dégager quelques-unes qui intéressent plus particulièrement notre propos.
170Une première indication d'importance nous est fournie par la structure même duḥadīṯ : il comporte deux parties, la chaîne des transmetteurs,isnād, et le texte,matn. Ce serait une erreur de vouloir privilégier l'une par rapport à l'autre car dans leḥadīṯ, ce qui est dit dans lematn n'a de valeur que celle qui peut lui être conférée par les transmetteurs et le degré de confiance qu'on peut leur accorder. C'est ainsi qu'il y a dans les recueils de nombreux doublets qui ne varient pratiquement que par leurisnād204.
171Nous nous attacherons ici à l'isnād, dont l'importance vient d'être dite. Cetisnād est articulé, nous l'avons vu plus haut, autour de verbes désignant différentes formes de la parole : dire, raconter, rapporter, annoncer, etc., et du verbe entendre, qui peuvent être pris les uns pour les autres. C'est dire que leḥadīṯ repose sur une transmission orale et se justifie par elle. Aux diverses remarques faites dans les pages précédentes, nous pouvons ajouter que la structure même de l'isnād est constituée en fonction de cette tradition orale et de sa prééminence : il faut arriver à constituer une chaîne ininter-rompue qui nous permette de remonter jusqu'au Prophète lui-même ou à ceux qui ont partagé sa vie, et ceci de bouche à oreille. Cela va entraîner certaines recherches dans le vaste champ de la critique duḥadīṯ, celles qui portent sur les transmetteurs, l'époque et le lieu de leur vie, afin de pouvoir tester le caractère de vérité, d'authenticité ou de vraisemblance d'unisnād.
172L'isnād est ainsi une forme de généalogie, la généalogie de la parole. Et comme toute généalogie, elle repose sur le postulat implicite de la valeur et de l'autorité de l'origine et de l'ancien ; sinon, on ne prendrait pas la peine de rechercher cette origine. Cette valeur de l'ancienneté pour la parole est attestée incidemment par unḥadīṯ :
« Des égards que l'on doit à l'homme d'âge. C'est au plus âgé de commencer à parler et à interroger. Rāfi‘ b. Ḫadīğ et Sahl b. Abī Ḥaṯma rapportent que ‘Abd Allāh b. Sahl et Muḥayyiṣa b, Mas‘ūd vinrent à Ḫaybar et se séparèrent en arrivant à la palmeraie, et que ‘Abd Allāh b. Sahl fut tué. Alors ‘Abd al-Raḥmān b. Sahl ainsi que Ḥuwayyiṣa et Muḥayyiṣa b. Mas‘ūd vinrent trouver le Prophète et l'entretinrent tous trois de ce qui était arrivé à leur compagnon. ‘Abd al-Raḥmān, qui était le plus jeune de tous, ayant commencé à prendre la parole, le Prophète dit : “Révérez le plus âgé” ; ce que Yaḥyā explique quand il dit : “Que la parole se prenne successivement en commençant par le plus âgé [...].” »205
173On ne saurait mieux souligner le rôle de l'argument d'autorité, caractéristique de toute transmission orale. Le plus ancien, le plus âgé, est crédité de la plus grande autorité. Cela ne peut être pour une question d'intelligence ou de pénétration qui est sans rapport avec l'âge, mais pour une raison d'expérience, dont il est implicitement affirmé que tous l'acquièrent de la même façon et que c'est donc uniquement le temps qui en fait la valeur. Nous sommes ici prisonniers du temps et de la chronologie, et cela est aussi toujours le cas dans les processus qui font intervenir l'ouïe, car l'audition d'un discours ne peut être que successive, à la différence de la vue qui peut avoir une saisie qui ne respecte pas le caractère séquentiel de ce discours grâce à une appréhension globale de son texte. La parole est liée étroitement au déroulement de sa transmission et à l'expérience de son transmetteur, caractères qui sont extrinsèques à la parole elle-même. Plus loin, nous verrons, sur ce point, toute la différence entre la parole duḥadīṯ et, par exemple, la parole de la philosophie.
174Prédominance du caractère oral de la parole et importance de l'autorité : ces deux aspects vont paradoxalement marquer les rapports de l'oral et de l'écrit.
175Et tout d'abord, la façon de considérer l'écrit, et cet écrit particulier qu'est le Coran, ressort duḥadīṯ suivant :
« De la mise par écrit de la science [qui vient de Dieu] (kitābat al-‘ilm). Abū Ǧuḥayfa dit : Comme je demandais à ‘Alī s'il y avait chez eux un recueil écrit,kitāb, il me répondit : “Nous n'avons rien si ce n'est le Livre de Dieu ou la compréhension qui en a été donnée à l'homme musulman ou ce qui est inscrit sur ces feuillets [...].” »206
176Ce que nous remarquons ici, c'est que la compréhension du livre divin est mise sur le même plan que l'exemplaire de ce livre. Nous pensons voir ici l'affirmation que l'écrit ne peut être considéré isolément, mais doit être accompagné de sa compréhenaion, c'est-à-dire que l'écrit ne peut être isolé de sa transmission orale, que l'écrit seul est insuffisant et ne contient pas en lui ce qui permet de le comprendre. Cela était déjà implicitement compris dans ce que nous avons vu dutaḥammul al-ḥadīṯ. Cela est parfaitement souligné ici ; la tradition écrite est inséparable de la tradition orale.
177Ceci étant bien posé, nous pouvons lire sans nous étonner certains passages qui semblent donner la prépondérance à l'écrit. Comme dans leḥadīṯ qui suit :
« Le frère de Wahb b. Munabbih déclare : “J'ai entendu Abū Hurayra dire : “Personne parmi les Compagnons du Prophète ne possède plus de traditions à son sujet que moi, si ce n'est ce qui provient de ‘Abd Allāh b. ‘Amr : en effet, il écrivait et je n'écris pas.” ” »207
178Il y a là non pas l'affirmation de la supériorité de l'écrit sur l'oral, mais de l'aide — considérable d'ailleurs — que l'écrit peut fournir à l'oral, ceci sans pour autant que l'écrit puisse prétendre remplacer l'oral ou le dépasser208.
179De la même façon, dans le même sens, en conclusion d'unḥadīṯ sur le caractère sacré de la Mekke et l'interdiction d'y commettre un meurtre et sur la sanction d'une infraction à cette règle, nous voyons un Yéménite, qui avait entendu tout ce que venait de dire le Prophète à ce sujet, s'approcher et déclarer : « Mets-moi cela par écrit, ô Envoyé de Dieu. » Le Prophète dit alors : « Mettez cela par écrit pour un tel. »209 Là encore, il ne s'agit pas d'une valeur supérieure accordée à l'écrit, du moins nous le comprenons ainsi, mais d'une confirmation de l'écrit par l'oral, d'un rappel destiné à faciliter la transmission de ces paroles du Prophète et leur souvenir, étant bien entendu que l'autorité de ces paroles repose sur leur transmission orale. L'écrit permet aussi de surmonter les difficultés causées par la mort desḥuffāẓ.
180Et c'est sans doute de la même façon qu'il faut comprendre leḥadīṯ qui accompagne ceux qui viennent d'être cités, bien qu'il soit moins facile à expliquer et à interpréter, comme nous le verrons.
« On rapporte d'Ibn ‘Abbās qu'il déclara [que] lorsque les souffrances du Prophète devinrent plus vives, il dit : “Apportez-moi de quoi écrire [littéralement un livre,utūnī bi-kitāb], afin que je vous mette par écrit ce qui vous préservera de l'erreur après moi (aktubu lakum kitāban lā taḍillū ba‘dahu).” ‘Umar dit alors : “Le Prophète a été terrassé par la douleur. Nous avons le livre de Dieu, cela nous suffit.” Les avis à ce moment furent partagés et la discussion devint bruyante. “Retirez-vous, laissez-moi, reprit alors le Prophète, il ne convient pas que l'on se dispute en ma présence !” Ibn ‘Abbās sortit en disant : “C'est un malheur, un grand malheur, que d'avoir ainsi mis un obstacle entre le Prophète et son Livre (ma hāla bayna rasūl Allāh wa bayna kitābihi).” »210
181Ceḥadīṯ est fort intéressant par la divergence non dissimulée des avis sur la question de l'écrit. Le fait qu'il y ait un écrit supérieur à tous, qui soit l'ultime référence, n'est pas remis en cause ici. Ce qui le montre bien, c'est que le terme dekitāb est utilisé dans l'un ou l'autre cas. La question qui se pose est de savoir s'il est concevable d'avoir d'autres écrits, et quelle est alors leur nature et leur rapport au Coran. Lesḥadīṯ-s précédents montraient que l'on pouvait avoir recours à l'écrit pour consigner des paroles du Prophète afin de mieux s'en souvenir. Pourquoi ceḥadīṯ n'a-t-il pas pris le même cheminement ? Pourquoi cette opposition entre Ibn ‘Abbās et ‘Umar ? Pourquoi ‘Umar a-t-il opposé cet ultime "écrit" du Prophète à cet écrit fondamental qu'est le Coran ? Il y a une ambiguïté dans ce texte sur ce point. Car tant que le Prophète était vivant, la révélation se poursuivait et il était donc tout à fait normal de recourir à l'écrit pour la consigner. Tel serait le sens du récit et du commentaire d'Ibn ‘Abbās. La position de ‘Umar ne rend-elle pas compte plutôt d'une attitude plus tardive, postérieure à la mort du Prophète et s'opposant à la constitution de tout écrit de référence autre que le Coran ? Cela expliquerait qu'il présente le Coran comme achevé, alors que le Prophète n'a pas fini de parler. Peut-être une telle attitude prêtée à ‘Umar traduit-elle une méfiance à l'égard d'une prise de conscience naissante de l'importance de l'écriture et de sa valeur intrinsèque, indépendamment de son rapport au Livre sacré ? La question reste posée.
182L'ensemble de ces passages nous permet d'affirmer cependant que dans les rapports de l'écrit et de l'oral, leḥadīṯ donne sans conteste possible la prééminence à l'oral, que rien ne peut remplacer. Prééminence n'est pas préférence, en ce sens qu'il n'est pas question de choisir entre deux modalités de transmission : l'une et l'autre sont nécessaires ; il ne s'agit pas d'une alternative mais de complémentarité. L'écrit, par son rôle d'aide à la mémoire et de secours porté à ses limites, se révélait indispensable comme moyen de transmission. Mais tous les passages évoqués montrent qu'il n'a jamais été accepté comme moyen unique ou autonome de cette transmission : ce sera toujours en rapport avec l'oral, même ténu, qu'il sera considéré et qu'il trouvera sa valeur.
183Nous voudrions conclure cette réflexion sur la langue et la Parole selon leḥadīṯ par un dernier exemple qui nous permettra de mieux préciser le statut de cette parole et d'en montrer le caractère original au moment où elle apparaît avec Muḥammad dans l'Arabie du début duviie siècle. Il s'agit d'unḥadīṯ, plusieurs fois rapporté, qui expose la façon dont Muḥammad a reçu sa première révélation de l'Ange Gabriel :
« Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé [...]. Ibn Šihāb raconte [...] que ‘Urwa b. Zubayr l'a informé de ce que [...] soudainement la vérité lui arriva pendant qu'il était dans la caverne de Ḥirā’. L'Ange vint et lui dit : “Récite (iqra’)” et l'Envoyé du Seigneur lui dit : “Je ne suis pas de ceux qui récitent (mā anā bi-qāri’).” Alors, dit-il, l'ange me prit, me couvrit à tel point que je n'en pouvais plus. Il me lâcha et me dit : “Récite.” — “Je ne suis pas de ceux qui récitent”, répondis-je. Il me prit de nouveau, me couvrit une seconde fois à tel point que je n'en pouvais plus, puis il me lâcha en me disant : “Récite”. — “Je ne suis pas de ceux qui récitent, repris-je”. Il me prit encore et me couvrit pour la troisième fois au point que je n'en pouvais plus, puis il me lâcha en disant : “Récite : au nom de ton Seigneur qui a créé [...]. Récite : ton Seigneur est le plus généreux ; c'est lui qui a enseigné par le calame [...].” L'Envoyé de Dieu s'en retourna avec ces versets, animé de mouvements très agités, et arriva chez Ḫadīğa et il dit : “Enveloppez-moi, enveloppez-moi.” On l'enveloppa jusqu'à ce que sa frayeur fut dissipée. Il dit à Ḫadīğa ce que voici : “Ḫadīğa, que m'arrive-t-il ? Je crains pour ma vie.” Et il l'informa de ce qui s'était passé. Ḫadīğa lui dit : “Pas du tout, réjouis-toi, par Dieu. Dieu ne t'infligera jamais une humiliation. Par Dieu, c'est toi qui uniras les proches, qui seras vrai dans la Parole. [...]” »211
184Ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas, comme tel, le récit de la première révélation faite à Muḥammad, mais ce que ce récit, rapporté par leḥadīṯ, nous permet de comprendre du statut de la parole au temps de Muḥammad, selon l'optique des traditionnistes. Et du coup, ce qui nous arrête, c'est cette réponse de Muḥammad : « Je ne suis pas de ceux qui récitent. » Tout comme si, dans l'esprit de Muḥammad, il n'y avait qu'une seule façon de réciter, d'êtreqārī’, façon qu'il se défend bien de pratiquer. C'est bien ainsi d'ailleurs qu'Ibn Isḥāq212 l'entend dans saSīra puisqu'il commente en disant, nous l'avons rappelé plus haut : « Il n'y a personne dans la création de Dieu qui me soit plus haïssable qu'un poète ou un homme possédé par lesğunūn. Je ne peux pas supporter le fait de les regarder. »213 On pourrait ainsi considérer que pour leḥadīṯ, dans l'esprit de Muḥammad, il n'y a qu'une seule récitation, celle des poètes. Cela expliquerait le trouble profond de Muḥammad invité à réciter et par là à devenirqārī’, et à se joindre ainsi au groupe déconsidéré desqurrā’, des poètes et autres inspirés. C'est ici qu'intervient Ḫadīğa et sa clairvoyance, car elle comprend qu'un autre type de parole apparaît avec ce que Muḥammad est invité à réciter, une parole qui, elle, sera vraie, à la différence de celle qui avait cours avec les poètes et les devins.
185Ainsi considéré, ceḥadīṯ nous révèle, de la part des traditionnistes, une façon de présenter la parole divine, telle que la transmet Muḥammad, comme une parole tout à fait nouvelle et inédite. Dans un milieu où seule la parole du poète et desmağānīn donnait lieu à récitation, voici que vient prendre place un nouveau mode de récitation, parce qu'un nouveau mode de parole est apparu. Ainsi, Muḥammad aurait-il eu une action tout à faitnovatrice — pour ne pas utiliser le terme ambigu de révolutionnaire— sur la fonction sociale, culturelle et religieuse de la parole au début duviiesiècle. Cette innovation apportée par la parole proclamée par Muḥammad tiendrait sans doute à son contenu : ce n'est pas une parole humaine, ou relevant desğunūn, mais une parole issue d'un enseignement divin. Cette parole innove parce que c'est la parole même de Dieu que le Prophète transmet, cette Parole même qu'il ignorait avant que Dieu ne la lui enseigne.
186Tout ceci expliquerait la méfiance, au début de l'islam, envers tout ce qui était poésie, pour bien laisser se confirmer cette forme concurrente de récitation qu'était le Coran.
187Au terme de ces réflexions, nous pouvons dégager les grands traits de la conception que se fait leḥadīṯ du langage et de la parole.
188Et tout d'abord le fait que le nom même deḥadīṯ en fait une œuvre littéraire entièrement orientée vers la parole et l'action de la rapporter, et ceci aussi bien dans son but que dans ses modalités. Ensuite, le fait que cette mise en valeur de la parole s'accompagne du recours essentiel à la tradition orale et à l'enseignement d'autorité. Leḥadīṯ est la mise en forme de la parole après la grande innovation apportée par la révélation faite à Muḥammad. Organisation de la parole et établissement de ses rapports avec l'écrit qui en est le simple, mais indispensable, complément.
189Langue du Coran et langue duḥadīṯ. Avec le Coran, la parole et la langue devenaient parole et langue du Dieu unique. C'était une innovation, une transformation considérable dans l'Arabie du début duviie siècle. Leḥadīṯ continuera dans cette perspective et illustrera de différentes façons ce caractère divin de la parole et l'autorité divine et prophétique qui sont conférés à l'arabe. On peut dire, en écho aux réflexions de Paul Nwyia, qu'avec Muḥammad, nous assistons à laprise de la Parole par Dieu. Toute la suite, dans le Coran et leḥadīṯ, visera à protéger cette "prise", à en organiser le développement et la diffusion parmi les hommes. Ce faisant, toute l'action humaine tendra à fixer, à conserver, à préserver, cette Parole et cette langue.
190Avec succès, pouvons-nous dire, puisque cette langue reste toujours vivante aujourd'hui.
Notes de bas de page
1 Sur la question de la littérature antéislamique, la production est fort abondante depuis que la question de l'authenticité de cette littérature a été soulevée en 1864 par Theodor Nöldeke et reprise en 1872 par W. Ahlwardt, et depuis que Ṭāhā Ḥusayn, en 1926, l'a popularisée avecFī-l-ši‘r al-ğāhilī, devenu l'année suivanteFī-l-adab al-ğāhilī. Jacques Berque, dans son introduction àLes Dix Grandes Odes de l'Anté-Islam (Sindbad, 1979), présente un point de vue intéressant dans la mesure où, au-delà du problème particulier de l'authenticité de tel poème ou de tel fragment, il renvoie à l'existence d'une authentique activité poétique.
2 Nous ne voulons pas soulever ici toutes les questions relatives à la mise par écrit du Coran. On pourra se référer aux mises au point de Welch dansE.I.2, V, p. 409a-411a, et de Blachère dans sonIntroduction au Coran. On en retiendra le travail essentiel de consignation écrite effectuée par Zayd b. Ṯābit, pour Abū Bakr tout d'abord, puis, à partir de 644, sur la demande de ‘Uṯmān, et, cette seconde fois, en compagnie d'autresqurrā’. Comme le souligne maintes fois Blachère, cette mise par écrit ne pouvait être qu'un aide-mémoire, et ceci de par le caractère défectueux du système graphique de l'époque qui ne comportait ni points diacritiques ni ḥarakāt et, outre cela, de par l'absence d'une véritable codification de l'orthographe des semi-consonnes,alif,wāw etyā’.
3 C'est ainsi qu'al-Rāġib al-Isfahānī (m. 502) définit, auve siècle, ce terme, dans sonKitāb al-mufradāt fī ġarīb al-Qur’ān ouMufradāt alfāẓ al-Qur’ān : on qualifie la parole (kalām) de laġw lorsqu'on ne lui accorde pas d'attention ; c'est celle qui est produite non d'une manière délibérée et réfléchie, mais comme lelaġā qui est le son émis par les oiseaux et autres volatiles. Il ne sera pas fait mention, dans l'article consacré à ce terme, du sens moderne delangue, bien que le terme deluġa soit bien connu de Rāġib puisqu'il l'utilise ailleurs (au titre de son vocabulaire personnel) pour expliquer par exemple le termelisān (cf. p. 470, col. 2, 1.1). Cela n'a rien d'étonnant car l'usage courant du terme est attesté auive/xe siècle dans leǦamharat al-luġa d'Ibn Durayd : « Le terme est connu », déclare-t-il (III, p. 151b, 11), et du coup, il n'en donne pas de définition, mais cite les quatre pluriels. On trouvera une définition analogue à celle de Rāġib dans leMu‘ğam al-alfāẓ wa al-a‘lām al-qur’āniyya de Muḥammad Ismā‘īl Ibrāhīm, II, p. 185.
4 Sourate 41,Fuṣṣilat, v. 26.
5 Sourate 2,al-Baqara, v. 225, et sourate 5,al-Mā’ida, v. 89.
6 Sourate 19,Maryam, v. 62, sourate 56,al-Wāqi‘a, v. 25, et sourate 78, al-Naba’, v. 35, qui utilisent toutes trois la même expression ; voir aussi sourate 28,al-Qaṣaṣ, v. 55 et, sur le mode impératif, sourate 88, v. 11, qui font intervenir la racine SM‘. Les trois autres emplois qui ne font pas intervenir explicitement l'audition sont les sourate 23,al-Mu’minūn, v. 3, sourate 25,al-Furqān, v. 72, et sourate 52,al-Ṭūr, v. 23.
7 Que ce soit celui de Rāġib al-Isfahānī (p. 470), ou de Muḥammad Ismā‘īl Ibrāhīm (II, p. 183), qui utilisent l'un et l'autre le terme de ğāriḥa. Ainsi chez Rāġib : la langue est le membre (al-ğāriḥa) et sa force est la parole de Dieu : « Dénoue le nœud de ma langue » (sourate 20,Ṭā hā, v. 27) signifie la force de ce membre car le nœud n'est pas dans le membre mais seulement dans la force de la langue qui est la faculté d'expression (p. 470a, 22-25).
8 Sourate 90,al-Balad, v. 9 : « Ne lui avons-nous pas donné deux yeux, une langue et deux lèvres ? »
9 Sourate 20,Ṭā hā, v. 27 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 13 et 84 ; 28,al-Qaṣaṣ, v. 34.
10 Sourate 4,al-Nisā’, v. 46 ; 16,al-Naḥl, v. 62 et 116 ; 24,al-Nūr, v. 15 ; 48,al-Fatḥ, v. 11 ; 60,al-Mumtaḥina, v. 2.
11 Sourate 24,al-Nūr, v. 24.
12 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 78.
13 Dans la Bible, le signe est absolument inverse, et la Genèse nous présente la diversité des langues comme unesanction divine, et décrit le passage de l'unité à la diversité : « La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. [...] Les hommes se dirent : bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. [...] Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d'Adam. “Eh, dit le Seigneur, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une langue et c'est là leur première œuvre. Maintenant rien de ce qu'ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible. Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres.” De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c'est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre » (Genèse, 11, 1-9).
14 Sourate 14,Ibrāhīm, v. 4. La barre oblique indique un retour à la ligne dans la traduction française.
15 Cette racine est utilisée 257 fois sous sa forme nominale ou verbale, indépendamment des 158 usages de la particulebayna ; Chouémi recense 185 usages du verbe aux 2e, 4e et 10e formes.
16 Voici le v. 97 de la sourate 19 : « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue, afin que tu annonces la bonne nouvelle à ceux qui craignent Dieu et que tu avertisses un peuple hostile » ; et le v. 58 de la sourate 44 : « Nous avons rendu ceci facile à comprendre en ta langue. »
17 Par exemple, sourate 16,al-Naḥl, v. 103.
18 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 78. Voir p. 21 et note 12.
19 Sourate 14, v. 4, déjà citée, p. 22 et note 14.
20 « Oui, le Coran est une révélation du Seigneur des mondes ; l'Esprit fidèle est descendu avec lui sur ton cœur pour que tu sois au nombre des avertisseurs. C'est une révélation en langue arabe claire. Ceci se trouvait déjà dans les Livres des Anciens. N'est-ce pas pour eux un Signe que les docteurs des fils d'Israël le reconnaissent ? Si nous l'avions révélé à un étranger, et que celui-ci l'ait lu devant eux, ils n'auraient pas cru. » Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 192-199.
21 Sourate 16,al-Naḥl, v. 103, déjà citée ; et les deux autres fois : sourate 41,Fuṣṣilat, v. 44 : « Si nous en avions fait un Coran récité dans unelangue étrangère, ils auraient dit : “Pourquoi ses versets n'ont-ils pas été exposés clairement, et pourquoi utiliser unelangue étrangère alors que nous parlons arabe ?” » L'expression revient deux fois.
22Lisān ‘arabī mubīn. Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 195.
23‘Urub. Dans la sourate 56,al-Wāqi‘a, v. 37.
24 Sourate 12,Yūsuf, v. 2 ; sourate 20,Ṭā hā, v. 113 ; 39,al-Zumar, v. 28 ; 41,Fuṣṣilat, v. 3 ; 42,al-Šūrā, v. 7 ; 43,al-Zuḫruf, v. 3.
25 Sourate 16,al-Naḥl, v. 103 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 195 ; 46,al-Aḥqāf, v. 12.
26 « Nous avons révélé une Sagesse arabe. » Sourate 13,al-Ra‘d, v. 37.
27 Sourate 9,al-Tawba, v. 90, 97, 98, 99, 101, 120. Mais le rapport aux bédouins déborde ces versets où ils sont explicitement mentionnés. En dehors de cette sourate, il est question des Bédouins dans les sourates 33,al-Aḥzāb, v. 20 ; 48,al-Fatḥ, v. 11 et 16 ; 49,al-Ḥuğurāt, v. 14.
28 Sourate 19,Maryam, v. 50.
29 Nous laissons de côté la question du caractère littéraire du Coran et de son inimitabilité.
30 Sourate 19,Maryam, v. 97 : « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue, afin que tu annonces la bonne nouvelle à ceux qui craignent Dieu et que tu avertisses un peuple hostile. »
31 Voir plus loin, p. 68.
32 Comme dans la sourate 106,Qurayš, v. 1-4 : « A cause du pacte des Qurayš, de leur pacte concernant lacaravane d'hiver et celle d'été ! Qu'ils adorent le Seigneur decette Maison : il les a nourris ; il les a préservés de lafamine ; il les a délivrés de lapeur. »
33 Nous considérons ici, et dans la suite de cet exposé, lesmaṣdar-s des formes augmentées comme des formes verbales.
34 Sourate 2,al-Baqara, v. 75 ; 7,al-A‘rāf, v. 144 ; 9,al-Tawba, v. 6 ; 48,al-Fatḥ, v. 15.
35 Sourates 4,al-Nisā’, v. 46 ; 5,al-Mā’ida, v. 13 et 41.
36 Très exactement 57 sur 75, soit 76 %.
37 On peut mentionner ici un sens de la racine KLM qui n'est pas retenu par le Coran, mais que rappelle Rāġib al-Isfahānī quand il commence son article en déclarant : « al-kalm est l'impression perçue par l'un des deux sens : la parole (kalām) est perçue par le sens de l'ouie (sam‘) et lekalm est perçu par le sens de la vue. Dire kallamtuhu signifie je l'ai blessé d'une blessure dont l'impression est visible. »Mufradāt, p. 457a, 1-4. Il est intéressant de noter ici l'intervention conjointe de la vue et de l'ouïe, comme au début de laMétaphysiqued'Aristote, A 1, 980a, 26b-26, trad. Tricot, I, p. 2-3. Voir ici plus loin, p. 197 et note 19. A noter que ce double sens de la racine est attesté par Ibn Durayd,Ǧamharat al-luġa, III, p. 169b, 9-11.
38 Voir plus loin, p. 51 sq.
39 Il s'agit là detous les emplois de cette racine dans sa formekataba. A chaque fois, Dieu en est le sujet. En voici les références : sourates 2,al-Baqara, v. 187 ; 5,al-Mā’ida, v. 21 ; 6, al-An‘ām, v. 12, 54 ; 9,al-Tawba, v. 51 ; 58,al-Muğādala, v. 21, 22 ; 59,al-Ḥašr, v. 3.
40 Sourate 68,al-Qalam, v. 1 : « Par leqalam et ce qu'ils écrivent » ; sourate 52,al-Ṭūr, v. 2 : « Par le Mont. Par un Livre écrit. » Sourate 54,al-Qamar, v. 53 : « Toutes choses, petites ou grandes, sont inscrites dans le Livre. » Sourate 17,al-Isrā’, v. 58 et 33,al-Aḥzāb, v. 6 : « Voilà ce qui est inscrit dans le Livre. »
41 Quinze fois, dont huit dans l'expression « Millat Ibrāhīm » : sourate 2,al-Baqara, v. 130-135 ; 3,Āl ‘Imrān, v. 95 ; 4,al-Nisā’, v. 125 ; 6,al-An‘ām, v. 161 ; 12,Yūsuf, v. 38 ; 16,al-Naḥl, v. 123 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 78.
42 Cette prescription coranique du contrat écrit est en contradiction avec la formulation primitive du droit musulman qui privilégiait les témoins aux dépens des témoignages et documents écrits. Sur ce point, voir Schacht,Introduction au droit musulman, p. 27.
43 C'est le seul emploi dans ce sens ; les neuf autres ont un sens très différent, celui de donner un répit.
44 Sourate 25,al-Furqān : « 1. Béni soit Celui qui a révélé la loi à son serviteur [...]. 4. Les incrédules disent : ceci n'est qu'un mensonge [...]. 5. Ils disent : ce sont des contes d'Anciens qu'on écrit pour lui ; on les lui dicte (tumlā ‘alayhi) matin et soir. »
45 Sourate 29,al-‘Ankabūt, v. 48.
46 Six emplois sur onze, trois autres désignant les Psaumes,zubūr, de David.
47 Soit au singulier, comme dans la sourate 6,al-An‘ām, v. 7, ou au pluriel dans le v. 91 de la même sourate.
48 Essentiellement sourate 96,al-‘Alaq, v. 4, et sourate 68,al-Qalam, v. 1 ; voir aussi sourates 31,Luqmān, v. 27, et 3,Āl‘Imrān, v. 44.
49 Lorsque l'écriture deviendra une fin en elle-même, elle perdra sa fonction de communication des connaissances acquises par la suite et deviendra alors calligraphie, puis élément décoratif. Voir plus loin p. 269-270.
50 « Ḏālika al-kitāb » ; sourate 2,al-Baqara, v. 1-2.
51 « Qāla : innī ‘abd Allāh. Atānī al-kitāb » ; sourate 19, Maryam, v. 30.
52Mufradāt, p. 440a, 1-12.
53 Le terme d'escadron est la traduction de l'arabekatība. On peut remarquer ici un "concours" de significations. L'écriture s'est développée dans le monde arabe grâce à l'instauration desdīwān-s. Or les premiers dīwān-s furent, avec ledīwān al-ğund, militaires : « ‘Umar Ier institua la premierdīwān de l'Islam ; les sources attribuent ce fait à la nécessité d'organiser la solde, d'enregistrer les troupes combattantes et de mettre de l'ordre dans le Trésor. Bien que certains placent cet événement en 15/636, de meilleures autorités préfèrent l'année 20/641. »E.I.2, II, p. 333a, « Diwān », I. Période du Califat. par A. A. Duri. On en est encore, à cette époque, à l'ébauche de la mise par écrit du Coran, la premièreVulgate nous faisant remonter au début du califat de ‘Uṯmān, en 644.
54 Après la sourate 2,al-Baqara, v. 2, les références sont trop nombreuses pour être données ici : rien que pour cette seconde sourate, il faudrait mentionner les verset 8, 44, 78, 85, 89, 121, 129, 144, 145, 151, 159, 174, 176, 177, 231.
55Fī umma-l-kitāb ; voir aussi sourates 3,Āl ‘Imrān, v. 7 et 13,al-Ra‘d, v. 39, qui utilisent la même expression. Il faut en rapprocher la sourate 56, al Wāqi‘a, v. 77-78 : « Voici, en vérité, un noble Coran, contenu dans un Livre caché,fī kitāb maknūn », et la sourate 85,al-Burūğ, v. 21-22 : « Ceci est au contraire un Coran glorieux, écrit sur une Table gardée (fī lawḥ maḥfūẓ). » A quoi il faut ajouter les très nombreuses références où Dieu déclare avoir révélé le Livre.
56 Dont le nom ne revient pas moins de 136 fois dans le Coran, particulièrement dans les sourates 2,al-Baqara ; 7,al-A‘rāf ; 10,Yūnis ; 20,Ṭā hā ; 26,al-Šu‘arā’ ; 28,al-Qaṣaṣ ; et 40,al-Ġāfir.
57 Par exemple, sourate 3,Āl ‘Imrān, v. 64-65.
58 Par exemple, sourate 11,Hūd, v. 6.
59 Sourate 3,Āl ‘Imrān, v. 184, et 35,al-Fāṯir, v. 35. Il est intéressant de noter le rapprochement des thèmes de la lumière et de la clarté dans la sourate 5, al-Mā’ida, v. 15 : « Une lumière (nūr) et un Livre clair (mubīn) vous sont venus de Dieu. »
60 Sourate 2,al-Baqara, v. 2 ; 10,Yūnis, v. 37 ; et peut-être sourate 32,al-Sağda, v. 2, selon la lecture que l'on fait du texte.
61 Sourate 2,al-Baqara, v. 144 ; voir aussi sourate 28,al-Qaṣaṣ, v. 52-53.
62 Sourate 2,al-Baqara, v. 2.
63 Il est intéressant de noter que dix des vingt emplois du termesḥikma sont faits en coordination avec le terme kitāb, comme dans la sourate 4,al-Nisā’, v. 113 : « Dieu a fait descendre sur toi le Livre et la Sagesse et il t'a enseigné ce que tu ne savais pas. »
64 Sourates 20,Ṭā hā, v. 71, et 26, al-Šu‘arā’, v. 49.
65 Sourate 2,al-Baqara, v. 102 : « [Les démons] enseignent aux hommes la magie et ce qui à Babil avait été révélé aux deux anges Harout et Marout. Ces deux-lā n'instruisent personne sans dire : “Nous ne constituons qu'une tentation, ne sois donc pas incrédule.” »
66 Voir respectivement les sourates 5,al-Mā’ida, v. 4, 49,al-Ḥugurāt, v. 16, et 3,Al ‘Imrān, v. 79.
67 « Oui, le nombre des mois, pour Dieu, est de douze mois inscrits dans le Livre de Dieu, le jour où il crée le ciel et la terre. » Sourate 9,al-Tawba, v. 36
68 Sourate 54,al-Qamar, v. 53 ; voir aussi sourate 22,al-Ḥaġġ, v. 70 : « Ne sais-tu pas que Dieu connaît ce qui est dans le ciel et sur la terre ? Tout est consigné dans un livre ; c'est vraiment facile pour Dieu. »
69 Voir sourate 27,al-Naml, v. 75 : « Il n'y a rien de caché dans le ciel et sur la terre qui ne soit inscrit dans un livre clair. »
70 Sourate 78,al-Naba’, v. 29 : « Nous avons fait le compte de tout et nous l'avons inscrit dans un Livre. »
71 Par exemple, sourate 69,al-Ḥāqqa, v. 19,25-26 ; ou sourate 84,al-Inšiqāq, v. 7-12.
72 Sourate 57,al-Ḥadīd, v. 22 : « Nulle calamité n'atteint la terre ni vous-mêmes, sans que cela ne soit écrit dans un livre, avant même d'être créé. »
73 La sourate 12,Yusūf, contient 8 des 15 usages du terme ta’wīl, "interprétation", qui vont tous dans le même sens, à savoir que l'interprétation des songes dont Joseph est capable est un don de Dieu. Les autres emplois du terme en dehors de cette sourate établissent pareillement que l'interprétation vient de Dieu et que l'homme livré à ses propres moyens en est parfaitement incapable.
74 Sourate 98,al-Bayyina, v. 1-4.
75 Voici le début de cette sourate (46, al-Aḥqāf, v. 1-3) qui donne toute leur valeur aux termes qui viennent d'être cités : « Ḥā Mīm. La révélation du Livre vient de Dieu, le Tout-Puissant, le Sage. Nous n'avons créé les cieux, la terre, et tout ce qui se trouve entre les deux, qu'en toute Vérité et pourun temps déterminé ; mais les incrédules se détournent de ce dont ils ont été avertis. »
76 Par exemple, sourate 20,Ṭā hā, v. 133.
77 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 13.
78 L'abrogation par Dieu de certains versets n'enlève rien à cette immutabilité car le texte définitif ne peut être modifié : « Dès que nous abrogeons un verset, ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable. » sourate 2,al-Baqara, v. 106.
79 Voir plus haut, p. 18.
80 Sourate 96,al-‘Alaq, v. 1-5.
81Mufradāt, p. 413b, 7, sq.
82 L'éditeur de Rāġib donne ici de nombreux versets où se retrouve cette dernière expression : sourate 17,al-Isrā’, v. 41 : « Nous avons exposé [tout ceci] dans ce Coran » ; et v. 89 : « Nous avons présenté aux hommes dans ce Coran toutes sortes d'exemples » ; sourate 18,al-Kahf, v. 54 : « Oui, nous avons adressé aux hommes toutes sortes d'exemples dans ce Coran » ; sourate 30,al-Rūm, v. 58 : « Nous avons proposé aux hommes toutes sortes d'exemples dans ce Coran » ; sourate 39,al-Zumar, v.27 : « Oui, nous avons proposé aux hommes, dans ce Coran, toutes sortes d'exemples. »
83Mufradāt, p. 413b, 25- p. 414a, 21.
84 Ibn Isḥāq,Sīra, § 140, p. 101.
85 Sourates 7,al-A‘rāf, v. 204 ; 16,al-Naḥl, v. 98 ; 17,al-Isrā’, v. 45, 106 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 199 ; 69,al-Ḥāqqa, v. 19 ; 73,al-Muzammil, v. 20, deux emplois ; 75,al-Qiyāma, v. 18 ; 84, al-Inšiqāq, v. 21 ; 87,al-A‘lā, v. 6 ; 96, al-‘Alaq, v. 1-3.
86 Le terme est dans le Coran un hapax : « Ceux à qui nous avons donné le Livre le récitent comme il se doit véritablement (allaḏīna ataynāhum al-kitāb yatlūnahu ḥaqqa tilāwatihi) » sourate 2,al-Baqara, v. 121.
87Mufradāt, p. 71b, 25, et surtout p. 72a, 1 ; on notera que le terme chanter,ġannā, n'est pas utilisé dans le Coran.
88Mufradāt, p. 71b, 22-24.
89 Quatre fois en deux versets, par le fait du maf‘ūl muṭlaq : sourate 25,al-Furqān, v. 32, et sourate 73,al-Muzammil, v. 4.
90 Voir plus haut les analyses des pages 28 sq.
91 Voir plus haut, p. 31.
92 Voir plus haut, p. 39 et note 86.
93 Chantraine,Dictionnaire étymologique de la langue grecque.
94 Voir sur ce point Chantraine. Nous sommes redevable de ces remarques et de ces références à Mademoiselle Annie Louis.
95 Voir en particulier p. 40-41, plus haut.
96Nouveau dictionnaire étymologique de Dauzat, p. 425, qui en situe l'apparition à la fin duxie siècle, dans lePoème de Saint Alexis.
97 Ernout-Meillet,Dictionnaire étymologique de la langue latine, p. 507-508.
98 Voir plus haut, p. 37-38, et en particulier le verset déjà cité, qui réunit l'ensemble de cette évolution sémantique : « inna ‘alaynā ğam‘ahu wa qur’ānahu. Fa-iḏā qara’nāhu fa-ttabi‘ qur’ānahu » (« Il nous appartient de le rassembler et de le lire. Suis sa récitation lorsque nous le récitons », sourate 75,al-Qiyāma, v. 17-18).
99 Que l'on trouve attesté dans Platon et Démosthène. Nous renvoyons, pour toutes ces significations, au dictionnaire de Bailly.
100 Il faut noter ici le contexte dans lequel intervient cette parabole : c'est une évocation du jour du Jugement où tous les hommes comparaîtront devant Dieu et les justes se verront ouvrir les portes du Paradis —ğanna, jardin —, ce qui inclut l'idée d'arbres. Voici les versets 23 et 27 qui encadrent ce texte : « On introduira ceux qui croient et qui font des œuvres bonnes dans les jardins où coulent les ruisseaux. Ils y demeureront immortels, avec la permission de leur Seigneur, ils y seront accueillis avec le mot : Paix. » Quant au verset 27, il propose une application aux hommes de la parabole : « Dieu affermit ceux qui croient, par la parole immuable, en la vie de ce monde et en la vie future, tandis que Dieu égare les injustes. Dieu fait ce qu'Il veut. »
101 Très précisément, le segment : « Elle est comme un arbre excellent dont la racine est solide, la ramure dans le ciel et les fruits abondants en toute saison. »
102 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 99, 1.14, et p. 100,1. 2 ; voir trad. Marçais-Houdas, III, p. 354. Bayḍāwī, p. 340,8, renvoie à cette explication du palmier.
103 Voir plus loin la fin de la note 107.
104 Reste alors une dernière question : si tel est le cas, pourquoi la conclusion, sous forme de regret, de ‘Umar ? Nous ne voyons pas de réponse, si ce n'est peut-être que le souhait de ‘Umar aurait été que l'homme trouve de lui-même une réponse conforme à celle qui lui vient par le Prophète, que l'homme dans sa parole s'identifie spontanément à l'attente prophétique. Mais cela relève de la conjecture.
105 C'est alors la racine qui tient le rôle d'ancêtre éponyme. Voir sur ce point notre article sur la « Composition en arabe », inMélanges de l'Université Saint Joseph, tome L (1984), p. 370, où le rôle fondamental des racines dans la langue arabe explique, selon nous, la résistance à la composition, et explique en partie, par là, la très grande stabilité de la langue, parfois même son immutabilité.
106 Ce n'est pas un jeu de mots : la généalogie est une science qui ne s'intéresse pas aux individus, mais aux liens qu'ils peuvent entretenir avec une origine commune et une descendance. L'individu isolé n'a pas plus de valeur qu'une branche coupée.
107 Buḫārī nous propose une interprétation de la parole ferme dans son commentaire d'une partie du verset qui suit la parabole : « Dieu affermit ceux qui croient — par la parole immuable... » (voir note 100, p. 45, la suite de ce verset). Il le fait par leḥadīṯ que voici : « L'Envoyé de Dieu a dit : quand le musulman sera interrogé dans la tombe, il attestera qu'il n'y a d'autre divinité que Dieu et que Muḥammad est l'Envoyé de Dieu. C'est à cela que se réfèrent les mots du Coran : Dieu, par la parole immuable, affermira dans la vie de ce monde et dans la vie future ceux qui ont cru. »Ṣaḥīḥ, VI, p. 100,1.2-6 ; trad. Houdas-Marçais, III, p. 354-355.
Cette interprétation de Buḫārī confirme la suggestion que nous faisions plus haut, p. 33, pour expliquer le glissement de la bonne parole à l'homme musulman : nous disions alors que l'homme musulman se définissait comme celui qui récite la parole par excellence qu'est lašahāda. Il n'est pas étonnant de voir leḥadīṯ nous proposer, au jour du Jugement, cette parole fondatrice de l'islamité de l'homme.
108Phèdre, 275 d-e ; traduction Robin-Moreau, Platon,Œuvres Complètes, Pléiade, II, p. 76. On remarquera au passage que l'écrit aide-mémoire est, chez Platon, déjà situé dans une perspective "généalogique". Voir ici, plus haut, p. 47 et note 106. Voir aussi plus loin p. 241.
109 Voir plus haut, p. 45.
110 Sourate 31,Luqmān, v. 27. A la suite de Blachère, nous ajoutons une parenthèse pour expliciter le sens du verset. L'édition de la traduction de D. Masson comporte une coquille qui a remplacé « s'épuiseraient » par « l'épuiseraient ».
111 Cette propension du nombre sept à désigner la totalité se retrouve, outre les nombreux emplois de ce nombre dans la sourate 12,Yūsuf, versets 43, 46, 47, dans tous les versets parlant des sept cieux : sourates 2,al-Baqara, v. 29 ; 17,al-Isrā’, v. 44 ; 23,al-Mu’minūn, v. 17, 86 ; 41,Fuṣṣilat, 12 ; 65, al-Ṭalāq, v. 12 ; 67,al-Mulk, v. 3 ; 71, Nūḥ, v. 17 ; 78, al-Naba’, v. 12. Voir aussi sourate 15,al-Ḥiğr, v. 87 : « Nous t'avons donné Sept des Répétées et le très grand Coran. » Voir sur les "Répétées" la note de Blachère, relative à ce verset, inLe Coran, p. 290.
112 Il n'est pas sans intérêt de retrouver le calame dans la suite du texte duPhèdre de Platon que nous citions dans le développement précédent (voir plus haut, p. 47-48). Cela ne doit pas nous étonner outre mesure, car ces deux passages que nous venons d'étudier participent de la même logique. Platon écrit : « Or, de l'homme qui possède la science de ce qui est juste, celle de ce qui est beau, celle de ce qui est bon, devons-nous dire que, eu égard aux semences qui sont les siennes, il a moins d'intelligence que n'en a le cultivateur ? Pas le moins du monde, en vérité. Ce n'est donc pas sérieusement qu'il ira les écrire sur de l'eau, en les semant dansune eau noire au moyen d'un roseau (kalamos) avec des discours qui, impuissants, par le discours, à se porter secours à eux-mêmes, sont d'autre part impuissants à enseigner comme il faut la vérité. » Phèdre, 276 c ; trad. Robin-Moreau,Œuvres Complètes, Pléiade, II, p. 77.
La logique de la prééminence de l'oral sur l'écrit invente les mêmes images, les mêmes comparaisons à près d'un millénaire de distance et dans des contextes aussi différents que peuvent l'être la cité grecque et la cité arabe du temps de Muḥammad.
113 Voir plus haut, p. 28.
114 Voir plus haut, p. 31.
115 Voir plus haut, p. 32.
116 Voir plus haut, p. 33-34.
117 Voir plus haut, p. 36 sq.
118 Voir plus haut, p. 40-41.
119 Voir plus haut, p. 44.
120 Paris, Klincksieck, 1966.
121 Voir p. 4 de l'ouvrage.
122 Très exactement 25 571 emplois. Nous arrivons à ce résultat en additionant les totaux de l'avant-dernière colonne du tableau de la page 233. Cette colonne totalise, selon les formes simples et augmentées, les emplois de toutes les racines.
123 Elle occupe les pages 6 à 38 de l'ouvrage.
124 Sourate 96,al-‘Alaq, v. 1-3.
125 Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 192-199.
126 Sourate 11,Hūd, v. 12. Voir aussi, sur Muḥammad naḏīr, entre autres références : sourates 7,al-A‘rāf, v. 184 ; 15, al-Ḥiğr, v. 89 ; 22,al-Ḥaġġ, v. 49 ; 25,al-Furqān, v. 1 ; 29,al-‘Ankabūt, v. 50 ; 34,Saba’, v. 44 et 46 ; 35,al-Fāṯir, v. 23, 37 ; 38,Ṣād, v. 70 ; 46,al-Aḥqāf, v. 9 ; 51,al-Ḏāriyāt, v. 50-51 ; 67,al-Mulk, v.26.
127 Sourate 17,al-Isrā’, v. 105-106. Voir aussi sur cette même fonction de l'annonce de la bonne nouvelle, jointe ou non à la fonction d'avertissement, les passages suivants : sourates 2,al-Baqara, v. 119, 155, 223 ; 5,al-Mā’ida, v. 19 ; 7,al-A‘rāf, v. 188 ; 9,al-Tawba, v. 112 ; 10,Yūnis, v. 2 ; 11, Hūd, v. 2 ; 19,Maryam, v. 97 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 34, 37 ; 25,al-Furqān, v. 56 ; 33,al-Aḥzāb, v. 45, 47 ; 34,Sabā’, v. 28 ; 35, al-Fāṭir, v. 24 ; 36,Yā sīn, v. 11 ; 39,al-Zumar, v. 17-18 ; 42, al-Šūrā, v. 23 ; 48, al-Fatḥ v. 8 ; 61, al-Ṣaff, v. 13.
128 Voir al-Mu‘ğam al-mufahras de ‘Abd al-Bāqī, p. 119a-121a et p. 691b-693b.
129 Sourate 48,al-Fatḥ, v. 2.
130 Sourate 33,al-Aḥzāb, v. 40.
131 Sourate 3,Al ‘Imrān, v. 144.
132 Sourate 47,Muḥammad, v. 2.
133 Sourate 61,al-Ṣaff, v. 6.
134Mufradāt, p. 130b, 19-20.
135 Bayḍāwī, p. 733, 13-15.
136 Voir, sur ce point, l'index de l'édition bilingue, Masson, p. 841-842, en le complétant par les références aux sourates 12, 102 ; 19, 97 ; 31,7 et 54,28. Ces soixante-dix sourates représentent plus des 9/10e du Coran.
137 Les accusations de mensonge portées contre Muḥammad sont fréquentes : plus d'une vingtaine de fois, Muḥammad en sera l'objet, comme dans la sourate 34,Sabā’, v. 43 : « Lorsque nos versets leur sont lus, comme autant de preuves évidentes, ils disent : celui-ci n'est qu'un homme qui veut nous éloigner de ce que nos pères adoraient. Ils disent encore : ceci n'est qu'un mensonge qu'il a inventé. » Voir aussi sourate 3,Āl‘Imrān, v. 184 ; 10,Yūnis, v. 41 ; 16, al-Naḥl, v. 101, 113 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 42 ; 23,al-Mu’minūn, v. 38 ; 25, al-Furqān, v. 4, 77 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 6 ; 34,Sabā’, v. 8 ; 35,al-Fāṭir, v. 4,25 ; 38,Ṣād, v. 4 ; 42, al-Šūrā, v. 24 ; 56,al-Wāqi‘a, v. 82 ; 67,al-Mulk, v. 9 ; 68,al-Qalam, v. 44 ; 69, al-Ḥāqqa, v. 49 ; 84,al-Inšiqāq, v. 22 ; 96,al-‘Alaq, v.13. Toutes ces accusations s'adressent à Muḥammad dans son rôle d'annonciateur de la Parole.
138 Sourates 6,al-An‘ām, v. 7 ; 10,Yūnis, v. 2 ; 11,Hūd, v. 7 ; 15,al-Ḥiğr, v. 15 ; 17,al-Isrā’, v. 47 ; 21,al-Anbiyā’, v. 3 ; 25,al-Furqān, v. 8 ; 34,Sabā’, v. 43 ; 37,al-Ṣāffāt, v. 15 ; 38,Ṣād, v. 4 ; 43,al-Zuḫruf, v. 30 ; 46,al-Aḥqāf, v. 7 ; 52, al-Ṭūr, v. 29 ; 54,al-Qamar, v. 2 ; 69,al-Ḥāqqa, v. 42 ; 74, al-Muddaṯṯir, v. 24.
139 Soixante-trois fois ; voir al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 346-347.
140Mufradāt, p. 231b, 4-9 ; il cite, à l'appui, la sourate 2, al-Baqara, v. 102.
141al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 382-383. A quoi il faut ajouter les mentions d'Iblīs, onze fois ; cf. ibid. p. 134.
142 C'est-à-dire très exactement 88 fois :al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 674b-676a, le plus souvent (73 fois) au pluriel.
143 Ou bien il est dit que desğunūn habitent en lui. Voir sourates 15,al-Ḥiğr, v. 6 ; 23,al-Mu’minūn, v. 70 ; 34,Sabā’, v. 8 ; 37,al-Ṣāffāt, v. 36 ; 44,al-Duḫān, v. 14 ; 52,al-Ṭūr, v. 29 ; 68,al-Qalam, v. 51. Lesğunūn interviennent à 39 reprises dans le Coran et le termemağnūn onze fois :al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 179-180.
144 Sourate 52,al-Ṭūr, v. 29.
145 Sourate 69, al-Ḥāqqa, v. 40-43. Le terme se retrouve également dans la sourate 21,al-Anbiyā’, v. 5, et la sourate 37,al-Ṣāffāt, v. 36. Deux autres occurrences sont à noter : la sourate 36,Yā sīn, v. 69 : « Nous ne lui avons pas apprisla poésie », et sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 224 : « Quant aux poètes, ils sont suivis par ceux qui s'égarent. » On peut ajouter aussi des passages comme la sourate 83,al-Muṭaffifūn, v. 13 : « Ce sont des contes d'Anciens » ; de même, dans la sourate 8,al-Anfāl, v. 31 : « Ce ne sont que des histoires racontées par les Anciens. » Sur tous ces personnages, voir Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 190-193.
146Mufradāt, p. 400b, 5-7.
147 Voir Wensinck,Concordance, VI, p. 70-71.
148Mufradāt, p. 268b-269a.
149 Voir par exemple la sourate 48,al-Fatḥ, v. 11-16, et la sourate 110,al-Naṣr, verset 2.
150 Sourate 48,al-Fatḥ v. 12 et 15, qu'il faut replacer dans l'ensemble des versets 11-16.
151 Sourate 2,al-Baqara, v. 198.
152 Sourate 2,al-Baqara, v. 158.
153 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 95 et 97.
154 Sourates 9,al-Tawba, v. 101, 120 ; et 33,al-Aḥzāb, v. 60.
155 Sourate 3,Āl‘Imrān, v. 96.
156 Le droit aura dans la société musulmane une dimension religieuse avecla šarī‘a, et ceci durera tout au long de l'histoire des pays musulmans, avec plus ou moins de rigueur, comme, aujourd'hui, avec des fortunes diverses, en Iran et au Soudan, en Libye ou en Égypte.
157 Massé,L'Islam, p. 39.
158 Comme par exemple dans la sourate 2,al-Baqara, v. 117.
159 Sourates 3,Āl‘Imrān, v. 39,45 ; 4,al-Nisā’, v. 171.
160 Par exemple, sourate 7,al-A‘rāf, v. 137.
161 Comme dans la sourate 4,al-Nisā’, v. 86 etc.
162 Par exemple, sourate 2,al-Baqara, v. 99 : « Nous t'avons révélé des versets parfaitement clairs. »
163 Voir par exemple les sourates 16,al-Naḥl, v. 78 ; 23,al-Mu’minūn, v. 78 ; 32,al-Sağda, v. 9 ; 46,al-Aḥqāf, v. 26 ; 67,al-Mulk, v. 23 ; 76,al-Insān, v. 2.
164 Comme dans la sourate 90,al-Balad, v. 8.
165 Prophète, du grecprophètes, par le latinpropheta : le terme grec signifie celui qui interprète les paroles de l'oracle et par suite, celui qui annonce l'avenir.
166 Le nom de Dieu revient 2 700 fois dans le Coran. Ce nombre prend toute son importance quand on le compare au nombre total des versets du Coran : 6 211.
167 Sur le Coran comme prédication, voir par exemple Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 210-212.
168 L'affirmation : « [Allāh] lā ilāh illā huwa » ([Dieu], il n'y a pas d'autre dieu que Lui), revient un nombre considérable de fois, particulièrement dans les sourates mekkoises.
169 Que l'on pense par exemple aux litanies indéfiniment reprises des liturgies chrétiennes orientales.
170 Dans la sourate 82,al-Infiṭār, les quatre premiers versets commencent par le même iḏā. Voir aussi le parallélisme de construction des versets 1 à 7 de la sourate 91,al-Šams. Ou encore sourate 30,al-Rūm, les versets 20 à 25 qui commencent tous par « wa min āyātihi » (parmi Ses signes) ; ou dans la sourate 27,al-Naml, le début identique des versets 60, 61, 62, 63, 64, que nous retrouverons ci-dessous, note 172, et bien d'autres exemples qu'il serait trop long d'énumérer.
171 Versets 17, 22, 32, 40.
172 Sourate 55, al-Raḥmān ; voir aussi sourate 26,al-Šu‘arā’ : « Je ne vous demande pas de salaire ; mon salaire n'incombe qu'au Seigneur des Mondes », aux versets 109, 127, 145, 164, 170 ; ou dans la sourate 77, à dix reprises : « Malheur ce jour-là à ceux qui crient au mensonge », aux versets 15, 19, 24, 26b, 34, 37, 40, 45, 47, 49. On pourrait allonger indéfiniment la liste avec par exemple la sourate 7,al-A‘rāf, v. 59, 65, 73, 85, ou encore la sourate 27,al-Naml, v. 60, 61, 62, 63, 64, déjà citée note 170 pour une identité d'attaque.
173 Il serait intéressant de pouvoir, à partir d'une étude détaillée, préciser la place, les formes et les fonctions du procédé de la répétition dans ce texte sacré.
174 Voir plus haut p. 23-27.
175 Sourate 73,al-Muzammil, v. 20.
176 Ici, une note s'appuie sur des passages de Buḫārī (VI, p. 235,15-236,3 ; p. 240, 6-241, 11, correspondant à la traduction Marçais-Houdas III, p. 533-534 et p. 538-539) pour considérer que la récitation psalmodiée est contemporaine de Muḥammad.
177 Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 232-233, qui renvoie à Caetani,Annali, I, p. 285 sq.
178 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 241, 11-14 ; trad. Marçais-Houdas, III, p. 540 : (De celui qui aime entendre réciter le Coran par un autre) ‘Abd allah rapporte que le Prophète lui dit : “Récite-moi le Coran (iqra’ ‘alayya al-qur’ān).” — “Te réciter le Coran ? lui répondis-je, mais c'est à toi qu'il a été révélé !” — “Certes, reprit le Prophète, mais j'aime à l'entendre récité par un autre que moi (uḥibbu an asma‘ahu min ġayrī).” »
179 Voir par exemple des versets où les cieux et la terre louent Dieu, comme dans les sourates 17,al-Isrā’, v. 44 ; 24, al-Nūr, v. 41 ; 57,al-Ḥadīd, v. 1 ; 59,al-Ḥašr, v. 1 et 24 ; 61,al-Ṣaff, v. 1 ; 62,al-Ǧum‘a, v. 1 ; 64,al-Taġābun, v. 1.
180al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 339b-340a.
181 Voir plus haut p. 27
182Mufradāt, p. 108b-109b.
183Mufradāt, p. 109a, 10-12.
184 Sourate 66,al-Taḥrīm, v. 3.
185 Sourate 12,Yūsuf, v. 101.
186 Sourate 23,al-Mu’minūn, v. 44 : « Puis nous avons envoyé successivement nos prophètes. Chaque fois que son prophète venait à une communauté, celle-ci le traitait de menteur. Nous avons fait succéder un peuple à un autre, et nous les avons fait passer en légendes. Arrière aux gens qui ne croient pas. » Voir aussi, dans le même sens, la sourate 34,Sabā’, v. 19.
187Mufradāt, p. 109a, 16-18 ; les versets cités sont respectivement tirés de la sourate 52,al-Ṭūr, v. 34, et de la sourate 53,al-Nağm, v. 59.
188 J. Robson, « Ḥadīth », in E.I.2, III, p. 24b. Comme l'ajoute Robson, un peu plus bas : « La Tradition est considérée comme l'autorité venant immédiatement après leḲur’ān, mais cette conception ne fut que le résultat d'un long processus. »
189al-Mu‘ğam al-mufahras donne 28 usages du substantif.
190 Il est intéressant de noter que les six auteurs de référence, considérés comme canoniques par la majorité des musulmans, ont vécu essentiellement auiie-iiie/ixe siècle : ainsi Buḫārī (194/810-256/870) ; Muslim (202/817-261/875) ; Abū Dāwud (202/817-275/888) ; Tirmiḏī (210/825-279/892) ; al-Nišā’ī (215/830-303/915) ; et Ibn Māğğa (209/824-273/886). Rappelons que non seulement Buḫārī est le plus ancien, mais il est aussi celui dont le recueil a le plus grand prestige. Ainsi dans la qualification d'authenticité ou de crédibilité desḥadīṯ-s en ṣaḥīḥ, ḥasan, ḍa‘īf et saqīm, la catégorie duṣaḥīḥ se subdivise à son tour en sept degrés : 1. les traditions retenues par Buḫārī et Muslim ; 2. les traditions retenues par Buḫārī seul ; 3. celles retenues par Muslim seul ; 4. celles qui ne figurent ni chez Buḫārī ni chez Muslim, mais remplissent les conditions, (šurūṭ) qu'ils ont exigées ; 5. celles qui remplissent les conditions de Buḫārī ; 6. celles qui remplissent les conditions de Muslim ; 7. celles qui sontṣaḥīḥ selon d'autres autorités.
191Ṣaḥīḥ, I, p. 23, 11-17 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 34, ch. 4.
192 Voir, sur cette classification, F. Sezgin,G.A.S., I, p. 58-60 ; ou J. Robson,E.I.2, III, p. 28b.
193Ṣaḥīḥ, I, p. 24, 6-15 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 35, ch. 6.
194 Voir plus haut, p. 71.
195 Wensinck,Concordance, VI, p. 130b. Les textes sont d'Ibn Ḥanbal, Abū Dāwud et Dārīmī.
196 Comme lorsqu'il est dit dans leMusnad d'Ibn Ḥanbal, V, p. 158 : « Il n'envoie pas de prophète si ce n'est dans la langue de son peuple (illā bi-luġati qawmihi). »
197 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, kitāb al-isti’ḏān, ch. 12, VIII, p. 67, 1-7 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 219-220.
198 Ibn Ḥanbal,Musnad, VI, p. 387 ; voir aussi Muslim, Ṣaḥīḥ, kitāb al-īmān,ḥadīṯ80.
199 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VII, p. 58,20 ; trad. Marçais-Houdas, III, p. 615, 26-27 : « wa ṭalāq kulli qawm bi-lisānihim. »
200 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, IV, p. 122, 18-20 ; trad. Marçais-Houdas, II, p. 414 (ch. 11) : « inna Allāh ya‘lamu al-alsina kullahā. »
201 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, IV, p. 219, 6-11 ; trad. Marçais-Houdas, II, p. 539 (ch. 3).
202 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Bāb al-riqāq, 23, VIII, p. 124, 20-125, 1 et p. 125, 12-19 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 288-289 (ch. 23).
203 Buḫārī,Ṣaḥīḥ,kitāb al-adab, VIII, p. 45, 7-10 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 191 (ch. 92).
204 Ainsi pour le dernierḥadīṯ que nous venons de citer, voir texte arabe, VIII, p. 45,10-13, et trad. Marçais-Houdas, IV, p. 191, ch. 92, 2, où le même texte est introduit par un autreisnād.
205 La suite duḥadīṯ n'intéresse pas notre propos. Buḫārī,Ṣaḥīḥ,kitāb al-adab, ch. 89, VIII, p. 41,14-42,1 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 187.
206 Seule cette première partie duḥadīṯ nous intéresse ici. Buḫārī, Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, ch. 39, I, p. 38,15-18 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 55, ch. 39.
207 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 10-13 ; trad. Marçais-Houdas, I. p. 56, paragraphe 3.
208 Nous retrouverons plus loin, chez Farabi, dans l'argumentation expliquant l'apparition de l'écrit, ce rôle de secours porté aux possibles défaillances de la mémoire ou à ses limites.
209 Buḫārī,Ṣaḥīḥ,Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 6-7 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 55-56.
210 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 13-18 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 56, paragraphe 4.
211 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 214,3-214, 4 ; trad. Marçais-Houdas, p. 507-508.
212 Il ne fait d'ailleurs que reprendre ce que dit le Coran et que nous avons relevé dans les deux citations p. 58.
213 Ibn Isḥāq,Sīra, § 140.
Le texte seul est utilisable sous licenceLicence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174
Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes
Abbès Zouache
2008
Fondations pieuses en mouvement
De la transformation du statut de propriété des bienswaqfs à Jérusalem (1858-1917)
Musa Sroor
2010
La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle
Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle
Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)
2010
Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ
Francis Guinle
2011
La gent d’État dans la société ottomane damascène
Les‘askar à la fin duxviie siècle
Colette Establet et Jean-Paul Pascual
2011
Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité
Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)
2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie
Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels
Éric Geoffroy
1996
Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)
Enseignement, formation et transmission
Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)
2012
France, Syrie et Liban 1918-1946
Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire
Nadine Méouchy (dir.)
2002
Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles
Hommage à André Raymond
Brigitte Marino (dir.)
2001
Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174
Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes
Abbès Zouache
2008
Fondations pieuses en mouvement
De la transformation du statut de propriété des bienswaqfs à Jérusalem (1858-1917)
Musa Sroor
2010
La grande peste en Espagne musulmane au XIVe siècle
Le récit d’un contemporain de la pandémie du XIVe siècle
Aḥmad bin ‘Alī bin Muḥammad Ibn Ḫātima[Abū Ǧa‘far Ibn Ḫātima al-Anṣārī] Suzanne Gigandet (éd.)
2010
Les stratégies narratives dans la recension damascène de Sīrat al-Malik al-Ẓāhir Baybarṣ
Francis Guinle
2011
La gent d’État dans la société ottomane damascène
Les‘askar à la fin duxviie siècle
Colette Establet et Jean-Paul Pascual
2011
Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité
Ahmed Bouyerdene, Éric Geoffroy et Setty G. Simon-Khedis (dir.)
2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie
Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels
Éric Geoffroy
1996
Les maîtres soufis et leurs disciples des IIIe-Ve siècles de l'hégire (IXe-XIe)
Enseignement, formation et transmission
Geneviève Gobillot et Jean-Jacques Thibon (dir.)
2012
France, Syrie et Liban 1918-1946
Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire
Nadine Méouchy (dir.)
2002
Études sur les villes du Proche-Orient XVIe-XIXe siècles
Hommage à André Raymond
Brigitte Marino (dir.)
2001
1 Sur la question de la littérature antéislamique, la production est fort abondante depuis que la question de l'authenticité de cette littérature a été soulevée en 1864 par Theodor Nöldeke et reprise en 1872 par W. Ahlwardt, et depuis que Ṭāhā Ḥusayn, en 1926, l'a popularisée avecFī-l-ši‘r al-ğāhilī, devenu l'année suivanteFī-l-adab al-ğāhilī. Jacques Berque, dans son introduction àLes Dix Grandes Odes de l'Anté-Islam (Sindbad, 1979), présente un point de vue intéressant dans la mesure où, au-delà du problème particulier de l'authenticité de tel poème ou de tel fragment, il renvoie à l'existence d'une authentique activité poétique.
2 Nous ne voulons pas soulever ici toutes les questions relatives à la mise par écrit du Coran. On pourra se référer aux mises au point de Welch dansE.I.2, V, p. 409a-411a, et de Blachère dans sonIntroduction au Coran. On en retiendra le travail essentiel de consignation écrite effectuée par Zayd b. Ṯābit, pour Abū Bakr tout d'abord, puis, à partir de 644, sur la demande de ‘Uṯmān, et, cette seconde fois, en compagnie d'autresqurrā’. Comme le souligne maintes fois Blachère, cette mise par écrit ne pouvait être qu'un aide-mémoire, et ceci de par le caractère défectueux du système graphique de l'époque qui ne comportait ni points diacritiques ni ḥarakāt et, outre cela, de par l'absence d'une véritable codification de l'orthographe des semi-consonnes,alif,wāw etyā’.
3 C'est ainsi qu'al-Rāġib al-Isfahānī (m. 502) définit, auve siècle, ce terme, dans sonKitāb al-mufradāt fī ġarīb al-Qur’ān ouMufradāt alfāẓ al-Qur’ān : on qualifie la parole (kalām) de laġw lorsqu'on ne lui accorde pas d'attention ; c'est celle qui est produite non d'une manière délibérée et réfléchie, mais comme lelaġā qui est le son émis par les oiseaux et autres volatiles. Il ne sera pas fait mention, dans l'article consacré à ce terme, du sens moderne delangue, bien que le terme deluġa soit bien connu de Rāġib puisqu'il l'utilise ailleurs (au titre de son vocabulaire personnel) pour expliquer par exemple le termelisān (cf. p. 470, col. 2, 1.1). Cela n'a rien d'étonnant car l'usage courant du terme est attesté auive/xe siècle dans leǦamharat al-luġa d'Ibn Durayd : « Le terme est connu », déclare-t-il (III, p. 151b, 11), et du coup, il n'en donne pas de définition, mais cite les quatre pluriels. On trouvera une définition analogue à celle de Rāġib dans leMu‘ğam al-alfāẓ wa al-a‘lām al-qur’āniyya de Muḥammad Ismā‘īl Ibrāhīm, II, p. 185.
4 Sourate 41,Fuṣṣilat, v. 26.
5 Sourate 2,al-Baqara, v. 225, et sourate 5,al-Mā’ida, v. 89.
6 Sourate 19,Maryam, v. 62, sourate 56,al-Wāqi‘a, v. 25, et sourate 78, al-Naba’, v. 35, qui utilisent toutes trois la même expression ; voir aussi sourate 28,al-Qaṣaṣ, v. 55 et, sur le mode impératif, sourate 88, v. 11, qui font intervenir la racine SM‘. Les trois autres emplois qui ne font pas intervenir explicitement l'audition sont les sourate 23,al-Mu’minūn, v. 3, sourate 25,al-Furqān, v. 72, et sourate 52,al-Ṭūr, v. 23.
7 Que ce soit celui de Rāġib al-Isfahānī (p. 470), ou de Muḥammad Ismā‘īl Ibrāhīm (II, p. 183), qui utilisent l'un et l'autre le terme de ğāriḥa. Ainsi chez Rāġib : la langue est le membre (al-ğāriḥa) et sa force est la parole de Dieu : « Dénoue le nœud de ma langue » (sourate 20,Ṭā hā, v. 27) signifie la force de ce membre car le nœud n'est pas dans le membre mais seulement dans la force de la langue qui est la faculté d'expression (p. 470a, 22-25).
8 Sourate 90,al-Balad, v. 9 : « Ne lui avons-nous pas donné deux yeux, une langue et deux lèvres ? »
9 Sourate 20,Ṭā hā, v. 27 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 13 et 84 ; 28,al-Qaṣaṣ, v. 34.
10 Sourate 4,al-Nisā’, v. 46 ; 16,al-Naḥl, v. 62 et 116 ; 24,al-Nūr, v. 15 ; 48,al-Fatḥ, v. 11 ; 60,al-Mumtaḥina, v. 2.
11 Sourate 24,al-Nūr, v. 24.
12 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 78.
13 Dans la Bible, le signe est absolument inverse, et la Genèse nous présente la diversité des langues comme unesanction divine, et décrit le passage de l'unité à la diversité : « La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. [...] Les hommes se dirent : bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. [...] Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d'Adam. “Eh, dit le Seigneur, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une langue et c'est là leur première œuvre. Maintenant rien de ce qu'ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible. Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres.” De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c'est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre » (Genèse, 11, 1-9).
14 Sourate 14,Ibrāhīm, v. 4. La barre oblique indique un retour à la ligne dans la traduction française.
15 Cette racine est utilisée 257 fois sous sa forme nominale ou verbale, indépendamment des 158 usages de la particulebayna ; Chouémi recense 185 usages du verbe aux 2e, 4e et 10e formes.
16 Voici le v. 97 de la sourate 19 : « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue, afin que tu annonces la bonne nouvelle à ceux qui craignent Dieu et que tu avertisses un peuple hostile » ; et le v. 58 de la sourate 44 : « Nous avons rendu ceci facile à comprendre en ta langue. »
17 Par exemple, sourate 16,al-Naḥl, v. 103.
18 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 78. Voir p. 21 et note 12.
19 Sourate 14, v. 4, déjà citée, p. 22 et note 14.
20 « Oui, le Coran est une révélation du Seigneur des mondes ; l'Esprit fidèle est descendu avec lui sur ton cœur pour que tu sois au nombre des avertisseurs. C'est une révélation en langue arabe claire. Ceci se trouvait déjà dans les Livres des Anciens. N'est-ce pas pour eux un Signe que les docteurs des fils d'Israël le reconnaissent ? Si nous l'avions révélé à un étranger, et que celui-ci l'ait lu devant eux, ils n'auraient pas cru. » Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 192-199.
21 Sourate 16,al-Naḥl, v. 103, déjà citée ; et les deux autres fois : sourate 41,Fuṣṣilat, v. 44 : « Si nous en avions fait un Coran récité dans unelangue étrangère, ils auraient dit : “Pourquoi ses versets n'ont-ils pas été exposés clairement, et pourquoi utiliser unelangue étrangère alors que nous parlons arabe ?” » L'expression revient deux fois.
22Lisān ‘arabī mubīn. Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 195.
23‘Urub. Dans la sourate 56,al-Wāqi‘a, v. 37.
24 Sourate 12,Yūsuf, v. 2 ; sourate 20,Ṭā hā, v. 113 ; 39,al-Zumar, v. 28 ; 41,Fuṣṣilat, v. 3 ; 42,al-Šūrā, v. 7 ; 43,al-Zuḫruf, v. 3.
25 Sourate 16,al-Naḥl, v. 103 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 195 ; 46,al-Aḥqāf, v. 12.
26 « Nous avons révélé une Sagesse arabe. » Sourate 13,al-Ra‘d, v. 37.
27 Sourate 9,al-Tawba, v. 90, 97, 98, 99, 101, 120. Mais le rapport aux bédouins déborde ces versets où ils sont explicitement mentionnés. En dehors de cette sourate, il est question des Bédouins dans les sourates 33,al-Aḥzāb, v. 20 ; 48,al-Fatḥ, v. 11 et 16 ; 49,al-Ḥuğurāt, v. 14.
28 Sourate 19,Maryam, v. 50.
29 Nous laissons de côté la question du caractère littéraire du Coran et de son inimitabilité.
30 Sourate 19,Maryam, v. 97 : « Nous avons rendu le Coran facile à comprendre en ta langue, afin que tu annonces la bonne nouvelle à ceux qui craignent Dieu et que tu avertisses un peuple hostile. »
31 Voir plus loin, p. 68.
32 Comme dans la sourate 106,Qurayš, v. 1-4 : « A cause du pacte des Qurayš, de leur pacte concernant lacaravane d'hiver et celle d'été ! Qu'ils adorent le Seigneur decette Maison : il les a nourris ; il les a préservés de lafamine ; il les a délivrés de lapeur. »
33 Nous considérons ici, et dans la suite de cet exposé, lesmaṣdar-s des formes augmentées comme des formes verbales.
34 Sourate 2,al-Baqara, v. 75 ; 7,al-A‘rāf, v. 144 ; 9,al-Tawba, v. 6 ; 48,al-Fatḥ, v. 15.
35 Sourates 4,al-Nisā’, v. 46 ; 5,al-Mā’ida, v. 13 et 41.
36 Très exactement 57 sur 75, soit 76 %.
37 On peut mentionner ici un sens de la racine KLM qui n'est pas retenu par le Coran, mais que rappelle Rāġib al-Isfahānī quand il commence son article en déclarant : « al-kalm est l'impression perçue par l'un des deux sens : la parole (kalām) est perçue par le sens de l'ouie (sam‘) et lekalm est perçu par le sens de la vue. Dire kallamtuhu signifie je l'ai blessé d'une blessure dont l'impression est visible. »Mufradāt, p. 457a, 1-4. Il est intéressant de noter ici l'intervention conjointe de la vue et de l'ouïe, comme au début de laMétaphysiqued'Aristote, A 1, 980a, 26b-26, trad. Tricot, I, p. 2-3. Voir ici plus loin, p. 197 et note 19. A noter que ce double sens de la racine est attesté par Ibn Durayd,Ǧamharat al-luġa, III, p. 169b, 9-11.
38 Voir plus loin, p. 51 sq.
39 Il s'agit là detous les emplois de cette racine dans sa formekataba. A chaque fois, Dieu en est le sujet. En voici les références : sourates 2,al-Baqara, v. 187 ; 5,al-Mā’ida, v. 21 ; 6, al-An‘ām, v. 12, 54 ; 9,al-Tawba, v. 51 ; 58,al-Muğādala, v. 21, 22 ; 59,al-Ḥašr, v. 3.
40 Sourate 68,al-Qalam, v. 1 : « Par leqalam et ce qu'ils écrivent » ; sourate 52,al-Ṭūr, v. 2 : « Par le Mont. Par un Livre écrit. » Sourate 54,al-Qamar, v. 53 : « Toutes choses, petites ou grandes, sont inscrites dans le Livre. » Sourate 17,al-Isrā’, v. 58 et 33,al-Aḥzāb, v. 6 : « Voilà ce qui est inscrit dans le Livre. »
41 Quinze fois, dont huit dans l'expression « Millat Ibrāhīm » : sourate 2,al-Baqara, v. 130-135 ; 3,Āl ‘Imrān, v. 95 ; 4,al-Nisā’, v. 125 ; 6,al-An‘ām, v. 161 ; 12,Yūsuf, v. 38 ; 16,al-Naḥl, v. 123 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 78.
42 Cette prescription coranique du contrat écrit est en contradiction avec la formulation primitive du droit musulman qui privilégiait les témoins aux dépens des témoignages et documents écrits. Sur ce point, voir Schacht,Introduction au droit musulman, p. 27.
43 C'est le seul emploi dans ce sens ; les neuf autres ont un sens très différent, celui de donner un répit.
44 Sourate 25,al-Furqān : « 1. Béni soit Celui qui a révélé la loi à son serviteur [...]. 4. Les incrédules disent : ceci n'est qu'un mensonge [...]. 5. Ils disent : ce sont des contes d'Anciens qu'on écrit pour lui ; on les lui dicte (tumlā ‘alayhi) matin et soir. »
45 Sourate 29,al-‘Ankabūt, v. 48.
46 Six emplois sur onze, trois autres désignant les Psaumes,zubūr, de David.
47 Soit au singulier, comme dans la sourate 6,al-An‘ām, v. 7, ou au pluriel dans le v. 91 de la même sourate.
48 Essentiellement sourate 96,al-‘Alaq, v. 4, et sourate 68,al-Qalam, v. 1 ; voir aussi sourates 31,Luqmān, v. 27, et 3,Āl‘Imrān, v. 44.
49 Lorsque l'écriture deviendra une fin en elle-même, elle perdra sa fonction de communication des connaissances acquises par la suite et deviendra alors calligraphie, puis élément décoratif. Voir plus loin p. 269-270.
50 « Ḏālika al-kitāb » ; sourate 2,al-Baqara, v. 1-2.
51 « Qāla : innī ‘abd Allāh. Atānī al-kitāb » ; sourate 19, Maryam, v. 30.
52Mufradāt, p. 440a, 1-12.
53 Le terme d'escadron est la traduction de l'arabekatība. On peut remarquer ici un "concours" de significations. L'écriture s'est développée dans le monde arabe grâce à l'instauration desdīwān-s. Or les premiers dīwān-s furent, avec ledīwān al-ğund, militaires : « ‘Umar Ier institua la premierdīwān de l'Islam ; les sources attribuent ce fait à la nécessité d'organiser la solde, d'enregistrer les troupes combattantes et de mettre de l'ordre dans le Trésor. Bien que certains placent cet événement en 15/636, de meilleures autorités préfèrent l'année 20/641. »E.I.2, II, p. 333a, « Diwān », I. Période du Califat. par A. A. Duri. On en est encore, à cette époque, à l'ébauche de la mise par écrit du Coran, la premièreVulgate nous faisant remonter au début du califat de ‘Uṯmān, en 644.
54 Après la sourate 2,al-Baqara, v. 2, les références sont trop nombreuses pour être données ici : rien que pour cette seconde sourate, il faudrait mentionner les verset 8, 44, 78, 85, 89, 121, 129, 144, 145, 151, 159, 174, 176, 177, 231.
55Fī umma-l-kitāb ; voir aussi sourates 3,Āl ‘Imrān, v. 7 et 13,al-Ra‘d, v. 39, qui utilisent la même expression. Il faut en rapprocher la sourate 56, al Wāqi‘a, v. 77-78 : « Voici, en vérité, un noble Coran, contenu dans un Livre caché,fī kitāb maknūn », et la sourate 85,al-Burūğ, v. 21-22 : « Ceci est au contraire un Coran glorieux, écrit sur une Table gardée (fī lawḥ maḥfūẓ). » A quoi il faut ajouter les très nombreuses références où Dieu déclare avoir révélé le Livre.
56 Dont le nom ne revient pas moins de 136 fois dans le Coran, particulièrement dans les sourates 2,al-Baqara ; 7,al-A‘rāf ; 10,Yūnis ; 20,Ṭā hā ; 26,al-Šu‘arā’ ; 28,al-Qaṣaṣ ; et 40,al-Ġāfir.
57 Par exemple, sourate 3,Āl ‘Imrān, v. 64-65.
58 Par exemple, sourate 11,Hūd, v. 6.
59 Sourate 3,Āl ‘Imrān, v. 184, et 35,al-Fāṯir, v. 35. Il est intéressant de noter le rapprochement des thèmes de la lumière et de la clarté dans la sourate 5, al-Mā’ida, v. 15 : « Une lumière (nūr) et un Livre clair (mubīn) vous sont venus de Dieu. »
60 Sourate 2,al-Baqara, v. 2 ; 10,Yūnis, v. 37 ; et peut-être sourate 32,al-Sağda, v. 2, selon la lecture que l'on fait du texte.
61 Sourate 2,al-Baqara, v. 144 ; voir aussi sourate 28,al-Qaṣaṣ, v. 52-53.
62 Sourate 2,al-Baqara, v. 2.
63 Il est intéressant de noter que dix des vingt emplois du termesḥikma sont faits en coordination avec le terme kitāb, comme dans la sourate 4,al-Nisā’, v. 113 : « Dieu a fait descendre sur toi le Livre et la Sagesse et il t'a enseigné ce que tu ne savais pas. »
64 Sourates 20,Ṭā hā, v. 71, et 26, al-Šu‘arā’, v. 49.
65 Sourate 2,al-Baqara, v. 102 : « [Les démons] enseignent aux hommes la magie et ce qui à Babil avait été révélé aux deux anges Harout et Marout. Ces deux-lā n'instruisent personne sans dire : “Nous ne constituons qu'une tentation, ne sois donc pas incrédule.” »
66 Voir respectivement les sourates 5,al-Mā’ida, v. 4, 49,al-Ḥugurāt, v. 16, et 3,Al ‘Imrān, v. 79.
67 « Oui, le nombre des mois, pour Dieu, est de douze mois inscrits dans le Livre de Dieu, le jour où il crée le ciel et la terre. » Sourate 9,al-Tawba, v. 36
68 Sourate 54,al-Qamar, v. 53 ; voir aussi sourate 22,al-Ḥaġġ, v. 70 : « Ne sais-tu pas que Dieu connaît ce qui est dans le ciel et sur la terre ? Tout est consigné dans un livre ; c'est vraiment facile pour Dieu. »
69 Voir sourate 27,al-Naml, v. 75 : « Il n'y a rien de caché dans le ciel et sur la terre qui ne soit inscrit dans un livre clair. »
70 Sourate 78,al-Naba’, v. 29 : « Nous avons fait le compte de tout et nous l'avons inscrit dans un Livre. »
71 Par exemple, sourate 69,al-Ḥāqqa, v. 19,25-26 ; ou sourate 84,al-Inšiqāq, v. 7-12.
72 Sourate 57,al-Ḥadīd, v. 22 : « Nulle calamité n'atteint la terre ni vous-mêmes, sans que cela ne soit écrit dans un livre, avant même d'être créé. »
73 La sourate 12,Yusūf, contient 8 des 15 usages du terme ta’wīl, "interprétation", qui vont tous dans le même sens, à savoir que l'interprétation des songes dont Joseph est capable est un don de Dieu. Les autres emplois du terme en dehors de cette sourate établissent pareillement que l'interprétation vient de Dieu et que l'homme livré à ses propres moyens en est parfaitement incapable.
74 Sourate 98,al-Bayyina, v. 1-4.
75 Voici le début de cette sourate (46, al-Aḥqāf, v. 1-3) qui donne toute leur valeur aux termes qui viennent d'être cités : « Ḥā Mīm. La révélation du Livre vient de Dieu, le Tout-Puissant, le Sage. Nous n'avons créé les cieux, la terre, et tout ce qui se trouve entre les deux, qu'en toute Vérité et pourun temps déterminé ; mais les incrédules se détournent de ce dont ils ont été avertis. »
76 Par exemple, sourate 20,Ṭā hā, v. 133.
77 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 13.
78 L'abrogation par Dieu de certains versets n'enlève rien à cette immutabilité car le texte définitif ne peut être modifié : « Dès que nous abrogeons un verset, ou dès que nous le faisons oublier, nous le remplaçons par un autre, meilleur ou semblable. » sourate 2,al-Baqara, v. 106.
79 Voir plus haut, p. 18.
80 Sourate 96,al-‘Alaq, v. 1-5.
81Mufradāt, p. 413b, 7, sq.
82 L'éditeur de Rāġib donne ici de nombreux versets où se retrouve cette dernière expression : sourate 17,al-Isrā’, v. 41 : « Nous avons exposé [tout ceci] dans ce Coran » ; et v. 89 : « Nous avons présenté aux hommes dans ce Coran toutes sortes d'exemples » ; sourate 18,al-Kahf, v. 54 : « Oui, nous avons adressé aux hommes toutes sortes d'exemples dans ce Coran » ; sourate 30,al-Rūm, v. 58 : « Nous avons proposé aux hommes toutes sortes d'exemples dans ce Coran » ; sourate 39,al-Zumar, v.27 : « Oui, nous avons proposé aux hommes, dans ce Coran, toutes sortes d'exemples. »
83Mufradāt, p. 413b, 25- p. 414a, 21.
84 Ibn Isḥāq,Sīra, § 140, p. 101.
85 Sourates 7,al-A‘rāf, v. 204 ; 16,al-Naḥl, v. 98 ; 17,al-Isrā’, v. 45, 106 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 199 ; 69,al-Ḥāqqa, v. 19 ; 73,al-Muzammil, v. 20, deux emplois ; 75,al-Qiyāma, v. 18 ; 84, al-Inšiqāq, v. 21 ; 87,al-A‘lā, v. 6 ; 96, al-‘Alaq, v. 1-3.
86 Le terme est dans le Coran un hapax : « Ceux à qui nous avons donné le Livre le récitent comme il se doit véritablement (allaḏīna ataynāhum al-kitāb yatlūnahu ḥaqqa tilāwatihi) » sourate 2,al-Baqara, v. 121.
87Mufradāt, p. 71b, 25, et surtout p. 72a, 1 ; on notera que le terme chanter,ġannā, n'est pas utilisé dans le Coran.
88Mufradāt, p. 71b, 22-24.
89 Quatre fois en deux versets, par le fait du maf‘ūl muṭlaq : sourate 25,al-Furqān, v. 32, et sourate 73,al-Muzammil, v. 4.
90 Voir plus haut les analyses des pages 28 sq.
91 Voir plus haut, p. 31.
92 Voir plus haut, p. 39 et note 86.
93 Chantraine,Dictionnaire étymologique de la langue grecque.
94 Voir sur ce point Chantraine. Nous sommes redevable de ces remarques et de ces références à Mademoiselle Annie Louis.
95 Voir en particulier p. 40-41, plus haut.
96Nouveau dictionnaire étymologique de Dauzat, p. 425, qui en situe l'apparition à la fin duxie siècle, dans lePoème de Saint Alexis.
97 Ernout-Meillet,Dictionnaire étymologique de la langue latine, p. 507-508.
98 Voir plus haut, p. 37-38, et en particulier le verset déjà cité, qui réunit l'ensemble de cette évolution sémantique : « inna ‘alaynā ğam‘ahu wa qur’ānahu. Fa-iḏā qara’nāhu fa-ttabi‘ qur’ānahu » (« Il nous appartient de le rassembler et de le lire. Suis sa récitation lorsque nous le récitons », sourate 75,al-Qiyāma, v. 17-18).
99 Que l'on trouve attesté dans Platon et Démosthène. Nous renvoyons, pour toutes ces significations, au dictionnaire de Bailly.
100 Il faut noter ici le contexte dans lequel intervient cette parabole : c'est une évocation du jour du Jugement où tous les hommes comparaîtront devant Dieu et les justes se verront ouvrir les portes du Paradis —ğanna, jardin —, ce qui inclut l'idée d'arbres. Voici les versets 23 et 27 qui encadrent ce texte : « On introduira ceux qui croient et qui font des œuvres bonnes dans les jardins où coulent les ruisseaux. Ils y demeureront immortels, avec la permission de leur Seigneur, ils y seront accueillis avec le mot : Paix. » Quant au verset 27, il propose une application aux hommes de la parabole : « Dieu affermit ceux qui croient, par la parole immuable, en la vie de ce monde et en la vie future, tandis que Dieu égare les injustes. Dieu fait ce qu'Il veut. »
101 Très précisément, le segment : « Elle est comme un arbre excellent dont la racine est solide, la ramure dans le ciel et les fruits abondants en toute saison. »
102 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 99, 1.14, et p. 100,1. 2 ; voir trad. Marçais-Houdas, III, p. 354. Bayḍāwī, p. 340,8, renvoie à cette explication du palmier.
103 Voir plus loin la fin de la note 107.
104 Reste alors une dernière question : si tel est le cas, pourquoi la conclusion, sous forme de regret, de ‘Umar ? Nous ne voyons pas de réponse, si ce n'est peut-être que le souhait de ‘Umar aurait été que l'homme trouve de lui-même une réponse conforme à celle qui lui vient par le Prophète, que l'homme dans sa parole s'identifie spontanément à l'attente prophétique. Mais cela relève de la conjecture.
105 C'est alors la racine qui tient le rôle d'ancêtre éponyme. Voir sur ce point notre article sur la « Composition en arabe », inMélanges de l'Université Saint Joseph, tome L (1984), p. 370, où le rôle fondamental des racines dans la langue arabe explique, selon nous, la résistance à la composition, et explique en partie, par là, la très grande stabilité de la langue, parfois même son immutabilité.
106 Ce n'est pas un jeu de mots : la généalogie est une science qui ne s'intéresse pas aux individus, mais aux liens qu'ils peuvent entretenir avec une origine commune et une descendance. L'individu isolé n'a pas plus de valeur qu'une branche coupée.
107 Buḫārī nous propose une interprétation de la parole ferme dans son commentaire d'une partie du verset qui suit la parabole : « Dieu affermit ceux qui croient — par la parole immuable... » (voir note 100, p. 45, la suite de ce verset). Il le fait par leḥadīṯ que voici : « L'Envoyé de Dieu a dit : quand le musulman sera interrogé dans la tombe, il attestera qu'il n'y a d'autre divinité que Dieu et que Muḥammad est l'Envoyé de Dieu. C'est à cela que se réfèrent les mots du Coran : Dieu, par la parole immuable, affermira dans la vie de ce monde et dans la vie future ceux qui ont cru. »Ṣaḥīḥ, VI, p. 100,1.2-6 ; trad. Houdas-Marçais, III, p. 354-355.
Cette interprétation de Buḫārī confirme la suggestion que nous faisions plus haut, p. 33, pour expliquer le glissement de la bonne parole à l'homme musulman : nous disions alors que l'homme musulman se définissait comme celui qui récite la parole par excellence qu'est lašahāda. Il n'est pas étonnant de voir leḥadīṯ nous proposer, au jour du Jugement, cette parole fondatrice de l'islamité de l'homme.
108Phèdre, 275 d-e ; traduction Robin-Moreau, Platon,Œuvres Complètes, Pléiade, II, p. 76. On remarquera au passage que l'écrit aide-mémoire est, chez Platon, déjà situé dans une perspective "généalogique". Voir ici, plus haut, p. 47 et note 106. Voir aussi plus loin p. 241.
109 Voir plus haut, p. 45.
110 Sourate 31,Luqmān, v. 27. A la suite de Blachère, nous ajoutons une parenthèse pour expliciter le sens du verset. L'édition de la traduction de D. Masson comporte une coquille qui a remplacé « s'épuiseraient » par « l'épuiseraient ».
111 Cette propension du nombre sept à désigner la totalité se retrouve, outre les nombreux emplois de ce nombre dans la sourate 12,Yūsuf, versets 43, 46, 47, dans tous les versets parlant des sept cieux : sourates 2,al-Baqara, v. 29 ; 17,al-Isrā’, v. 44 ; 23,al-Mu’minūn, v. 17, 86 ; 41,Fuṣṣilat, 12 ; 65, al-Ṭalāq, v. 12 ; 67,al-Mulk, v. 3 ; 71, Nūḥ, v. 17 ; 78, al-Naba’, v. 12. Voir aussi sourate 15,al-Ḥiğr, v. 87 : « Nous t'avons donné Sept des Répétées et le très grand Coran. » Voir sur les "Répétées" la note de Blachère, relative à ce verset, inLe Coran, p. 290.
112 Il n'est pas sans intérêt de retrouver le calame dans la suite du texte duPhèdre de Platon que nous citions dans le développement précédent (voir plus haut, p. 47-48). Cela ne doit pas nous étonner outre mesure, car ces deux passages que nous venons d'étudier participent de la même logique. Platon écrit : « Or, de l'homme qui possède la science de ce qui est juste, celle de ce qui est beau, celle de ce qui est bon, devons-nous dire que, eu égard aux semences qui sont les siennes, il a moins d'intelligence que n'en a le cultivateur ? Pas le moins du monde, en vérité. Ce n'est donc pas sérieusement qu'il ira les écrire sur de l'eau, en les semant dansune eau noire au moyen d'un roseau (kalamos) avec des discours qui, impuissants, par le discours, à se porter secours à eux-mêmes, sont d'autre part impuissants à enseigner comme il faut la vérité. » Phèdre, 276 c ; trad. Robin-Moreau,Œuvres Complètes, Pléiade, II, p. 77.
La logique de la prééminence de l'oral sur l'écrit invente les mêmes images, les mêmes comparaisons à près d'un millénaire de distance et dans des contextes aussi différents que peuvent l'être la cité grecque et la cité arabe du temps de Muḥammad.
113 Voir plus haut, p. 28.
114 Voir plus haut, p. 31.
115 Voir plus haut, p. 32.
116 Voir plus haut, p. 33-34.
117 Voir plus haut, p. 36 sq.
118 Voir plus haut, p. 40-41.
119 Voir plus haut, p. 44.
120 Paris, Klincksieck, 1966.
121 Voir p. 4 de l'ouvrage.
122 Très exactement 25 571 emplois. Nous arrivons à ce résultat en additionant les totaux de l'avant-dernière colonne du tableau de la page 233. Cette colonne totalise, selon les formes simples et augmentées, les emplois de toutes les racines.
123 Elle occupe les pages 6 à 38 de l'ouvrage.
124 Sourate 96,al-‘Alaq, v. 1-3.
125 Sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 192-199.
126 Sourate 11,Hūd, v. 12. Voir aussi, sur Muḥammad naḏīr, entre autres références : sourates 7,al-A‘rāf, v. 184 ; 15, al-Ḥiğr, v. 89 ; 22,al-Ḥaġġ, v. 49 ; 25,al-Furqān, v. 1 ; 29,al-‘Ankabūt, v. 50 ; 34,Saba’, v. 44 et 46 ; 35,al-Fāṯir, v. 23, 37 ; 38,Ṣād, v. 70 ; 46,al-Aḥqāf, v. 9 ; 51,al-Ḏāriyāt, v. 50-51 ; 67,al-Mulk, v.26.
127 Sourate 17,al-Isrā’, v. 105-106. Voir aussi sur cette même fonction de l'annonce de la bonne nouvelle, jointe ou non à la fonction d'avertissement, les passages suivants : sourates 2,al-Baqara, v. 119, 155, 223 ; 5,al-Mā’ida, v. 19 ; 7,al-A‘rāf, v. 188 ; 9,al-Tawba, v. 112 ; 10,Yūnis, v. 2 ; 11, Hūd, v. 2 ; 19,Maryam, v. 97 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 34, 37 ; 25,al-Furqān, v. 56 ; 33,al-Aḥzāb, v. 45, 47 ; 34,Sabā’, v. 28 ; 35, al-Fāṭir, v. 24 ; 36,Yā sīn, v. 11 ; 39,al-Zumar, v. 17-18 ; 42, al-Šūrā, v. 23 ; 48, al-Fatḥ v. 8 ; 61, al-Ṣaff, v. 13.
128 Voir al-Mu‘ğam al-mufahras de ‘Abd al-Bāqī, p. 119a-121a et p. 691b-693b.
129 Sourate 48,al-Fatḥ, v. 2.
130 Sourate 33,al-Aḥzāb, v. 40.
131 Sourate 3,Al ‘Imrān, v. 144.
132 Sourate 47,Muḥammad, v. 2.
133 Sourate 61,al-Ṣaff, v. 6.
134Mufradāt, p. 130b, 19-20.
135 Bayḍāwī, p. 733, 13-15.
136 Voir, sur ce point, l'index de l'édition bilingue, Masson, p. 841-842, en le complétant par les références aux sourates 12, 102 ; 19, 97 ; 31,7 et 54,28. Ces soixante-dix sourates représentent plus des 9/10e du Coran.
137 Les accusations de mensonge portées contre Muḥammad sont fréquentes : plus d'une vingtaine de fois, Muḥammad en sera l'objet, comme dans la sourate 34,Sabā’, v. 43 : « Lorsque nos versets leur sont lus, comme autant de preuves évidentes, ils disent : celui-ci n'est qu'un homme qui veut nous éloigner de ce que nos pères adoraient. Ils disent encore : ceci n'est qu'un mensonge qu'il a inventé. » Voir aussi sourate 3,Āl‘Imrān, v. 184 ; 10,Yūnis, v. 41 ; 16, al-Naḥl, v. 101, 113 ; 22, al-Ḥaġġ, v. 42 ; 23,al-Mu’minūn, v. 38 ; 25, al-Furqān, v. 4, 77 ; 26,al-Šu‘arā’, v. 6 ; 34,Sabā’, v. 8 ; 35,al-Fāṭir, v. 4,25 ; 38,Ṣād, v. 4 ; 42, al-Šūrā, v. 24 ; 56,al-Wāqi‘a, v. 82 ; 67,al-Mulk, v. 9 ; 68,al-Qalam, v. 44 ; 69, al-Ḥāqqa, v. 49 ; 84,al-Inšiqāq, v. 22 ; 96,al-‘Alaq, v.13. Toutes ces accusations s'adressent à Muḥammad dans son rôle d'annonciateur de la Parole.
138 Sourates 6,al-An‘ām, v. 7 ; 10,Yūnis, v. 2 ; 11,Hūd, v. 7 ; 15,al-Ḥiğr, v. 15 ; 17,al-Isrā’, v. 47 ; 21,al-Anbiyā’, v. 3 ; 25,al-Furqān, v. 8 ; 34,Sabā’, v. 43 ; 37,al-Ṣāffāt, v. 15 ; 38,Ṣād, v. 4 ; 43,al-Zuḫruf, v. 30 ; 46,al-Aḥqāf, v. 7 ; 52, al-Ṭūr, v. 29 ; 54,al-Qamar, v. 2 ; 69,al-Ḥāqqa, v. 42 ; 74, al-Muddaṯṯir, v. 24.
139 Soixante-trois fois ; voir al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 346-347.
140Mufradāt, p. 231b, 4-9 ; il cite, à l'appui, la sourate 2, al-Baqara, v. 102.
141al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 382-383. A quoi il faut ajouter les mentions d'Iblīs, onze fois ; cf. ibid. p. 134.
142 C'est-à-dire très exactement 88 fois :al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 674b-676a, le plus souvent (73 fois) au pluriel.
143 Ou bien il est dit que desğunūn habitent en lui. Voir sourates 15,al-Ḥiğr, v. 6 ; 23,al-Mu’minūn, v. 70 ; 34,Sabā’, v. 8 ; 37,al-Ṣāffāt, v. 36 ; 44,al-Duḫān, v. 14 ; 52,al-Ṭūr, v. 29 ; 68,al-Qalam, v. 51. Lesğunūn interviennent à 39 reprises dans le Coran et le termemağnūn onze fois :al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 179-180.
144 Sourate 52,al-Ṭūr, v. 29.
145 Sourate 69, al-Ḥāqqa, v. 40-43. Le terme se retrouve également dans la sourate 21,al-Anbiyā’, v. 5, et la sourate 37,al-Ṣāffāt, v. 36. Deux autres occurrences sont à noter : la sourate 36,Yā sīn, v. 69 : « Nous ne lui avons pas apprisla poésie », et sourate 26,al-Šu‘arā’, v. 224 : « Quant aux poètes, ils sont suivis par ceux qui s'égarent. » On peut ajouter aussi des passages comme la sourate 83,al-Muṭaffifūn, v. 13 : « Ce sont des contes d'Anciens » ; de même, dans la sourate 8,al-Anfāl, v. 31 : « Ce ne sont que des histoires racontées par les Anciens. » Sur tous ces personnages, voir Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 190-193.
146Mufradāt, p. 400b, 5-7.
147 Voir Wensinck,Concordance, VI, p. 70-71.
148Mufradāt, p. 268b-269a.
149 Voir par exemple la sourate 48,al-Fatḥ, v. 11-16, et la sourate 110,al-Naṣr, verset 2.
150 Sourate 48,al-Fatḥ v. 12 et 15, qu'il faut replacer dans l'ensemble des versets 11-16.
151 Sourate 2,al-Baqara, v. 198.
152 Sourate 2,al-Baqara, v. 158.
153 Sourate 5,al-Mā’ida, v. 95 et 97.
154 Sourates 9,al-Tawba, v. 101, 120 ; et 33,al-Aḥzāb, v. 60.
155 Sourate 3,Āl‘Imrān, v. 96.
156 Le droit aura dans la société musulmane une dimension religieuse avecla šarī‘a, et ceci durera tout au long de l'histoire des pays musulmans, avec plus ou moins de rigueur, comme, aujourd'hui, avec des fortunes diverses, en Iran et au Soudan, en Libye ou en Égypte.
157 Massé,L'Islam, p. 39.
158 Comme par exemple dans la sourate 2,al-Baqara, v. 117.
159 Sourates 3,Āl‘Imrān, v. 39,45 ; 4,al-Nisā’, v. 171.
160 Par exemple, sourate 7,al-A‘rāf, v. 137.
161 Comme dans la sourate 4,al-Nisā’, v. 86 etc.
162 Par exemple, sourate 2,al-Baqara, v. 99 : « Nous t'avons révélé des versets parfaitement clairs. »
163 Voir par exemple les sourates 16,al-Naḥl, v. 78 ; 23,al-Mu’minūn, v. 78 ; 32,al-Sağda, v. 9 ; 46,al-Aḥqāf, v. 26 ; 67,al-Mulk, v. 23 ; 76,al-Insān, v. 2.
164 Comme dans la sourate 90,al-Balad, v. 8.
165 Prophète, du grecprophètes, par le latinpropheta : le terme grec signifie celui qui interprète les paroles de l'oracle et par suite, celui qui annonce l'avenir.
166 Le nom de Dieu revient 2 700 fois dans le Coran. Ce nombre prend toute son importance quand on le compare au nombre total des versets du Coran : 6 211.
167 Sur le Coran comme prédication, voir par exemple Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 210-212.
168 L'affirmation : « [Allāh] lā ilāh illā huwa » ([Dieu], il n'y a pas d'autre dieu que Lui), revient un nombre considérable de fois, particulièrement dans les sourates mekkoises.
169 Que l'on pense par exemple aux litanies indéfiniment reprises des liturgies chrétiennes orientales.
170 Dans la sourate 82,al-Infiṭār, les quatre premiers versets commencent par le même iḏā. Voir aussi le parallélisme de construction des versets 1 à 7 de la sourate 91,al-Šams. Ou encore sourate 30,al-Rūm, les versets 20 à 25 qui commencent tous par « wa min āyātihi » (parmi Ses signes) ; ou dans la sourate 27,al-Naml, le début identique des versets 60, 61, 62, 63, 64, que nous retrouverons ci-dessous, note 172, et bien d'autres exemples qu'il serait trop long d'énumérer.
171 Versets 17, 22, 32, 40.
172 Sourate 55, al-Raḥmān ; voir aussi sourate 26,al-Šu‘arā’ : « Je ne vous demande pas de salaire ; mon salaire n'incombe qu'au Seigneur des Mondes », aux versets 109, 127, 145, 164, 170 ; ou dans la sourate 77, à dix reprises : « Malheur ce jour-là à ceux qui crient au mensonge », aux versets 15, 19, 24, 26b, 34, 37, 40, 45, 47, 49. On pourrait allonger indéfiniment la liste avec par exemple la sourate 7,al-A‘rāf, v. 59, 65, 73, 85, ou encore la sourate 27,al-Naml, v. 60, 61, 62, 63, 64, déjà citée note 170 pour une identité d'attaque.
173 Il serait intéressant de pouvoir, à partir d'une étude détaillée, préciser la place, les formes et les fonctions du procédé de la répétition dans ce texte sacré.
174 Voir plus haut p. 23-27.
175 Sourate 73,al-Muzammil, v. 20.
176 Ici, une note s'appuie sur des passages de Buḫārī (VI, p. 235,15-236,3 ; p. 240, 6-241, 11, correspondant à la traduction Marçais-Houdas III, p. 533-534 et p. 538-539) pour considérer que la récitation psalmodiée est contemporaine de Muḥammad.
177 Blachère,Histoire de la littérature arabe, II, p. 232-233, qui renvoie à Caetani,Annali, I, p. 285 sq.
178 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 241, 11-14 ; trad. Marçais-Houdas, III, p. 540 : (De celui qui aime entendre réciter le Coran par un autre) ‘Abd allah rapporte que le Prophète lui dit : “Récite-moi le Coran (iqra’ ‘alayya al-qur’ān).” — “Te réciter le Coran ? lui répondis-je, mais c'est à toi qu'il a été révélé !” — “Certes, reprit le Prophète, mais j'aime à l'entendre récité par un autre que moi (uḥibbu an asma‘ahu min ġayrī).” »
179 Voir par exemple des versets où les cieux et la terre louent Dieu, comme dans les sourates 17,al-Isrā’, v. 44 ; 24, al-Nūr, v. 41 ; 57,al-Ḥadīd, v. 1 ; 59,al-Ḥašr, v. 1 et 24 ; 61,al-Ṣaff, v. 1 ; 62,al-Ǧum‘a, v. 1 ; 64,al-Taġābun, v. 1.
180al-Mu‘ğam al-mufahras, p. 339b-340a.
181 Voir plus haut p. 27
182Mufradāt, p. 108b-109b.
183Mufradāt, p. 109a, 10-12.
184 Sourate 66,al-Taḥrīm, v. 3.
185 Sourate 12,Yūsuf, v. 101.
186 Sourate 23,al-Mu’minūn, v. 44 : « Puis nous avons envoyé successivement nos prophètes. Chaque fois que son prophète venait à une communauté, celle-ci le traitait de menteur. Nous avons fait succéder un peuple à un autre, et nous les avons fait passer en légendes. Arrière aux gens qui ne croient pas. » Voir aussi, dans le même sens, la sourate 34,Sabā’, v. 19.
187Mufradāt, p. 109a, 16-18 ; les versets cités sont respectivement tirés de la sourate 52,al-Ṭūr, v. 34, et de la sourate 53,al-Nağm, v. 59.
188 J. Robson, « Ḥadīth », in E.I.2, III, p. 24b. Comme l'ajoute Robson, un peu plus bas : « La Tradition est considérée comme l'autorité venant immédiatement après leḲur’ān, mais cette conception ne fut que le résultat d'un long processus. »
189al-Mu‘ğam al-mufahras donne 28 usages du substantif.
190 Il est intéressant de noter que les six auteurs de référence, considérés comme canoniques par la majorité des musulmans, ont vécu essentiellement auiie-iiie/ixe siècle : ainsi Buḫārī (194/810-256/870) ; Muslim (202/817-261/875) ; Abū Dāwud (202/817-275/888) ; Tirmiḏī (210/825-279/892) ; al-Nišā’ī (215/830-303/915) ; et Ibn Māğğa (209/824-273/886). Rappelons que non seulement Buḫārī est le plus ancien, mais il est aussi celui dont le recueil a le plus grand prestige. Ainsi dans la qualification d'authenticité ou de crédibilité desḥadīṯ-s en ṣaḥīḥ, ḥasan, ḍa‘īf et saqīm, la catégorie duṣaḥīḥ se subdivise à son tour en sept degrés : 1. les traditions retenues par Buḫārī et Muslim ; 2. les traditions retenues par Buḫārī seul ; 3. celles retenues par Muslim seul ; 4. celles qui ne figurent ni chez Buḫārī ni chez Muslim, mais remplissent les conditions, (šurūṭ) qu'ils ont exigées ; 5. celles qui remplissent les conditions de Buḫārī ; 6. celles qui remplissent les conditions de Muslim ; 7. celles qui sontṣaḥīḥ selon d'autres autorités.
191Ṣaḥīḥ, I, p. 23, 11-17 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 34, ch. 4.
192 Voir, sur cette classification, F. Sezgin,G.A.S., I, p. 58-60 ; ou J. Robson,E.I.2, III, p. 28b.
193Ṣaḥīḥ, I, p. 24, 6-15 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 35, ch. 6.
194 Voir plus haut, p. 71.
195 Wensinck,Concordance, VI, p. 130b. Les textes sont d'Ibn Ḥanbal, Abū Dāwud et Dārīmī.
196 Comme lorsqu'il est dit dans leMusnad d'Ibn Ḥanbal, V, p. 158 : « Il n'envoie pas de prophète si ce n'est dans la langue de son peuple (illā bi-luġati qawmihi). »
197 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, kitāb al-isti’ḏān, ch. 12, VIII, p. 67, 1-7 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 219-220.
198 Ibn Ḥanbal,Musnad, VI, p. 387 ; voir aussi Muslim, Ṣaḥīḥ, kitāb al-īmān,ḥadīṯ80.
199 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VII, p. 58,20 ; trad. Marçais-Houdas, III, p. 615, 26-27 : « wa ṭalāq kulli qawm bi-lisānihim. »
200 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, IV, p. 122, 18-20 ; trad. Marçais-Houdas, II, p. 414 (ch. 11) : « inna Allāh ya‘lamu al-alsina kullahā. »
201 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, IV, p. 219, 6-11 ; trad. Marçais-Houdas, II, p. 539 (ch. 3).
202 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Bāb al-riqāq, 23, VIII, p. 124, 20-125, 1 et p. 125, 12-19 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 288-289 (ch. 23).
203 Buḫārī,Ṣaḥīḥ,kitāb al-adab, VIII, p. 45, 7-10 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 191 (ch. 92).
204 Ainsi pour le dernierḥadīṯ que nous venons de citer, voir texte arabe, VIII, p. 45,10-13, et trad. Marçais-Houdas, IV, p. 191, ch. 92, 2, où le même texte est introduit par un autreisnād.
205 La suite duḥadīṯ n'intéresse pas notre propos. Buḫārī,Ṣaḥīḥ,kitāb al-adab, ch. 89, VIII, p. 41,14-42,1 ; trad. Marçais-Houdas, IV, p. 187.
206 Seule cette première partie duḥadīṯ nous intéresse ici. Buḫārī, Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, ch. 39, I, p. 38,15-18 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 55, ch. 39.
207 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 10-13 ; trad. Marçais-Houdas, I. p. 56, paragraphe 3.
208 Nous retrouverons plus loin, chez Farabi, dans l'argumentation expliquant l'apparition de l'écrit, ce rôle de secours porté aux possibles défaillances de la mémoire ou à ses limites.
209 Buḫārī,Ṣaḥīḥ,Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 6-7 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 55-56.
210 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, Kitāb al-‘ilm, I, p. 39, 13-18 ; trad. Marçais-Houdas, I, p. 56, paragraphe 4.
211 Buḫārī,Ṣaḥīḥ, VI, p. 214,3-214, 4 ; trad. Marçais-Houdas, p. 507-508.
212 Il ne fait d'ailleurs que reprendre ce que dit le Coran et que nous avons relevé dans les deux citations p. 58.
213 Ibn Isḥāq,Sīra, § 140.